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De Blek le Rat à Banksy, Miss.Tic ou Invader : 60 ans de street art à Paris exposés à l’Hôtel de Ville

L'Hôtel de ville de Paris consacre une exposition inédite et foisonnante à l'art urbain, qui se renouvelle et s'écrit chaque jour sur les murs de la capitale depuis des décennies. Ce parcours chronologique baptisé "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris" est à voir jusqu'au 11 février 2023. 

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une collection de bombes de peinture aérosol et une série de vues macroscopiques de tags parisiens (collection personnelle de Nicolas Gzeley) exposées à "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

Soixante-dix artistes pour retracer l’histoire toujours en marche de l’art urbain à Paris, c’est le pari réussi de l’exposition Capitale(s), 60 ans d’art urbain à Paris, qui vient de débuter à l’Hôtel de Ville et se poursuit jusqu’au 11 février 2023. Cette révolution visuelle, qui dérange autant qu’elle captive, a fait de la capitale un terrain d’expression extrêmement riche de styles et de techniques (pochoir, graffiti, collage, stickers, peinture, mosaïque, sculpture etc), qui continuent de s’y épanouir.

Les pionniers en ouverture de l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris", avec une oeuvre de Blek le Rat (au premier plan à droite). (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Les précurseurs

Si le hip-hop a fortement contribué à l’essor du graffiti dans les années 80, il s’est inscrit sur un terreau d’art urbain déjà bien nourri dans la capitale. Dès les années 60 et 70, peintures, collages, pochoirs et affiches pullulent sur ses murs, signés Jacques Villeglé, Ernest Pignon-Ernest ou Zlotykamien. "J’avais remarqué que mes contemporains voulaient toujours exposer dans une galerie donnant sur la rue. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne peignaient pas directement à l’extérieur", souligne ce dernier, connu notamment pour ses silhouettes minimalistes peintes à la bombe aérosol sur les palissades du chantier des Halles. Il ne croyait pas si bien dire : Paris devint bientôt une galerie à ciel ouvert.

Gérard Zlotykamien (à gauche à Paris en 1984) appose dès les années 70 "ses silhouettes peintes à la bombe aérosol héritées des formes de Calder et de Miró". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Dans le sillage de ces précurseurs, émergent les rongeurs de Blek le Rat (grand inspirateur de Banksy), les super-héros de Speedy Graphito, les pochoirs aux messages poétiques de Miss.Tic, les silhouettes blanches de Jérôme Mesnager et les portraits de Jef Aérosol.
A l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris", on aperçoit à gauche une silhouette blanche de Jérôme Mesnager et à droite un des célèbres portraits de Jef Aérosol. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

L'arrivée du graffiti hip-hop

De son côté, le graffiti déboule en France autour de 1982 avec l’arrivée du franco-américain Bando et du New York City Rap Tour, qui importe cette pratique alors reliée au mouvement hip-hop. L’épicentre parisien des premiers pratiquants devient le mythique terrain vague de Stalingrad, repéré depuis le métro aérien par le graffeur Ash, où sévira notamment son collectif Bad Boys Crew (BBC = Ash, JayOne et Skki).

Un panneau de ligne de métro "décoré" d'un "Subway Art" au lettrage à l'ancienne, référence au nom d'un livre mythique paru en 1984 sur le graffiti new-yorkais, qui a énormément inspiré les artistes français. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Parallèlement, découvrant l’ouvrage Subway Art de Martha Cooper et Henri Chalfant (1984) sur le graffiti new yorkais, les graffeurs franciliens, grisés par la difficulté et le danger, jettent résolument leur dévolu sur le matériel roulant, en particulier les rames du métro, qui permettent de faire voyager leur signature et d’être vus du plus grand nombre.

Le happening à la station Louvre

Mais alors que la RATP déclenche une chasse impitoyable aux graffeurs, les traînant dès qu'elle le peut en justice, et que les œuvres sont de plus en plus rapidement nettoyées, anéantissant leur travail, un groupe de graffeurs "vandales" emmené par Oeno va frapper un grand coup. Le 1er mai 1991, ils prennent d’assaut la station de métro Louvre-Rivoli et recouvrent de tags rageurs les reproductions en plâtre des oeuvres d’art issues du plus prestigieux musée du monde.

Une collection de bombes aérosols, des masques de graffeurs, et dans la vitrine des carnets de croquis, "nameplates", coupures de journaux et appareil photo, à l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

On peut voir à l’exposition plusieurs reportages télévisés de ce happening et les réactions plus ou moins outrées des usagers du métro, mais aussi une vidéo réjouissante (Ticket chic, Pub Choc) sur la campagne publicitaire de la RATP, qui, pour se montrer dans le coup, avait joué dès 1984 sur l’idée du graffiti vandale piratant les affiches du métro… se tirant de fait une balle dans le pied.

