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Corps et mouvement : la passion de Rodin pour la danse au musée Rodin

Le musée Rodin de Paris se penche sur la relation particulière que le sculpteur a entretenue à la fin de sa vie avec la danse et les danseurs. Une rencontre qui lui a permis d'approfondir son travail sur le corps : sculptures, dessins, photos et documents qui ont appartenu à Rodin sont réunis autour de ses fameux onze petits "mouvements de danse" (jusqu'au 22 juillet 2018).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Auguste Rodin, "Mouvement de danse I avec Tête de la femme slave" et "Mouvement de danse B+ (variante)"
 (agence photographique du musée Rodin, photographies J. Manoukian)

Dans une longue vitrine au centre de l'exposition du Musée Rodin, onze figures en terre cuite d'une trentaine de centimètres décrivent une série de mouvements de danse. En grand écart, une jambe levée devant, tendue ou repliée, une jambe tirée en arrière, le corps ramassé… On est en 1910-1913 et Rodin est à la fin de sa carrière, c'est un artiste reconnu dans le monde entier. On ne sait pas ce qu'il voulait faire de cette série, qui n'a jamais été exposée de son vivant. Il ne lui avait pas donné de nom. C'est seulement beaucoup plus tard qu'on l'a appelée les "mouvements de danse".
 
Pendant longtemps, on a pensé "que Rodin avait modelé directement sur le vif Alda Moreno en train de danser ou de prendre des attitudes dans son atelier", raconte la commissaire de l'exposition, Camille Lacestremère. Mais à l'occasion d'une exposition en 2016-2017 à Londres, une étude technique a montré que le sculpteur n'avait modelé que deux mouvements, qui ont été baptisés Alpha et Bêta.

Emile Sanremo, "Rodin assis sur un banc, dessinant une danseuse cambodgienne"
 (Musée Rodin)

Rodin travaille avec des morceaux de corps comme un danseur avec ses membres

Ces deux figures de base ont été découpées, la première en trois morceaux et la seconde en six, et "Rodin a demandé à son mouleur, à partir des moulages originaux, de réaliser des moules à pièces" qu'on peut voir dans l'exposition. Puis, à partir d'éléments d'argile, il a recomposé des attitudes tellement différentes qu'on n'imaginerait pas qu'elles proviennent des mêmes matrices. "A partir du même moule, on peut avoir une figure complètement repliée sur elle-même ou complètement en extension", souligne la commissaire.
 
"Il travaille avec des morceaux de corps comme un danseur ou un acrobate peut travailler avec ses propres membres", remarque Camille Lacestremère. "Même si on a une impression de modelé assez sommaire, ce sont des mouvements très précisément étudiés", ajoute-t-elle.
 
Entre les années 1890 et la Première Guerre mondiale, Auguste Rodin (1840-1917) se passionne pour la danse, comme le montrent une série de documents présentés à l'entrée de l'exposition, qui ont tous appartenu à l'artiste : des photos d'Isadora Duncan avec ses élèves à Meudon, de la danseuse japonaise Hanako qui a posé pour lui, de Loïe Fuller. Cette dernière, qui avait inventé une danse virevoltante dans un voile, a été proche de Rodin, avec qui elle a eu de nombreux échanges.
Auguste Rodin, "Danseuse cambodgienne de face"
 (musée Rodin, photo J. de Calan)

Fasciné par les danseuses cambodgiennes

Sur une photo, Alda Moreno, nue, sourit en tenant sa jambe derrière la tête. Cette danseuse et acrobate capable d'adopter des positions extrêmes a abondamment posé dans son atelier à l'époque, notamment pour les "mouvements de danse".
 
Il y a les fameuses danseuses du ballet royal du Cambodge. Leurs mouvements et la souplesse de leurs bras ont tellement fasciné Rodin lors d'un spectacle à Paris en 1906 qu'il les a suivies pendant dix jours à Marseille, où il a passé son temps à les dessiner sur tout ce qui lui tombait sous la main, jusqu'au papier à en-tête de son hôtel. On voit sur une photo le sculpteur assis sur un banc en extérieur, face à une de ces danseuses, complètement concentré sur son dessin.
 
Aucune œuvre n'est réellement identifiée comme représentant Nijinski, si ce n'est un plâtre qui fait penser au danseur russe, mais Rodin va beaucoup au spectacle et on sait qu'il l'a vu dans l'"Après-midi d'un faune" où sa sensualité a fait scandale.
 
Car ce qui intéresse Rodin, c'est la danse contemporaine, à une époque où elle se libère du carcan académique. "Il y a une seule chose à laquelle il ne s'intéresse pas, c'est le ballet classique", fait remarquer Camille Lancestremère.

Auguste Rodin, "Femme nue qui fait le poirier", vers 1900
 (musée Rodin, photo J. de Calan)

Pas de sens de présentation défini

Rodin travaille autour des questions de l'impulsion, de l'envol, de la gravité, de l'équilibre et les danseurs sont eux aussi dans cette recherche constante. D'ailleurs, ses "mouvements de danse" n'ont pas de sens de présentation défini, fait remarquer la commissaire. Pour les exposer, on peut les poser par terre mais si on veut les dresser, il faut inventer des socles particuliers. "Ce sont des figures qui ont une forme d'autonomie dans l'espace."
 
"La statuette qui fait l'affiche de l'exposition, on l'a gardée debout, parce qu'elle était très jolie debout, mais je pense qu'il serait plus logique qu'elle soit allongée par terre", nous dit Camille Lacestremère.
 
Rodin a aussi réalisé des dizaines, des centaines de dessins de danseuses qui posent la même question de l'orientation : parfois il décalque les dessins et inverse le sens de présentation, introduisant des variations, des modulations. Dans ses dessins, il regarde son modèle bouger, suivant le mouvement avec son crayon et repassant sur les mêmes lignes pour le saisir au plus près.
Auguste Rodin, "Mouvement de danse F, avec Tête de la femme slave"
 (agence photographique du musée Rodin, ph. J. Manoukian)

Le corps dans l'espace

Quelques sculptures de taille plus importante illustrent la question du déploiement du corps dans l'espace comme ce torse du fils d'Ugolin. Des années après l'avoir créée, en 1903, Rodin décide de faire agrandir cette figure extraite d'un groupe réalisé pour "Les portes de l'enfer" dans les années 1880. Le bras qui enlaçait Ugolin se jette maintenant dans le vide, semblant changer complètement d'intention.
 
S'il n'a jamais sculpté ou dessiné Loïe Fuller –mais Rodin sculptait les corps or celui de la danseuse était  complètement caché dans le textile-, un "Mercure avec draperie", les bras en extension, derrière lequel virevolte un voile enduit de plâtre, pourrait évoquer la danseuse.
 
Tout le travail de Rodin visait à comprendre les mécanismes du corps qui permettent le mouvement. Mais, au-delà, c'est la poésie qu'il exprime qui inspire le sculpteur, comme l'attestent certains titres de dessins de danseurs ("Lever de soleil", "Coucher de soleil"…).

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