Visions africaines de l'homme blanc au Quai Branly
C'est un point de vue qu'on n'a pas l'habitude d'envisager de ce côté-ci de la Méditerranée : l'exposition "Homme blanc / Homme noir" aborde le thème de la représentation de l'Occidental dans l'art africain du XXe siècle à travers 90 pièces et photographies.
Alors que l'Europe conquiert l'Afrique, elle se familiarise avec la figure de l'Africain mais celui-ci aussi s'habitue à la figure du blanc et intègre dans ses représentations le soldat, l'officier, le prêtre, l'évêque, le commerçant qui conquièrent ses côtes et ses terres.
En 1954 déjà, une exposition sur ce thème à Londres
Le thème n'est pourtant pas inédit : le Quai Branly ouvre en effet sur des photos d'une exposition qui avait eu lieu à Londres en 1954, sur les "Européens vus à travers les yeux des indigènes". On y voyait par exemple une sculpture de cycliste et une représentation de la reine Victoria venues du Nigéria. Et plus tôt, dès 1937, l'anthropologue allemand Julius Lips s'était intéressé à ce point de vue et y avait consacré un ouvrage, "The Savage Hits Back".Un fac-simile de son article "C'est ainsi que l'homme noir voit l'homme blanc" montre une série de statuettes représentant différents types d'homme blanc, les dirigeants comme la reine Victoria ou le roi Albert de Belgique, des militaires de divers pays d'Europe, des missionnaires, des nonnes, un planteur, un marin, un marchand, un fonctionnaire.
L'art "colon", de l'ironie à l'intégration de nouveaux éléments iconographiques
Des photos anciennes nous montrent des dignitaires africains qui s'approprient les attributs des blancs : ils apparaissent demi-nus avec un haut-de-forme et un fusil, des vestes militaires sur des pagnes, surmontées d'un casque colonial ou d'une casquette. Mais l'essentiel des pièces de l'exposition sont des sculptures en bois, dites "art colon" : il s'agit de représentations d'hommes ou femmes affublés d'attributs occidentaux : c'est souvent le casque colonial ou un vêtement militaire, ça peut être un parapluie ou une cravate.On peut voir de l'ironie dans certaines des représentations d'hommes de pouvoir occidentaux. En même temps, les images de ces dirigeants se diffusent et elles sont intégrées à l'art africain. Un pagne en wax est illustré de photos du général De Gaulle et d'extraits du journal officiel. Si l'envahisseur peut susciter la crainte et la haine, comme le raconte un extrait de "L'Etrange destin de Wangrin" d'Amadou Hampâté Bâ (1973), certaines figures ont pu rencontrer de la sympathie, comme "Le Rouzic", médecin breton qui lutta contre la maladie du sommeil dans la région de Bobo-Dioulasso (actuel Burkina Faso) dans les années 1940 : il est représenté dans un type de sculpture sacrée.
Un art en évolution constante
Et une série d'œuvres, considérées comme des "chefs-d'œuvre" de l'art africain et relevant de l'art rituel, sont exposées pour montrer que, loin d'un art primitif figé, il est constamment en évolution et a intégré de nouvelles figures symboliques. Des masques sont surmontés d'un casque ou d'un chapeau mou, d'un blanc sur une chaise…Avec la christianisation, les objets religieux comme les crucifix mêlent iconographie traditionnelle et occidentale, un bâton de magicien est surmonté d'une représentation de missionnaire.
L'art s'intéresse aussi aux objets modernes : un buste de femme porte un avion sur la tête, des sculptures représentent un transistor orné de perles en Afrique du Sud (1940) ou, plus récemment, des bouteilles de Coca Cola ou de Schweppes au Mozambique.
"Les maîtres fous" de Jean Rouch, ou l'exorcisme du choc des cultures
Il faut prendre le temps de regarder le remarquable documentaire de Jean Rouch "Les maîtres fous" (1955, 20'), projeté dans l'exposition. Il montre une cérémonie des membres de la secte des Haoukas. Ces jeunes hommes venus vivre à la ville, à Accra (Ghana), retournent une fois par an à la campagne pour une cérémonie au cours de laquelle ils sont tous possédés et se mettent à incarner des personnages coloniaux, le gouverneur, la femme du médecin, le chauffeur de locomotive, le caporal de gardeDans un entretien sur France Culture, en 1957, Jean Rouch voyait dans cette cérémonie un moyen trouvé par les Africains pour se débarrasser des névroses provoquées par le choc de la rencontre de notre civilisation. "Mon film est quelquefois assez violent mais pour une fois c'est de l'Afrique que les Européens apprendront quelque chose, car je pense que dans le domaine psychiatrique, certains Africains sont très en avance sur nous. Ils connaissent des techniques thérapeutiques que nous ne connaissons pas encore", disait l'ethnologue et réalisateur.
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