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Graffiti : pour le documentaire "Vandal", BrutX a retrouvé les anciens "ennemis numéro un" de la RATP

Fascinés par la révolution visuelle d'une poignée de graffiti artistes sur les rames du métro new-yorkais, des dizaines de collectifs armés de bombes de peintures se mettent à sévir en France au début des années 90. Pourchassés par la RATP et la police, ils témoignent dans ce documentaire de la fièvre shootée à l'adrénaline qui s'était emparée d'eux.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Woody du crew CIA dans le documentaire "Vandal" de Pedro Brito Da Fonseca (2022), à voir sur la plateforme BrutX.  (BRUTX)

Le graffiti vandale, ce sont ses adeptes qui en parlent le mieux : "C’est l’essence même de ce qu’est le graffiti". "Quand on commence, c’est fini, ce n’est plus possible d’arrêter." "C’est interdit, ça n’a pas de sens, mais c’est ça qui me plaît". "C’est comme le sexe, c’est un moment où tu t’oublies." "C’est la liberté." "Et tant mieux si ça vous choque". Même trente ans après, la passion et l'ivresse de ceux qui l’ont pratiqué intensivement est palpable dans le captivant documentaire Vandal, disponible depuis quelques jours sur BrutX (sur abonnement).

Le "King" Bando témoigne face caméra

Le réalisateur Pedro Brito Da Fonseca a retrouvé pour ce film une belle brochette de cadors du genre, à commencer par Bando, précurseur et writer légendaire de la fin des années 80 et du début des années 90. Resté longtemps dans l'ombre, le désormais quinqua témoigne face caméra depuis la République Dominicaine où il est installé. Six autres graffeurs-tagueurs racontent leur épopée : Jack2 et Woody du collectif CIA, Shadow (Robin) et Rap (Fabien) du crew U.V. ainsi qu’Eyeone des TPK, autoproclamé "bête noire du graffiti".

Brito Da Fonseca a aussi réussi à faire parler Oeno, le meneur de la petite troupe qui a vandalisé en mai 1991 la station Louvre, considérée alors comme "la plus belle station" du métro parisien, vitrine du plus grand musée du monde. "Ils ont planté le drapeau du vandalisme sur la Lune", affirme Bando, admiratif, au sujet de ce symbole majeur du graffiti vandale ultra médiatisé et resté dans les annales.

Le graffeur franco-américain Philippe Lehman alias BANDO, dans le documentaire "Vandal" de Pedro Brito Da Fonseca (2022) visible sur la plateforme BrutX. (BRUTX)

Oeno, instigateur du saccage de la station Louvre, sans peur et sans remords

Mais Oeno, alors âgé de 18 ans, a payé cher ce coup d’éclat qui lui a permis "d’exposer" à côté de reproductions de stèles égyptiennes. Il fut arrêté avec deux complices, Stem et Gary, et incarcéré à Fleury-Mérogis durant un mois en préventive – une première pour des graffeurs - avant d’écoper d’un sursis assorti d’une grosse amende. Aujourd’hui, Oeno est sans remords, rigolard mais toujours rageur : "Y’en a qui font des mots croisés, nous on enc... la RATP (...) Eux, ils nous imposent des affiches qu’on n’a pas voulues, pour consommer. Nous, on impose notre art."

Suite à ce coup de projecteur majeur, mais aussi au reportage "mythique" d’Envoyé Spécial diffusé l’année précédente, qui montrait notamment le crew 93 NTM ravageant le RER dans un entrepôt de la SNCF désert, les vocations explosent. Tout le monde se met au tag et au graffiti vandale. Au point qu’au début des années 90, le phénomène est désigné "ennemi numéro un de la RATP".

La RATP a géré le phénomène "comme une guerre"

C’est là qu’entre en scène le personnage de "Monsieur Propre" de la RATP. Cet homme, qu’on croirait tout droit sorti des Tontons Flingueurs (il parle comme Blier), explique sans rire avoir "toujours eu un coup d’avance. Parce que j’ai géré ça comme une guerre." On se délecte de la contradiction que met en lumière le documentaire entre ses dires et ceux de Bando. Ce "Monsieur Propre" ira jusqu’à faire appel à une équipe de détectives privés pour traquer et infiltrer le mouvement. Sur son impulsion, est élaboré le DAG, un dispositif anti-tags qui empêche la peinture d’adhérer, mais pas les peintres de continuer à chercher à bomber partout où ils le peuvent.

Inspirés par l’ouvrage Subway art de Martha Cooper et Henri Chalfant sur le graffiti new yorkais qui cible les trains, ces taggeurs fiévreux deviennent les "saigneurs" du rail. Pressés de laisser une trace, ils inscrivent leur nom partout et hantent les tunnels du métro et du RER en quête d’entrepôts de trains à "défoncer", tout en évitant les caméras et en déjouant les systèmes d’alarme de plus en plus sophistiqués. Shootés à l’adrénaline, plusieurs graffeurs du documentaire se retrouvent à Rome et vivent dix jours intenses qui marqueront le début de la fin. Car, dans l'ombre, la police mène l'enquête et organise la riposte.

L'artiste Eyeone dans le documentaire "Vandal" de Pedro Brito Da Fonseca (2022).
 (BRUTX)

Des années d'archives à la poubelle

Le dernier tiers du documentaire est bien moins réjouissant que le début. L'énergie créatrice turbulente cède la place à la guerre entre crews, à la violence, aux trahisons et surtout au fameux procès de Versailles débuté en 2005, qui va durer 13 ans et "bousiller" la vie de 56 graffeurs vandales. Ils seront non seulement interdits d’approcher d'une gare durant toutes ces années, mais ils verront en outre disparaître leurs précieuses archives, qui, après avoir servi de preuves à conviction, seront impitoyablement détruites par la police. Car les graffeurs, artistes ou "salisseurs" de l’éphémère, documentent et conservent soigneusement la trace de  leurs méfaits en photos et films (sur K7 VHS à l’époque), dont certains, mis à l’abri durant vingt ans, irriguent le film.

A ce sujet, les témoignages des protagonistes du documentaire sont touchants. On sent l’abattement et le sentiment d’injustice, d’autant plus criant que le graffiti est désormais considéré comme une des formes de l’art urbain reconnue et marchandisée, qui s’expose en galeries et en musées.

Vandal, un documentaire de Pedro Brito Da Fonseca avec Nils Montel (2022, 50 minutes). Disponible sur la plateforme BrutX (sur abonnement)

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