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Thomas Houseago, un sculpteur intense, au Musée d'art moderne de la Ville de Paris

Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris, en travaux, présente dans de grandes salles baignées de lumière quelques dizaines des œuvres puissantes du sculpteur britannique et américain Thomas Houseago. Une première rétrospective parisienne, autour de la figure humaine, qui permet de découvrir le travail d'un artiste intense. Jusqu'au 14 juillet 2019
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Thomas Houseago : à gauche, "Untitled (Egg)", 2015, Courtesy de l'artiste, Los Angeles ; à droite "Sitting Nude", 2006, Rubell Family Collection
 (A gauche © Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Fredrik Nilsen Studio - A droite © Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Joshua White)

Connaissez-vous Thomas Houseago (ça se prononce comme house-ago en anglais) ? Il avait été remarqué à la Biennale de Venise de 2011, qui lui avait commandé une sculpture monumentale : "L'Homme pressé" avait été installé devant le Palazzo Grassi sur un socle planté dans le Grand Canal. La grande silhouette en bronze un peu voûtée, de plusieurs mètres de haut, conçue pour l'extérieur, tient à peine sous les hauts plafonds des salles du Musée d'art moderne. Sa tête de monstre aux orbites creuses est un peu étrange quand on la regarde de face, tandis que la structure qui apparaît sur le profil lui confère une certaine fragilité.
 
A Paris, l'"Homme qui marche" de Thomas Houseago, hommage à Rodin, avait été exposé au Grand Palais en 2017 dans l'exposition du centenaire du maître français de la sculpture. Houseago était à Rennes aussi en 2018, dans une exposition collective d'œuvres de la collection Pinault, au Couvent des Jacobins ("Debout"). Plus tôt, en 2011, le centre d'art de Vassivière, en Haute-Vienne, lui avait offert une exposition monographique.

Thomas Houseago, "Walking Man", 1995, Collection Elsa Cayo, Bruxelles
 (Thomas Houseago Photo : Elsa Cayo © ADAGP, Paris, 2019)

La lumière de Paris

Mais c'est sa première exposition d'une telle envergure en France : elle retrace son parcours depuis ses plâtres des années 1990. "C'est vraiment la première fois que j'aime mon travail dans une exposition. Honnêtement, j'ai toujours l'impression que quand une œuvre arrive dans un espace, dans une galerie, on perd la connexion, on ne la reconnaît plus et on a l'impression de s'être perdu. Et pour la première fois de ma vie, c'est l'inverse qui se produit : j'ai l'impression de mieux comprendre mon travail."
 
Le sculpteur rend chaleureusement hommage à l'équipe avec laquelle il a travaillé pour l'exposition, le directeur du Musée d'art moderne de la Ville de Paris Fabrice Hergott, la commissaire Olivia Gaultier-Jeanroy. Il remercie Paris aussi de l'accueillir. Paris qui est pour lui "la ville de la sculpture". Ces dernières semaines, il a compris pourquoi, dit-il : c'est grâce à la lumière, une lumière qui sert la sculpture. Et l'architecture de la ville est selon lui un "jardin d'Eden" pour la sculpture.
 
Du baratin poli ? Difficile à imaginer, car il parle avec une intensité émouvante, on a l'impression d'être face à quelqu'un d'excessivement entier. Ses mots semblent lui sortir du fond des tripes, comme ses sculptures.
Thomas houseago, "Serpent", 2008, Collection Baron Guillaume Kervyn de Volkaersbeke
 (Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Fredrik Nilsen Studio)

Des influences multiples

Thomas Houseago est Britannique, il est né en 1972 dans la ville ouvrière de Leeds (nord de l'Angleterre), dans un milieu modeste. Entre 1991 et 1996, il a étudié l'art à Leeds, à Londres, puis à Amsterdam, avant de vivre à Bruxelles. En 2003 il part pour la Californie où il travaille aujourd'hui. Ses premières années aux Etats-Unis sont difficiles, il travaille comme ouvrier dans le bâtiment pour vivre. Jusqu'à ce qu'un couple de collectionneurs de Miami le remarque en 2006 et lui achète plusieurs œuvres. Sa carrière est lancée.
 
