: Interview "Je trouve super de crĂ©er sur des surfaces de seconde main" : le street-artiste Lorem transforme des encombrants en Ćuvres d'art Ă emporter
Un jour frisquet et pluvieux du mois de mars, dĂ©ambulation dans les rues de Paris avec Lorem, artiste de 24 ans, pour une interview entre ramassage d'encombrants â des planches comme support de son art â et peinture graphique aux traits de marqueur noir avec en toile de fond une sympathique discussion Ă bĂątons rompus sur sa vie et l'art.
Franceinfo culture : Pourquoi cette signature Lorem ?
Lorem : C'est une référence au Lorem Ipsum, un texte utilisé en graphisme pour remplir des zones, imaginer ce que cela va rendre. C'est une espÚce de langage qui n'a pas forcément de sens mais qui est là pour illustrer. Je trouvais cela sympa car c'est une référence à mon passé de graphiste. J'aime bien faire le parallÚle avec mon art, qui est aussi une sorte de langage avec tous types de caractÚres comme une sorte d'alphabet auquel on ne trouve pas de sens direct comme le Lorem Ipsum !
D'oĂč vient ce double visage signature ?
Jâai crĂ©Ă© ce double visage signature il y a quelques annĂ©es, quand j'habitais AsniĂšres. Je dessinais Ă©normĂ©ment avec l'objectif de crĂ©er un logo parfait, un personnage qui soit le plus simple mais aussi le plus reconnaissable possible comme certains artistes â Invader et ses mosaĂŻques, Monsieur Chat et ses gros fĂ©lins jaunes souriants... J'aime beaucoup qu'il y ait un personnage, un avatar qui les reprĂ©sente de maniĂšre un peu cartoonesque.
Je me suis crĂ©Ă© ce petit personnage qui, lui aussi, s'appelle Lorem. Cette reprĂ©sentation de moi m'accompagne dans la vie. Je le dessine un peu partout pour laisser des repĂšres, une empreinte qui reste plus longtemps â contrairement aux encombrants qui sont temporaires et emportĂ©s par les gens ou les Ă©boueurs. J'adore croiser des artistes Ă des endroits oĂč je ne les attends pas, alors je suis content quand certains m'envoient la photo de ce petit personnage qu'ils ont vu. Une fois que l'on connaĂźt son visage et qu'il nous est familier, c'est comme croiser un pote !
Vous m'avez parlé de votre passé de graphiste, quel est votre parcours ?
AprĂšs le collĂšge, je me suis lancĂ© dans l'art et le graphisme. Comme je n'aimais pas les Ă©tudes classiques, jâai fait des mises Ă niveau avec un diplĂŽme en graphisme, Ă©quivalent au bac et de multiples formations pour me perfectionner et intĂ©grer une Ă©cole d'art. C'Ă©tait mon objectif. Je suis passĂ© par l'Ă©cole de CondĂ©, puis Cifacom en animation, graphisme, crĂ©ation visuelle et design, mais j'ai arrĂȘtĂ© en deuxiĂšme annĂ©e de Bachelor. Je suis convaincu que cela ne servait Ă rien que je persĂ©vĂšre car quelles que soient les Ă©tudes â mĂȘme des choses qui me passionnent comme l'art â j'ai compris que ce n'Ă©tait pas l'Ă©cole le problĂšme mais moi qui n'Ă©tais pas fait pour les Ă©tudes, j'avais besoin d'autre chose.
J'ai vu plein d'expositions, me suis documentĂ© sur le street-art, me suis entraĂźnĂ© seul dans mon atelier ou dans la rue, pour essayer de dĂ©velopper un style graphique. Mon rĂȘve, comme beaucoup d'artistes, est de se crĂ©er un style. J'ai beaucoup travaillĂ© pour que mon art soit identifiĂ© rapidement au premier coup d'Ćil.
Vous souvenez-vous de la premiĂšre fois oĂč vous avez tracĂ© ces lignes ?
