"Hip-Hop 360" à la Philharmonie : 5 questions au commissaire d'exposition François Gautret
Présentée à la Philharmonie de Paris, l'exposition "Hip-Hop 360" qui ouvre ses portes ce vendredi 17 décembre rend hommage à ce mouvement arrivé en France il y a 40 ans et désormais incontournable. Le commissaire d'exposition revient pour nous sur la fabrication de cet événement et sur les idées-force qui l'ont guidé.
Comment le hip-hop, ce mouvement né dans les ghettos noirs new yorkais, s'est-il implanté en France dans les années 80 ? Comment a-t-il été si bien adopté ici au point d'être aujourd'hui dominant chez la génération des milleniums ?
Avec cette exposition ludique et très bien documentée, le commissaire d'exposition François Gautret a surtout voulu montrer le foisonnement et la grande diversité de cette culture pluridisciplinaire, mais aussi les médiums avec lesquels elle entretient un dialogue fructueux, qu'il s'agisse de cinéma, de radio, de mode ou de photo.
Quels sont vos rapports personnels avec le hip-hop ?
François Gautret : J’ai grandi dans le 19e arrondissement de Paris, au plus près des pionniers, à Stalingrad. Mon voisin de palier s’appelait DJ Abdel, et Dee Nasty vivait dans la tour d’à côté. Je n’ai pas découvert le hip-hop à un moment donné, je suis né dans cette culture. Mon frère qui a neuf ans de plus que moi écoutait la musique, les potes graffeurs de BBC (les pionniers Bad Boy Crew) passaient à la maison, j’ai donc tout le temps baigné dans cet univers là. Etant plutôt réservé de nature, je n’étais pas le maître du micro mais j’avais besoin de m’exprimer et j’ai trouvé ma voie très jeune : je suis entré dans la danse, dans le break, à l’âge de 9 ans. En parallèle à mes études, j’ai intégré la compagnie de danse Quintessence en 1996 et j’ai accompagné un peu plus tard le collectif de DJ Double H crew - chaque fois que Cut Killer, DJ Abdel ou Pone faisaient un concert, ils nous appelaient pour danser. J’ai monté ma propre boîte en 1999, RStyle, avec laquelle j’organise depuis 22 ans toutes sortes d’évènements autour du hip-hop au sens large, comme le festival de cinéma Urban Film Festival. Par la force des choses, je suis devenu archiviste des contenus filmés et RStyle est devenu un centre de ressources, les gens me réclamant de revoir tel ou tel film qu’on ne trouvait pas sur internet. Une des difficultés rencontrées dans la fabrication de l’exposition a justement été de retrouver les archives des clips de rap en HD. C’est très compliqué, même des chaînes musicales comme MTV ont beaucoup jeté de masters vidéo. Les archives disparaissent au fur et à mesure, et avec elles le patrimoine du hip-hop.
Justement, qu’est-ce qui a été le plus difficile à dénicher et que vous êtes particulièrement heureux de présenter ?
Je suis particulièrement fier d’avoir retrouvé l’affiche du New York City Rap Tour. Ce concert, c’est l’arrivée du hip-hop en France avec les Américains qui débarquent il y a 40 ans à l’Hippodrome de Pantin, c’est à dire quasiment à l’endroit même de la Philharmonie ! Cette affiche a été particulièrement difficile à dénicher parce que même Bernard Zekri qui a organisé la tournée à l’époque, ne l’avait pas et ignorait où la trouver. On a finalement remis la main sur l’originale à New York, dans le Universal Hip Hop Museum du Bronx. Ils nous l’ont prêtée et nous l’avons fait venir spécialement pour l’occasion. Pour l’accompagner à l’exposition, nous montrons un extrait vidéo hyper rare du New York City Rap Tour. Il y a l’extrait de Megahertz où on les voit s’exprimer au Bataclan avec DST, Fab 5 Freddy, Rammellzee, les Rock Steady, et un autre petit film, Rap, de Pascal Venturini. Nous avons fait un vrai travail de fond pour retrouver des contenus sur cet événement fondateur dont beaucoup ont entendu parler sans vraiment en connaître les détails.
Qu’est ce qui a été le plus difficile dans la réalisation de ce parcours ?