Pendant les travaux du Musée d'art moderne, l'exposition, concentrée essentiellement sur la figure humaine, se déploie dans des espaces du rez-de-chaussée que bordent de grandes baies vitrées laissant entrer cette fameuse "lumière de Paris", avec vue sur le bassin du Palais de Tokyo.
 
La présentation est chronologique et commence avec les premières œuvres de Thomas Houseago, essentiellement des plâtres. On est accueilli par "Sister", une figure féminine en pied monumentale, avant de découvrir le fameux "Homme qui marche" ("Walking Man", 1995) au pas puissant, aux muscles modelés à la main. Les figures en plâtre debout, assises, déformées, présentées au centre de la salle, sont souvent coupées transversalement en deux, laissant voir leur envers. L'artiste mêle parfois plâtre et bois. Ses influences sont multiples, de Rodin à Picasso ou Brancusi, de Henry Moore à Markus Lüpertz…
Thomas Houseago, "California", 2018
 (Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Fredrik Nilsen Studio)

Du plâtre au bois de séquoia

Aux murs, des visages, sur des plaques de plâtre, sont à mi-chemin entre le dessin et la sculpture : d'abord des masques aux tracés noirs ("Poured Masks", début des années 2000), puis colorés aux pastels ou aux crayons ("Fractured face for MEF"), à l'allure cubiste. Car Houseago est aussi peintre.
 
Dans la deuxième salle, la figure disparaît au profit de constructions architecturales de plâtre complexes, plus abstraites, jouant avec le plein et le vide. Un gros œuf creux est posé sur un socle taillé dans le bois.
 
Thomas Houseago taille aussi directement et grossièrement des figures impressionnantes dans de gros troncs de sequoia : une chouette, son animal fétiche (son atelier à Los Angeles s'appelle "Owl Studios") ou une figure paternelle allongée ("Wood Skeleton, Father", 2018) qui évoque les gisants du Moyen-Age. Ou encore une espèce de totem sculpté d'abord dans un tronc de séquoia puis fondu en aluminium.
Thomas Houseago : à gauche, "Somatic Painting (Crowd)", 2018, Courtesly de l'artiste, Los Angeles ; à droite,  "Untitled (Black Painting 6)", The Broad Art Foundation
 (A gauche © Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Fredrik Nilsen Studio - A droite © Thomas Houseago © ADAGP, Paris, 2019 Photo : Fredrik Nilsen Studio)

Au mur, des peintures hallucinées

Autour de l'"Homme pressé" dont on a parlé plus haut, face au bassin extérieur, des peintures et des dessins sont accrochés. D'un côté, des toiles entièrement couvertes de peinture noire ("Black Paintings") sur lesquelles des crânes sont tracés dans l'épaisseur de la pâte. De l'autre, les "Somatic Paintings", dessins au charbon hallucinés, chaotiques et puissants sur des toiles blanches, représentent une foule ou l'étreinte d'une femme avec la mort. Ils ont été inspirés par des séances de "psychologie somatique" pendant lesquelles Houseago a dessiné de façon semi-inconsciente.
 
C'est toujours impressionnant de voir un sculpteur à l'œuvre et, pour terminer, c'est l'aspect performatif du travail de Thomas Houseago qui est abordé : dans un film réalisé par sa compagne, Muna El Fituri, on le voit dans son atelier : il y partage la force et la jubilation enfantine du contact charnel avec la matière. Les pieds dans la terre, il modèle une installation, espèce d'estrade d'argile dont un moulage en plâtre exposé devant nous montre l'aboutissement. C'est une espèce de métaphore de son atelier.
 
Plusieurs zones s'y juxtaposent : des sièges y ont été façonnés, un lit creusé où on voit le sculpteur s'allonger et se recouvrir d'un drap de terre humide. Des photos accrochées au mur le montrent la tête en bas, glissant de tout son long sur la glaise.
 
Pour Thomas Houseago, "l'atelier est le centre de mon existence. C'est là que tout se passe".
Thomas Houseago, "Cast Studio" (stage, chairs, bed, mound, cave, bath, grave), 2018, Courtesy de l'artiste, Los Angeles
 (Muna El Fituri)

 

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