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Anselm Kiefer expose à la BnF sa bibliothèque de livres uniques

Avant une grande rétrospective au Centre Pompidou à partir de la mi-décembre, Anselm Kiefer expose à la BnF une partie plus secrète, plus intime de son travail, ses livres, des pièces uniques qui ressemblent à des sculptures et qui abordent tous les thèmes de son oeuvre, nourrissant constamment celle-ci (jusqu'au 7 février 2016).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Anselm Kiefer, "Lichtung" (Clairière), 2015, collection particulière
 (Anselm Kiefer - photo © Georges Poncet)

Fasciné par l'écrit, Anselm Kiefer fait des livres depuis qu'il est petit. Ils représentent même 60% de son œuvre. Le plus ancien présenté à la Bibliothèque nationale de France date de quand il avait neuf dix ans, c'est un recueil de contes illustré.
 
Depuis, la forme a changé, l'artiste allemand installé en France crée de grands livres dans les matériaux les plus divers, plâtre, plomb, carton, ornés de peinture, de sable, de cendre, de photos, de végétaux… Des pièces uniques, qui l'accompagnent dans son atelier, qu'il montre peu et qu'il a eu envie d'exposer.
 
"Dans mon œuvre, le livre est très important. Il est un répertoire de formes et une manière de matérialiser le temps qui passe (…). Son aspect esthétique, son aspect matériel, m'intéresse beaucoup. Certains sont de véritables sculptures, plus grands que la taille humaine, ouverts mais impossibles à feuilleter", a dit Anselm Kiefer en 2007 (entretien avec Pierre Assouline dans Anselm Kiefer, Sternenfall, Editions du Regard).

Vue d'installation, Croissy, 2015
 (Anselm Kiefer Photo © Anselm Kiefer)


Un espace sacré pour célébrer le livre

Une centaine de ces livres été choisis pour être exposées avec quelques sculptures et son encadrés par deux tableaux monumentaux liés à l'écrit.
 
"C'est Anselm Kiefer qui a réalisé la mise en espace de l'exposition. Une espèce d'espace sacré pour célébrer le livre. Pour montrer que dans son œuvre les mots, l'écriture, tout procède d'une pensée verbale. Même si les mots ne sont pas lisibles, son œuvre est  hantée par l'écriture", explique Marie Minssieux-Chamonard, conservateur à la BnF et commissaire de l'exposition.
 
L'espace ressemble à une église, une grande nef et des chapelles latérales, le tout encadré par deux grands tableaux : à l'entrée, "Lichtung" (Clairière), créé pour l'exposition, est un paysage de forêt de sapins enneigée au milieu duquel est suspendu un tas de livres calcinés : un hommage à Martin Heidegger qui fait allusion aussi à l'ambivalence du philosophe, aux autodafés nazis et au pouvoir purificateur du feu.
Anselm Kiefer, "Liliths Töchter", 1998, collection particulière
 (Anselm Kiefer photo © atelier Anselm Kiefer)


La bibliothèque d'Anselm Kiefer, son laboratoire secret

A l'autre bout, "Das Buch" (Le livre), une marine où un grand livre en plomb, immobile, domine des flots en perpétuel mouvement.
 
Dans les deux premières salles latérales, on a déménagé la bibliothèque d'Anselm Kiefer.
 
"J'étais tellement impressionnée par sa bibliothèque que j'ai souhaité qu'on en profite, qu'on voie qu'il travaille dans cet univers tout le temps", raconte Marie Minssieux-Chamonard. "Les étagères proviennent de son atelier. Il a une salle dédiée à ses livres, ils sont rangés comme ça sur des étagères métalliques, avec des livres très lourds, en plomb, en plâtre, des herbiers géants. C'est un peu secret, c'est son laboratoire. Il y a beaucoup de thématiques qu'on trouve dans ses tableaux et dans ses sculptures qu'il travaille d'abord dans le livre", ajoute la commissaire.
Anselm Kiefer, "Das Lied von der Zeder - Für Paul Celan"  2005, BnF, Réserve des livres rares
 (Anselm Kiefer)


Des ouvrages de sable, de cendre, d'argile

Au milieu de l'exposition, des vitrines horizontales montrent les livres ouverts, classés par thèmes et par styles. Les premiers, ceux des années 1960-1970 annoncent déjà tous les thèmes abordés dans l'œuvre : l'histoire allemande, les femmes. L'artiste aurait aimé être poète ou écrivain et consigne depuis toujours dans un journal ses notes de lecture, ses réflexions, ses projets.
 
