Une contrefaçon "quasi industrielle" d'oeuvres de Rodin jugée à Paris
Quatre prévenus, dont Gary Snell, patron américain de la société "Gruppo Mondiale", sont poursuivis pour avoir édité et commercialisé des œuvres du père du "Penseur", sans dire qu'il s'agissait de simples reproductions, à partir de plâtres vendus par la fonderie Rudier utilisée par l'artiste de son vivant.
La justice avait été saisie en mars 2001 d'une plainte pour escroquerie et contrefaçon du Musée Rodin de Paris qui détient les droits moraux de l'artiste. Le sculpteur avait fait don en 1917 de l'ensemble de ses œuvres originales, plâtres, moulages, bronzes..., à l'État français, à charge pour se dernier de valoriser son patrimoine dans un musée qui bénéficie en conséquence d'une exclusivité en France sur l'édition et la conservation des oeuvres originales de l'artiste.
Des plâtres évaporés dans la nature
Mais un certain nombre de plâtres de la fonderie Rudier n'ont pas été remis au musée et se sont évaporés dans la nature, passant de main en main, avant d'être acquis pour quelque 6 millions de dollars par le patron de Gruppo Mondiale, qui en a tiré des bronzes exposés et commercialisés dans le monde.
Le Musée Rodin avait été alerté de la présence d'une cinquantaine de plâtres et de bronzes de l'artiste, présentés comme des originaux, exposés à Venise (Italie), Maastricht (Pays-Bas), Genève (Suisse) ou encore au MacLaren Art Centre de Toronto (Canada). Quarante-neuf sculptures de l'artiste figuraient également sur le site internet de "Gruppo Mondiale".
Une enquête au long cours menée avec le concours d'un expert, Gilles Perrault, a permis aux policiers de remonter la piste de ces sculptures. Des perquisitions ont permis de mettre la main sur 93 moules et 56 bronzes dans la fonderie italienne Guastini utilisée par "Gruppo Mondiale". Trois moules ont par ailleurs été retrouvés dans une fonderie de l'Essonne et 2 bronzes et 14 plâtres d'atelier chez un sculpteur chargé par Gary Snell de fabriquer des moules pour reproduire des œuvres.
1.700 bronzes de Rodin tirés à partir de 52 oeuvres de l'artiste dans la nature
Parmi ces reproductions figurent des oeuvres majeures de l'artiste comme "le Baiser", le "Penseur" ou "la Main de Dieu". Gary Snell reconnaît avoir acheté des plâtres à plusieurs intermédiaires, dont Jacques Marcoux, Robert Crouzet et René-Claude Cueto, qui sont renvoyés en correctionnelle à ses côtés.
L'enquête a permis de démontrer que ces trois hommes avaient eux-mêmes acquis ces pièces auprès de personnes en relation avec les derniers exploitants ou héritiers de la fonderie Rudier. "Le préjudice doit se monter à quelque 60 millions d'euros", a expliqué à l'AFP l'expert Gilles Perrault, selon qui 1.700 bronzes de Rodin tirés à partir de 52 oeuvres de l'artiste seraient dans la nature.
Des oeuvres dénaturées par les surmoulages
"Chaque pièce était vendue 40.000 euros en moyenne", a-t-il indiqué. Selon lui, le tirage excessif de bronzes à partir de surmoulages de plâtres qui ne devaient supporter qu'un nombre limité d'exemplaires aurait également eu pour conséquence de dénaturer la qualité des oeuvres présentées au public comme des originaux.
Pour Me Christian Beer, avocat de Gary Snell, les plâtres acquis par son client étaient des "plâtres d'atelier ou de fonderie" qui permettent des productions de bronzes de qualité. Quelque 500 pièces ont été réalisées dans ce cadre", a-t-il précisé, en contestant la validité des poursuites intentées à son client.
"L'oeuvre de Rodin est dans tous les pays dans le domaine public sauf en France où l'on exige la mention 'reproduction'". Or, aucun des tirages incriminés n'a été réalisé ou commercialisé en France, fait-il valoir, voyant dans l'action en justice du Musée Rodin un moyen de défendre un monopole commercial. Le procès se poursuit les 19 et 25 septembre.
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