Oui, je me souviens de ce moment-lĂ oĂč j'ai tracĂ© ces premiĂšres lignes qui me reprĂ©sentent aujourd'hui : les lignes, j'en trace depuis que je suis petit avec toutes sortes de feutres mais les gros traits, c'Ă©tait il y a environ deux ans. Cela a commencĂ© par une porte dans le centre de Paris qui est l'encombrant numĂ©ro 1 : si l'on remonte sur mon Instagram, c'est le tout premier post. Il se trouve que j'avais un marqueur avec une trĂšs grosse mine dans la poche. C'Ă©tait la premiĂšre fois que j'utilisais ce type de marqueur, fait pour la calligraphie et que j'ai un peu dĂ©tournĂ© de son usage. Je me suis dit, tu as un marqueur, tu n'as pas de carnet mais tu as cette porte toute blanche qui attend les Ă©boueurs, cela ne dĂ©rangera personne si tu dessines dessus... ce n'est pas comme un mur oĂč l'on pourra te dire que c'est illĂ©gal. J'ai vu un potentiel, j'ai dessinĂ© et j'ai beaucoup aimĂ© l'exercice. Puis, j'ai vu qu'un groupe de jeunes emportait la porte : ils m'ont dit qu'il la ramenait chez eux alors qu'ils habitaient super loin. Cela a Ă©tĂ© le dĂ©clic, s'ils ne l'avaient pas emportĂ©e, je ne sais pas si j'aurais continuĂ© Ă faire ce que je fais aujourd'hui.
Au dĂ©but, ma motivation a Ă©tĂ© de voir les gens ramener les Ćuvres chez eux : quand je recevais des photos de mes Ćuvres dans leurs appartements, cela me remplissait de fiertĂ© de me dire que mon art Ă©tait exposĂ©. Tout le monde n'a pas cette chance !
Vous avez mĂȘme imaginĂ© un jeu avec vos abonnĂ©s sur Instagram...
Quand je laisse des Ćuvres, je mets un panneau "servez-vous" pour inviter les passants Ă les emporter car ils n'osent pas forcĂ©ment, s'arrĂȘtent car ils ont un coup de cĆur et regardent autour d'eux. Puis, je me suis dit que c'Ă©tait dommage de ne les laisser qu'aux passants alors que certains suivent mes aventures et aiment mon art. Alors j'ai utilisĂ© les rĂ©seaux sociaux pour faire comme une chasse au trĂ©sor grandeur nature. Je n'ai pas connu d'artistes qui font cela mais j'aurai adorĂ© partir Ă la chasse aux Ćuvres !
Pour chacune, je poste une vidĂ©o avec des indices pour la trouver. Les gens sortent de chez eux, courent, font du vĂ©lo, de la trottinette, du skate pour la rĂ©cupĂ©rer. L'art suscite des Ă©motions au-delĂ du tableau, c'est un jeu qui apporte de la joie : il y a de l'adrĂ©naline mais aussi de la dĂ©ception, de la frustration. Certains sont comme des fous aprĂšs en avoir rĂ©cupĂ©rĂ© une alors que cela faisait dix fois qu'il la ratait ! Il y a une interaction : certains me donnent leurs impressions et m'envoient une photo me montrant oĂč elle est exposĂ©e dans leur appartement.
Aujourd'hui, l'art est dans des cases : j'aime bien l'idĂ©e de casser les codes en rendant des Ćuvres originales gratuites, ce qui n'est pas souvent le cas, mĂȘme si cela m'arrive aussi de vendre mes Ćuvres.
Vos surligneurs de peinture sont vos seuls outils ?
J'utilise toujours les mĂȘmes, ce sont des gros marqueurs rechargeables avec de la peinture. Avec leur mine carrĂ©e, ils permettent de rĂ©aliser des angles trĂšs droits sur mes Ćuvres. Ils sont habituellement destinĂ©s Ă la calligraphie. J'utilise aussi des squeezers Ă la mine ronde et au corps un peu mou : quand on appuie dessus, l'encre sort plus ou moins en abondance.
Comment choisissez-vous les lieux oĂč vous allez travailler ?
En fait, je ne choisis pas, c'est sur mes trajets quotidiens. Je ne pars presque jamais de chez moi en me disant, je vais faire des encombrants : je me rends Ă un rendez-vous dans Paris et je croise une planche. C'est pour cette raison que j'ai plein de feutres dans mes poches. J'aime bien ne pas savoir oĂč je vais peindre. Si je me sens bien Ă l'endroit oĂč je trouve les encombrants, je peins direct, sinon, sâil y a trop de passage et de bruit, j'aime bien me mettre au calme. Comme je commence Ă ĂȘtre reconnu dans la rue, je peux aller me cacher dans les cours d'immeuble pour ĂȘtre tranquille car souvent, les gens attendent derriĂšre moi pour rĂ©cupĂ©rer le tableau.