A partir du milieu des années 1970 Anselm Kiefer intègre divers matériaux à ses livres : sur une base photographique, il met du sable, de la cendre, de l'argile.
 
Il y a les femmes, d'abord. Fasciné par la figure de Lilith ("Liliths Töchter", 1998), première Eve, selon la Kabbale, il lui dédie plusieurs livres.
Anselm Kiefer, "Blutblume", 2001, collection particulière
 (Anselm Kiefer Photo © Charles Duprat)


Les femmes, les écrivains, la cosmogonie

"Elle a voulu être l'égale de l'homme, le créateur a refusé, du coup elle s'est révoltée et s'est exilée volontairement dans les ruines. En même temps, elle est liée à Saturne, à la mélancolie, et en même temps on dit que c'est un démon. Anselm Kiefer a beaucoup d'affection pour ce personnage très moderne", explique la commissaire. Sur des photos aériennes de villes, il a collé des robes en plomb et du sable, en hommage aussi aux femmes allemandes qui ont reconstruit les villes détruites après la guerre.
 
D'autres livres sont consacrés aux écrivains, notamment au poète juif roumain Paul Celan. Toujours obsédé par la Seconde guerre mondiale, Kiefer part d'un paysage hivernal où des sillons fuient vers l'horizon, une image rappelant les voies ferrées qui menaient aux camps de la mort. Sur les sillons, il a inscrit les vers écrits par Paul Celan à l'annonce de la mort de son père dans les camps. Sur un autre livre de la même série, il a collé des cheveux, des bouts de branches.
 
A partir du milieu des années 1990 il y a les livres consacrés à la cosmogonie, où le ciel étoilé est représenté par des graines de tournesol collées sur les pages. "Avec ce motif très présent du tournesol, parce que le tournesol c'est une plante cosmique pour lui, qui renvoie au flux vital reliant la terre aux étoiles", explique Marie Minssieux-Chamonard.
Anselm Kiefer, "Der Rhein", 1983, collection particulière
 (Anselm Kiefer Photo © Charles Duprat)


Des livres érotiques dédiés à Rodin

Kiefer multiplie les motifs végétaux ("La vie secrète des plantes") et se fait parfois léger, avec des fleurs colorées.
 
Ses derniers livres, des livres érotiques, Anselm Kiefer les dédie à Rodin. Ils sont en plâtre poli imitant le marbre sur lequel des nus sont peints à l'aquarelle. "Doux comme la peau mais froids comme du marbre, c'est ce que dit l'artiste", rapporte la commissaire.
 
Et tout autour des vitrines, des sculptures évoquent le livre, par la forme ou les symboles. "Le Rhin" déploie sur 360 degrés ses grandes pages où des gravures du fleuve évoquent, toujours, la culture allemande et son dévoiement par le nazisme.
 
Une autre sculpture ("La Brisure des vases", 2015, terminée par Kiefer sur place), composée de verre brisé et de livres en plomb, fait allusion au mythe kabbalistique de la Création, renvoyant en même temps à la création artistique. De grands tournesols plantés dans une presse typographique ("La lettre perdu", 2012) rappellent l'invention de Gutenberg et évoquent l'élan spirituel.
 
Anselm Kiefer, l'alchimie du livre, Bibliothèque nationale de France (site François Mitterrand), quai François Mauriac, Paris 13e
Tous les jours sauf lundi et jours fériés
Du mardi au samedi : 10h-19h
Dimanche : 13h-19h
Tarifs : 9€ / 7€
Du 20 octobre 2015 au 7 février 2016
 
Une grande rétrospective Anselm Kiefer est prévue au Centre Pompidou du 16 décembre 2015 au 18 avril 2016

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