Ce qui a été le plus difficile, je crois, ça a été de présenter les contenus d’archives de façon originale et interactive. La scénographie réalisée par Clémence Farrell est sublime, avec la tôle ondulée, une référence aux rideaux de fer, à la rue, mais d’une façon assez feutrée. L’idée c’était vraiment de donner une dimension forte à des choses comme le fameux terrain vague de la Chapelle où tout a commencé. Les équipes audiovisuelles ont aussi fait un formidable travail sur l’idée du 360 : on va donc être entourés d’images d’archives mais augmentées de sons spatialisés. Quand on est au terrain de vague de La Chapelle, on voit le métro aérien qui passe à droite en vidéo mais on l’entend aussi à droite, et puis on a les graffeurs qui peignent à gauche et on les entend à gauche, de sorte que c’est vraiment une expérience pour le visiteur. J’ai voulu m’éloigner du musée un peu poussiéreux et amener une partie événementielle, vivante, ludique, avec des programmations en continu dans les espaces d’exposition, des performances, des battles. Voir aujourd’hui se réaliser mes petits croquis, c’est un aboutissement. L’espace audiovisuel à 360° était un rêve, et c’est donc une joie de vivre ça.
Le hip-hop a-t-il encore besoin d’être expliqué et légitimé en 2022 ?
Je pense qu’il reste encore incompris alors qu’il est partout aujourd’hui. Le hip-hop reste mal vu. Le mouvement a toujours dû se battre pour tout. En tant que danseur, ne serait-ce que pour avoir accès à une salle de danse, j’ai souvent été obligé de dire que je faisais de la danse contemporaine. Avec l’expo, j’ai surtout voulu montrer la diversité du mouvement. Parce qu’on a encore tendance à confondre le hip-hop avec le rap, ou avec la danse, qui ne sont qu'une partie du tout. Je voulais également intéresser toutes les générations. Cette culture perdure parce que chaque génération se la réapproprie, y injecte sa musicalité, ses influences, l’origine et le vécu de ses acteurs. Mais comme tout le monde se l’approprie on trouve tout et son contraire dans cette culture, qui n’est que paradoxes : on peut avoir le mouvement Zulu Nation qui prône la paix et l’unité, mais on peut aussi avoir le mouvement gangstarap. On peut avoir le mainstream et l’underground. On peut avoir les vandales graffiti et les artistes en galerie. On peut avoir du rap hardcore et du rap poétique. Du break aux Jeux Olympiques et du break dans les battles ou à Chaillot. On peut être dans l’art de la débrouille au plan vestimentaire mais on peut faire des collabs' avec les maisons de luxe. Les opposés ne s’annulent pas, ils se répondent.
Au-delà des conseillers dont vous vous êtes entouré (l’auteur Vincent Piolet, le journaliste Yérim Sar et le réalisateur Franck Haderer), vous-êtes vous senti soutenu par le milieu du hip-hop français ?
Si je veux être vraiment honnête, tout le monde n’y croyait pas vraiment. Ça n'a pas toujours été facile de mobiliser les acteurs du mouvement. Certains avaient des réticences, du genre : "La Philharmonie c’est l’Etat, ils ne nous ont jamais soutenus, pourquoi on va leur donner de la force maintenant ? Etc". Oui, ok, je comprends, mais en même temps c’est aussi une occasion de mettre le pied dans la porte et pourquoi pas de développer des choses. Je pense que tout le monde a son hip-hop, son interprétation, chacun a son vécu et c’était vraiment important pour moi de rassembler. Je me sens un peu dans un rôle de médiateur. Des gens qui ne se sont pas vus depuis longtemps vont se retrouver à l'exposition, c’est une occasion de croiser les disciplines aussi, les breakeurs, les rappeurs, les graffeurs, parce qu’ils ont finalement rarement l’occasion de se retrouver tous ensemble. L’idée du 360, c’était d’être sur ces disciplines majeures du hip-hop mais aussi de montrer tout ce qu’il y a autour : la radio, le cinéma, la photo, le graphisme, la mode. Le hip-hop se nourrit de plein de choses et je ne voulais surtout pas le cloisonner à nouveau. C’était important de véhiculer ça et de le rendre visible au public qui peut avoir tendance à l’enfermer dans les clichés. Le hip-hop n'est pas unidimensionnel, il y en a pour tout le monde. C’est de cela dont il faut prendre conscience.
Exposition "Hip-Hop 360"
A voir à la Philharmonie de Paris du 17 décembre 2021 au 24 juillet 2022
Tous les jours sauf le lundi de 11h à 20h et les vendredis jusque 22h
(l'exposition est fermée les 25 décembre et 1er janvier)
Tarifs : Gratuit pour les moins de 16 ans, de 7 à 12€ pour les autres
Des concerts, chorégraphies, colloques et battles de breakdance sont prévus en marge de l'exposition dès janvier 2022, consultez le programme
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