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Anish Kapoor met Versailles à l'envers

Versailles lui avait proposé de venir en 2014, il ne pensait pas pouvoir être prêt à temps. C'est fait, Anish Kapoor a investi les jardins de Le Nôtre avec des œuvres qui regardent le ciel et la terre, qui nous parlent de l'organique, du pouvoir, et, pourquoi pas, de sexualité, n'en déplaise à quelques puritains (du 9 juin au 1er novembre 2015).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Anish Kapoor à Versailles, devant son oeuvre "C-Curve" (5 juin 2015)
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)

Après Giuseppe Penone, Lee Ufan, Jeff Koons ou Joana Vasconcelos, le château de Versailles a invité cette année Anish Kapoor à installer des œuvres dans ses espaces. L'artiste britannique d'origine indienne, né en 1954 à Bombay, y a posé ou creusé six œuvres fortes.
 
"Le problème c'est : qu'est-ce qu'on fait dans un lieu comme celui-ci. Les idées viennent très vite mais ensuite il faut les confronter à la réalité du lieu. Le plus difficile, c'est l'échelle. Le lieu est immense et la vision de Le Nôtre est complète et très claire. Comment intéragir ? Il ne s'agit pas simplement de poser des objets joliment dans les jardins. Il faut un dialogue véritable et plein de sens avec cet endroit chargé de pouvoir et d'histoire, qui vit dans notre inconscient collectif, surtout ici en France", explique Anish Kapoor.

Anish Kapoor, "Sky Mirror"
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)


Dialoguer avec les jardins de Le Nôtre

Pour l'artiste, "Versailles n'a pas besoin de décoration" et Anish Kapoor "s'est refusé à intervenir à l'intérieur du château", indique Alfred Pacquement, le commissaire de l'exposition. C'est donc dans les jardins et dans la salle du Jeu de Paume, lieu du serment du 20 juin 1789, qu'il expose.

Reportage A. Marguet, Y. Dorion
 
Quatre des six œuvres sont installées dans la perspective du château et du Grand Canal. Qu'est-ce que veut dire Versailles aujourd'hui ? "Quel est notre vision sur cet endroit en ce 21e siècle démocratique ? Doit-on le prendre comme il est ou le dialogue est-il plus complexe ?", se demande Anish Kapoor qui voit dans les jardins de Le Nôtre une "merveille géométrique" ayant à voir avec le temps et l'éternité, même s'il faut aussi se poser la question du déclin, de la dégradation.
Anish Kapoor, "C-Curve", 2007
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)


Un miroir qui envoie les jardins vers le ciel

L'artiste commence avec ses fameux miroirs concaves : le premier est horizontal et posé au sol juste devant le château. D'un côté, il en reflète la façade, les visiteurs se photographient devant avec délectation. L'autre côté fait face à la grande perspective, nous mettant la tête en bas et envoyant les jardins dans le ciel. Le deuxième miroir est un grand cercle parabolique posé en l'air, qui attrape le ciel et les nuages d'un côté, les jardins, déformés, de l'autre.
 
"J'ai placé des œuvres qui commencent par mettre les jardins à l'envers", dit Kapoor. Pas seulement avec ses miroirs. Plus bas, il a fait une "excavation", partant de l'idée que sous le "paysage de lumière" que sont les jardins de Le Nôtre, il y avait "quelque chose de plus complexe, de plus dangereux peut-être, de plus sombre".
Anish Kapoor, "Dirty Corner", 2011-2015
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)


Kapoor assume la connotation sexuelle de ses oeuvres

L'œuvre, baptisée "Dirty Corner", était là avant Le Nôtre, a-t-il voulu imaginer. Une grande trompe de métal rouillé qui se prolonge par un large tuyau de 10 m de long posé au sol, entouré de blocs de pierre, de tas de terre, de blocs peints en rouge, constituant une espèce de chaos, qui fait déjà scandale. Anish Kapoor aurait parlé de "vagin de la reine qui prend le pouvoir" dans une interview au JDD, provoquant la colère de sites d'extrême droite.
 
Dans un entretien avec Julia Kristeva, qui sera dans le catalogue, l'artiste évoque "un objet masculin ou féminin. Avec un vaste orifice intérieur, comme une oreille ou un vagin (…) Un long tuyau qui pourrait être masculin, un phallus/vagin."
Anish Kapoor, "Descension", 2014
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévions)


Il ne comprend pas pourquoi ça pose problème

En tout cas, s'il reste vague sur les propos qu'il a tenus au JDD, il assume complètement la connotation sexuelle de son œuvre. "Forcément, quand on commence à creuser, on est confronté au corps lui-même, avec toutes ses connotations, sexuelles mais pas seulement", dit-il. Mais, ajoute-t-il plus loin, les "interprétations particulières" ne l'intéressent pas, "ça tue le travail".
 
"Ce qui est très clair pour moi, c'est que quand on tente de mettre un objet désordonné dans un paysage très ordonné, et surtout un objet sombre et désordonné, on va avoir une connotation féminine et sexuelle, mais je ne comprends pas pourquoi ça pose problème."
 
En continuant vers le Grand Canal, Anish Kapoor a installé une pièce d'eau supplémentaire entre celui-ci et le bassin d'Apollon, un petit bassin qui tourbillonne constamment, un "vortex" vrombissant qui en son centre aspire l'eau "jusqu'au centre de la Terre".
Anish Kapoor, "Sectional Body Preparing for Monadic Singularity"
 (photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)


Peinture, violence et démocratie

L'évocation du corps, peut-être du ventre maternel, on la retrouve dans un grand cube noir, posé au centre de la pelouse d'une clairière du bosquet de l'Etoile, perdue dans un labyrinthe d'allées. La forme est traversée de boyaux rouges qui s'entrecroisent, à travers lesquels on peut voir le ciel. On peut entrer dans le cube, où on retrouve un peu l'atmosphère de "Leviathan", l'énorme "ballon" qu'Anish Kapoor avait installé dans la nef du Grand Palais pour Monumenta en 2011, en plus petit et en plus ouvert.
 
Enfin, dans la salle du Jeu de Paume, est exposé un canon qui projette de la cire rouge dans un coin. Controversée aussi pour sa connotation phallique, l'œuvre est pour son auteur "une façon de faire de la peinture, un processus violent, peut-être, mais qui dit qu'on retrouve la violence dans les images". Présentée dans "le lieu des débuts de la démocratie", l'oeuvre renvoie au sang, au don des corps et à la politique.
Anish Kapoor, "Shooting into the Corner", dans la salle du Jeu de Paume à Versailles
 (Romuald Meigneux / SIPA)

Anish Kapoor, Versailles
Accès aux oeuvres dans les jardins, par la Cour d'Honneur du Château de Versailles, de 8h à 20h30, entrée gratuite sauf les jours de Grandes eaux musicales, de Jardins musicaux et de Grandes eaux nocturnes. Fermeture anticipée certains jours à 17h30, voir le site du Château de Versailles
Accès à la salle du Jeu de Paume : rue du Jeu de Paume, du mardi au dimanche, 14h-18h, entrée gratuite
du 9 juin au 1er novembre 2015

 

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