A ne pas rater également, la lettre à la Zulu Nation française de son fondateur Afrika Bambaataa (considéré comme le père du mouvement hip-hop) datée des années 80, qui interdit formellement à ses affiliés de pratiquer le tag, "cet acte stupide, sauvage et gratuit qui ne peut que rendre le mouvement hip-hop impopulaire"...

De la rue aux galeries d'art

L’étage inférieur débute avec le légendaire Futura 2000, né à New York en 1955, dont la démarche artistique s’est très tôt déployée sur toiles, contribuant fortement au passage du graffiti de la rue et des tunnels du métro aux cimaises des galeries et des grandes institutions (c'est aussi lui que la RATP avait engagé pour sa campagne de pub de 1984 basée sur le graffiti, voir plus haut).

Avec son style abstrait, le New-yorkais Futura 2000, légende du graffiti, expose en galerie à Paris dès 1984 chez Yvon Lambert. Il va jouer un rôle déterminant dans le passage du graffiti des rames de métro aux cimaises des galeries et des institutions.  (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

Au début des années 90, alors que la répression s’intensifie contre les graffeurs, le débat va faire rage entre les tenants du vandalisme et les partisans d’une approche esthétique plus élaborée. Adepte de la seconde, l’Américain JonOne s’installe à Paris, où son art est très tôt reconnu et exposé.

Les artistes cherchant toujours à se singulariser, le pur graffiti cède la place à de nouvelles propositions originales, comme celles d’André, qui signe son empreinte avec un personnage plutôt qu’un nom, ou d’Invader, qui travaille la mosaïque et fait passer l'art urbain dans une phase plus conceptuelle.
Le corner consacré au duo d'artistes français Lek et Sowat issus de la scène graffiti des années 2000, à l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris".  (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

Paris, terrain de jeu d'un art sans cesse renouvelé

De mieux en mieux compris et accepté, l’art urbain, qui contribue à l’attractivité touristique de la capitale, est accueilli à bras ouverts : les street artistes français et étrangers sont invités à s’exprimer sur les murs XXL, soit de lieux en transition (immeubles voués à la démolition) soit à des emplacements visibles de tous depuis la rue. La mairie du 13e arrondissement est particulièrement en pointe dans ce domaine depuis une dizaine d’années, le boulevard Vincent Auriol regroupant à lui seul plus d'une vingtaine d’œuvres monumentales signées notamment Shepard Fairey (alias Obey), D*Face, C215 ou BToy.

Une vitrine d'autocollants imprimés par divers artistes parisiens (collection personnelle de Gautier Bischoff et Nicolas Gzeley) à l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

Chaque jour, de nouvelles trouvailles et de nouvelles techniques viennent s’ajouter aux anciennes sans les détrôner, Paris en témoigne. Ainsi, le travail au burin du Portugais Vhils n’a pas démodé les pochoirs à messages du Britannique Banksy venu souvent éblouir ou consoler la capitale (jusque sur la porte du Bataclan), l’art du sticker en réalité augmentée de 9e Concept ne disqualifie pas les recherches des graffiti artistes Lek et Sowat, tandis que le bestiaire à la craie de Baudelocque n’empêche pas les collages photographiques de JR de continuer à rayonner.
A droite, une oeuvre de l'artiste français Dran, du collectif de street artistes DMV, vue à l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

Une exposition vivante, à voir aussi avec les enfants

Pleine de couleurs et de propositions, cette exposition très dense rend hommage à la créativité mais aussi à la vitalité de l’art urbain en marche, d'hier à aujourd'hui. Il faut prendre le temps (comptez deux bonnes heures) de regarder les œuvres et lire les légendes. Et ne surtout pas faire l'impasse sur les nombreux reportages (hélas on doit tendre l’oreille) proposés en contrepoint sur des écrans : ils sont souvent passionnants (le travail tout en délicatesse de la street artiste YZ par exemple, ou la plongée dans les catacombes avec l'artiste Psyckoze) et parfois très drôles (André, tout jeune, changeant les plaques de publicités à l'arrière des bus pour ses propres œuvres).

Une oeuvre de l'artiste Seth, connu pour son univers poétique peuplé d'enfants, à voir à l'exposition "Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris". (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

L’exposition peut se voir avec plaisir avec des enfants, car le sujet manifestement les captive et plusieurs dispositifs ludiques leur permettent de s'essayer virtuellement au tag et au graff, tandis que la Graff Box leur fait découvrir en temps réel la gestuelle des artistes à l'oeuvre. Soyez prêts à répondre à leurs nombreuses questions : chez certains de ces jeunes visiteurs pourraient bien couver les héros de l'art urbain de demain.

Capitale(s), 60 ans d'art urbain à Paris
Hôtel de Ville de Paris jusqu'au 11 février 2023
(entrée 5 rue de Lobau, Paris 4e)
Horaires : du lundi au samedi de 10h à 18h30, nocturne les jeudis jusqu'à 21h
Accès gratuit sur réservation uniquement 

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