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Carpeaux : la carrière fulgurante d'un sculpteur de l'Empire au Musée d'Orsay

Jean-Baptiste Carpeaux a été en même temps le portraitiste de Napoléon III et un artiste qui refusait les règles de l'académie. Un précurseur passionné de la sculpture moderne qui traquait la vie et le mouvement. Un fils de dentellière qui a fréquenté les grands de son temps. Le musée d'Orsay consacre une rétrospective bienvenue à sa carrière fulgurante et tourmentée (jusqu'au 28 septembre).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Jean-Baptiste Carpeaux, "Ugolin" (1862), détail, bronze fondu par Victor Thiébaut, Paris, Musée d'Orsay
 (RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean Schormans)

Le musée d'Orsay offre une vue d'ensemble des œuvres de Carpeaux dans toutes les étapes de leur genèse : des dessins préparatoires, des petites figures modelées en terre ou en plâtre, particulièrement vivantes et virtuoses, des originaux en plâtre, des marbres. Ainsi que des peintures, car si l'artiste ne les montrait généralement pas, il était aussi peintre.

Jean-Baptiste Carpeaux, "Pêcheur à la coquille", 1861-1862, marbre, Washington, D.C., The National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection
 (Image courtesy of the National Gallery of Art, Washington)
 
Un artiste d'origine modeste

Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) est né à Valenciennes d'un père maçon et d'une mère dentellière qui déménagent en 1838 à Paris. Le jeune garçon y étudie tôt le dessin, l'architecture et le modelage à la Petite Ecole royale, gratuite, avant d'entrer dans l'atelier de François Rude et d'être admis à l'école des Beaux-Arts.
 
Il veut obtenir le prix de l'Académie, qui permet aux artistes d'aller à Rome. Il met sept ans à atteindre son but et, enfin, il reçoit en 1854 le grand prix de sculpture qui lui ouvre les portes de la villa Médicis pour quatre ans. Pour commencer, Carpeaux arrive à Rome avec des mois de retard. Lors de son séjour, il découvre Michel-Ange, un de ses grands modèles. Inspiré par le peuple italien, il se fait connaître avec son petit "Pêcheur à la coquille" au sourire si frappant.
Jean-Baptiste Carpeaux, "Ugolin", 1862, bronze fondu par Victor Thiébaut, Paris, musée d'Orsay
 (RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean Schormans)
 
"Ugolin", une grande œuvre à la genèse difficile

La grande œuvre de son séjour romain, c'est "Ugolin", dont la genèse douloureuse résume bien le personnage qui ne se plie jamais aux règlements ni aux usages. Il s'agit du dernier envoi qu'il doit effectuer pour sa quatrième année. D'abord, le thème tiré de "L'Enfer" de Dante sort des sujets imposés, normalement issus de la mythologie ou de l'histoire sainte. Ensuite, l'artiste entre en conflit avec l'Académie car son projet comporte cinq figures. Les normes en autorisent une ou deux au maximum.
 
Ugolin, muré vivant avec ses fils dans une tour va dévorer sa descendance avant de mourir de faim. Carpeaux en fait une représentation saisissante, se mordant les doigts, les traits pleins d'angoisse, ses enfants serrés autour de lui. Retardé, l'artiste obtient finalement un délai pour terminer son œuvre. Dernier désaveu, celle-ci ne reçoit pas, à Paris, l'accueil qu'il escomptait.
Jean-Baptiste Carpeaux, "Le Triomphe de Flore", dit aussi "Flore", grand modèle plâtre, Paris, Musée d'Orsay
 (RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)
 
Le sculpteur de la famille impériale

Peu après son retour, Carpeaux réalise un buste de la princesse Mathilde et se met à travailler pour la famille impériale. Il donne des cours de dessin au prince Louis-Eugène-Napoléon, fils unique de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie. Et quand il fait son portrait, il rompt avec la raideur officielle, livrant un petit garçon presque normal avec son chien. On peut voir le prince en petit, en grand, en plâtre, en terre, en marbre et en bronze argenté. C'est que ce portrait, devenu un objet de propagande, rencontre beaucoup de succès et il est décliné sous de multiples formes.
 
Carpeaux produit de nombreux portraits, d'officiels mais aussi de ses amis, de sa famille, tous criants de vie et de vérité. Ses bustes sont pleins de réalisme qu'il s'agisse de celui de l'empereur ou de celui de madame Chardon-Lagache, fondatrice d'une maison de retraite de son quartier. Pour son ami Alexandre Dumas fils, Jean-Baptiste Carpeaux sculptait "plus vrai que la vie". 
 
Le sculpteur, qui a marqué ses successeurs, "a fait les plus beaux bustes de notre temps", selon Auguste Rodin.
Jean-Baptiste Carpeaux, "La Danse", Modèle plâtre original, Paris, Musée d'Orsay
 (Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)
 
Des commandes pour le Louvre et l'Opéra qui font des vagues

Parallèlement à ces portraits, Carpeaux reçoit des commandes publiques importantes comme celle du décor de la façade sud du Pavillon de Flore du Louvre, reconstruit par l'architecte Hector Lefuel. Il va la décorer de figures sensuelles et souriantes. Là encore il se distingue et s'attire la colère de l'architecte en accumulant les retards et en réalisant un relief trop saillant, que Lefuel menace d'araser. Dépassant le statut de simple décor architectural, son travail pour le Louvre devient une œuvre à part entière.
 
En 1861, Charles Garnier, chargé de la construction du nouvel Opéra, lui commande un groupe de trois personnages inspiré de la danse, pour la façade de l'édifice. Ne faisant jamais comme prévu, il dessine une joyeuse ronde de neuf danseuses. Le projet est accepté mais quand l'œuvre est dévoilée, elle provoque un véritable scandale en raison de la nudité de ses danseuses.
Jean-Baptiste Carpeaux, "Autoportrait", dit aussi "Dernier autoportrait", Paris, Musée d'Orsay
 (RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)
 
Une carrière fulgurante

Carpeaux était d'un tempérament passionné. Pour diverses raisons, il lui arrivait de détruire ses œuvres. Comme ce buste de la marquise de la Valette, sur lequel le modèle avait émis des critiques, et que le sculpteur a attaqué à la masse. On peut voir le marbre mutilé dans l'exposition.
 
Il ne faisait pas d'autoportraits sculptés mais de nombreuses peintures de lui-même, sans complaisance, où on le verra finalement terrassé par la douleur, les yeux hagards, les traits tordus par l'angoisse. Sa carrière fulgurante n'aura duré qu'une quinzaine d'années quand il est emporté par un cancer de la vessie.
 
Carpeaux, un sculpteur pour l'Empire, Musée d'Orsay, 1 rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
Tous les jours sauf lundi, 9h30-18h, jusqu'à 21h45 le jeudi
Tarifs : 11€ / 8,50€ (gratuit pour tous le premier dimanche de chaque mois)
Du 24 juin au 28 septembre 2014

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