Vous recyclez les encombrants mais, au départ, ce n'était pas pour sauver l'environnement...
Ă la base, je n'avais pas pensĂ© Ă cet aspect-lĂ , mais en voyant les tas de planche partir comme par magie, je me suis dit que j'avais un vrai impact sur l'environnement. Je file mĂȘme un coup de main aux Ă©boueurs.
Ătant jeune Ă©tudiant, je n'avais pas les moyens de me payer de trĂšs grandes toiles pour rĂ©aliser des Ćuvres immenses. C'est un peu ennuyant les petits formats. Ce compromis aide Ă ma crĂ©ativitĂ©, Ă mon portefeuille et Ă l'Ă©cologie. Je trouve cool de crĂ©er sur des surfaces de seconde main. Cela peut donner envie Ă d'autres et peut-ĂȘtre, un jour, ce sera un peu un marchĂ© d'art Ă ciel ouvert.
Vous avez peint des puzzles blancs immaculés que vous avez déposés dans des endroits publics, comme un magasin Ikea...
Oui, c'Ă©tait une petite idĂ©e pour changer. J'essaie de crĂ©er d'autres concepts, comme tout Paris en une nuit : j'ai laissĂ© des Ćuvres dans tous les arrondissements.
Travaillez-vous sur d'autres supports, comme le mobilier urbain ?
Oui, cela m'arrive de temps en temps, si je trouve que cela manque un petit peu de couleurs ou d'une petite touche d'art, je décore le mobilier urbain.
Avez-vous déjà exposé dans une galerie ?
Pour l'instant, non. Je suis dans une dĂ©marche de casser les codes de l'art et je trouverai trop facile de suivre le mĂȘme schĂ©ma que les autres. Je trouve bien de montrer que quelque chose de parallĂšle existe, mĂȘme si je ne suis pas contre l'idĂ©e d'exposer un jour en galerie. Mais je peux louer un lieu, faire mon exposition sans que quelqu'un me prenne un pourcentage sur mes ventes.
Je vise plutĂŽt les musĂ©es ! Ce serait mon rĂȘve. J'ai dĂ©jĂ dĂ©posĂ© trois Ćuvres dans un salon contemporain que des gens ont rĂ©cupĂ©rĂ©. J'en ai laissĂ© aussi dans le mĂ©tro, dans des restaurants. Ătre lĂ oĂč l'on ne m'attend pas, et cela n'a pas de limite.
Dans une friperie de mon quartier, j'ai dĂ©couvert une de mes Ćuvres. Sans dire Ă la vendeuse que c'Ă©tait la mienne, je lui ai demandĂ© comment elle l'avait eue. Elle m'a expliquĂ© qu'un SDF lui avait offert en disant : c'est un artiste qui l'a fait et dans quelques annĂ©es, cela vaudra quelque chose ! Elle lui a offert un bonnet en Ă©change. Je trouve cette histoire incroyable : mes Ćuvres circulent mais pas forcĂ©ment chez les collectionneurs qui se les revendent entre eux oĂč des gens qui s'y connaissent !
Vous ĂȘtes aussi passionnĂ© par la mode ?
Outre l'art, je suis passionnĂ© par la mode et le streetwear, alors cela allait de soi que j'allais crĂ©er mes propres T-shirts. Cela a pris du temps car je voulais faire de la qualitĂ© â du bio, un tissu Ă©pais â avant de faire de la quantitĂ©. Ils sont en sĂ©rigraphie pour que l'impression soit durable, et produits en petite quantitĂ© pour crĂ©er un peu de raretĂ©.
Depuis longtemps, j'ai un lien avec la mode : quand je faisais de la manutention, j'installais et dĂ©sinstallais les dĂ©filĂ©s des maisons Jean Paul Gaultier, Louis Vuitton, Loewe... CâĂ©tait un rĂ©el bonheur, mĂȘme si je n'ai jamais assistĂ© Ă un dĂ©filĂ© et que j'adorerai !
Avez-vous un e-shop ?
Oui, j'ai un site internet oĂč je vends mes Ćuvres occasionnellement et par sĂ©rie. Je vais, aussi, y vendre des sĂ©rigraphies : c'est sympa comme objet pour ceux qui ne peuvent pas se payer une toile originale. C'est un bel objet, numĂ©rotĂ© et signĂ© dans un cadre.
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