"Hip-Hop 360" à la Philharmonie : cinq choses à ne pas louper dans l'exposition
Photos, vidéos, musique, documentaires, clips, oeuvres, objets rares et dispositifs ludiques : l'exposition consacrée au hip-hop à la Philharmonie peut donner le tournis. Nous avons repéré quelques détails de ce riche parcours afin que vous n'en manquiez aucun recoin.
L'exposition Hip Hop 360, Gloire à l'art de rue, qui explore l'histoire d'un mouvement débarqué en France il ya 40 ans et devenu dominant chez la jeunesse, vient de débuter à la Philharmonie. Dans ce parcours foisonnant sur 700 m2, qui retranscrit très bien l’énergie du hip-hop et sa créativité tous azimuts, il y a beaucoup à voir, à écouter et à lire. Au point qu’il est possible de passer à côté de certaines choses. Ce serait dommage.
On ne vous parlera pas ici de l’espace 360, une salle au coeur de l'expo qui immerge le visiteur dans toutes les disciplines du hip-hop, parce qu'il est impossible de le louper. Cependant, pensez à y passer un peu de temps pour voir Diam’s, NTM, Ideal J et Lala &ce en concert, et à rester pour les breakdanceurs, qui, filmés par au-dessus, débarquent dans le cypher (le cercle au centre) de façon bluffante.
1Le reportage photo inédit de Marc Terranova
Cette exposition consacre une large part à la photographie, en particulier à celles qui témoignent des débuts du hip-hop en France. On admire celles des photographes Sophie Bramly et Maï Lucas, qui, en tant qu'actrices et activistes du mouvement, ont documenté ses premières heures. Mais celles de Marc Terranova, sans doute parce que jamais vues, nous ont scotché. Hyper vivantes, denses en couleurs et précises, elles ont saisi toute l’effervescence juvénile du mouvement en train de naître. Entre 1987 et 1989, ce jeune photographe est partout: il est aux soirées Chez Roger Boîte Funk au Globo où il tire le portrait de Destroy Man et Jhony Go, Spank, Solo, Flavor Flav de Public Enemy, danseuses anonymes ou agents de sécurité des Black Panthers, quant il ne saisit pas dans son objectif l'euphorie de Dee Nasty en train de mixer; il est au petit matin devant La Java avec Lionel D, Chignol et Dee Nasty; il colle au train des graffeurs dans le métro ou les terrains vagues; il est présent à une battle de rap sur le canal de l'Ourcq et il immortalise à Radio Nova la complicité joyeuse entre Dee Nasty et Afrika Bambaataa.
Pour la petite histoire, que nous a raconté le commissaire d’exposition François Gautret, ce jeune photographe avait documenté longuement le mouvement, sous ses différents aspects avant d’aller proposer sa série au magazine Actuel, à l'époque. Mais le journal n’était intéressé que par l’aspect graffiti vandale de son reportage. Trouvant dommage de se focaliser sur ce seul angle, Marc Terranova insistait pour montrer ce mouvement émergent dans toute sa diversité. Face à l’obstination d’Actuel, Marc Terranova refusa finalement de leur vendre ses photos. Et son reportage resta inédit. Jusqu’à aujourd’hui. On rêve désormais d’admirer l’ensemble de ses photos dans une expo à part, et d’en ramener le catalogue à la maison.
2L'histoire de la pochette d'album "Les Princes de la ville" du 113
Cette exposition a ceci de remarquable qu’elle ne se focalise pas uniquement sur les disciplines essentielles du hip-hop mais aussi sur les arts et médiums avec lesquels il entretient un dialogue fructueux. Ici, c’est de graphisme dont il s'agit, celui d’une pochette. Et pas n’importe laquelle : celle d’un album emblématique du rap français, Les princes de la ville du 113, racontée dans un court documentaire captivant par Thibaut de Longeville, co-auteur de l'objet. Car non content d’être un classique (hélas introuvable depuis 2009 en streaming et en magasin en raison d’un souci contractuel), avec ses hits Tonton du Bled et Les Princes de la ville, le premier album du 113 paru en 1999 et produit par feu DJ Mehdi est doté d’une des plus ingénieuses pochettes du genre.
Constituée d’une mosaïque d’images d’où émerge 113 au centre en filigrane, par le jeu des formes et des couleurs, cette pochette est le reflet fidèle des titres du disque, qui racontent la vie de jeunes de cité à Vitry-sur-Seine. Rien n’a été laissé au hasard pour cette mosaïque, inspirée au départ d’une pochette d’album du groupe de rap américain Cru (album Da Dirty Thirty). Les auteurs ont d'abord écumé Vitry pour y photographier tout ce qui leur parlait et faisait sens. Quant au titre du disque, que l'on déchiffre en tête de la mosaïque, il reprenait l’idée géniale de Michel Gondry pour le clip de La Tour de Pise de Jean-François Coen en utilisant des enseignes de magasins. La suite est à voir et écouter sur une colonne située à l’entrée de la seconde partie de l’expo.
3Ecouter, voir et s'amuser avec les dispositifs interactifs
Le commissaire d’exposition François Gautret a voulu une exposition ludique et interactive qui plaise autant aux jeunes générations qu’aux "old-timers". On peut à la fois y admirer une selection de vinyles issus de la collection de Dee Nasty et, munid'un casque fourni à l'entrée, en écouter soixante-huit titres sur une platine. Au fond de la première salle à gauche, ne pas oublier de lever le rideau noir de la petite pièce consacrée aux ghetto blasters et aux émissions de radio cultes. Tournez le bouton du faux boombox et naviguez de l’émission d’Afrika Bambaataa sur Radio Nova en 1988 à Niska et Damso en freestyle en 2017 sur OKLM.
Dans la seconde salle, on s'amuse à identifier tous les types de rap - hardcore, engagé, egotrip, dérision, storytelling - en écoutant une playlist variée bien ficelée. Sous le mur consacré à l'impressionnante collection de mixtapes made in France, on écoute une sélection de dix d'entre elles, à commencer par Concept, la première cassette démo mythique d’IAM, éditée à quelques centaines d’exemplaires en 1990.
On aiguise son oreille en répérant, sur une fausse platine munie d'un bras, les samples utilisés par DJ Mehdi sur des titres de Ideal J, du 113 ou de Rhoff. On n'oublie pas de jeter un oeil au corner consacré au beatboxing, un art si souvent oublié des disciplines hip-hop, mais aussi à faire quelques graff à la bombe ou au feutre virtuels sur l’une des colonnes situées face à l'espace 360.
4Les détails de la vitrine de Ticaret
Vous l'avez compris, il y a beaucoup à voir et à faire à l’exposition. Mais il ne faudrait surtout pas oublier de lire les légendes. Celles de la vitrine de Ticaret, la boutique ouverte en 1986 au 52 rue du Château-Landon, épicentre de la culture hip-hop aux premières heures du mouvement avec le terrain tout proche de La Chapelle, foisonnent d’informations. Dan de Ticaret se souvient de l’effervescence du graffiti dans sa boutique, les graffeurs se servant de ses cartons d’emballage pour leurs brouillons dessinés sur le comptoir.
Il raconte la folie des nouveaux codes vestimentaires des B-Boys et B-Girls, la mode des "nameplates" (les boucles de ceinture) et celle des bérets Kangol, popularisés par LL Cool J, commandés en quantité astronomique à un chasseur de Perpignan qui n’en revenait pas. Il décrit aussi comment les graffeurs en vinrent à créer des vêtements, tout le monde voulant le même blouson graffé que Dee Nasty. On apprend que le même Dan de Ticaret avait enregistré au sous-sol du magasin une compilation Sortir du tunnel avec toutes les futures stars du rap, dont Booba qui posa là son premier couplet, mais aussi Fabe, Kery James et Rocca de La Cliqua. Un disque terminé en 1994 qui ne vit pas le jour.... avant de sortir en catimini en 2020.
5Les graffeurs, du banc des accusés aux cimaises de l'Assemblée
Présents dès les premiers jours du mouvement, voire même avant, les graffeurs ont été des acteurs de premier plan. On apprend par exemple comment Colt, un des meilleurs graffeurs des années 80, a donné son nom à NTM. Sur la légende d’une photo de Maï Lucas, où on le voit en train de taguer 93 NTM dans un couloir du métro parisien, voici ce qu’on lit. "Alors qu’il crée en 1987 un flyer pour la soirée Stupid Groove organisée par Vincent Cassel, Colt réalise un jeu de mots en écrivant Nick Tamayre présente … Lorsqu’il faut nommer son crew de tagueurs, il se souvient de ce flyer et propose à ses amis, dont JoeyStarr et Kool Shen, le nom NTM pour Nique ta mère. NTM devient ensuite 93 NTM lorsque le crew fusionne avec celui des 93 MC".
Sur une autre légende de photo, vue cette fois dans la vitrine de Ticaret, on découvre que c’est le graffeur Ash des légendaires BBC, qui a sans doute été le premier à investir le terrain vague de La Chapelle, en 1985. Il l’avait en effet repéré "depuis le métro aérien" comme étant "l’endroit idéal pour un graffeur", offrant "une authentique vitrine d’exposition pour lui et son crew BBC." Un terrain vague bientôt devenu l’épicentre du hip-hop naissant grâce aux block parties organisées en musique par Dee Nasty, qui plaçait ses platines sur un frigo, alimentées par un générateur à essence.
Du côté des œuvres, les pionniers sont bien représentés avec celles de Futura 2000, Fab Five Freddy et Rammellzee notamment. Ne passez pas à côté de la magnifique fresque bleue du légendaire Mode 2, réalisée sur place, mais hélas un peu cachée par les mannequins à têtes d’écrans installés devant.
Sur le mur situé face à la réplique grandeur nature d’un wagon de métro recouvert de tags, on remarque la toile Liberté, Egalité, Fraternité du graffeur américain JonOne reprenant le tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. Le jour même où était inaugurée cette œuvre en 2015 à l’Assemblée nationale, son auteur se voyait remettre la Légion d’honneur. Pourtant, les graffeurs ont toujours eu mauvaise presse et ont souvent été poursuivis en justice, en particulier par la RATP - Monsieur Chat ou Azyle en ont encore fait les frais ces dernières années. Ironie de l’histoire, la RATP a participé à l’exposition en fournissant gracieusement des éléments de mobilier du métro, notamment des portes de wagons… Un début de reconnaissance ?
Exposition "Hip-Hop 360"
A voir à la Philharmonie de Paris jusqu'au 24 juillet 2022
Tous les jours sauf le lundi de 11h à 20h et les vendredis jusque 22h
(l'exposition est fermée les 25 décembre et 1er janvier)
Tarifs : Gratuit pour les moins de 16 ans, de 7 à 12€ pour les autres
Des concerts, chorégraphies, colloques et battles de breakdance sont prévus en marge de l'exposition dès janvier 2022, consultez le programme
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