Trois clés pour comprendre l'œuvre d'Alberto Giacometti
Une grande exposition au musée de Grenoble réunit du 9 mars au 9 juin peintures, sculptures et photos de l'artiste suisse.
De ses sculptures, on ne retient généralement que des formes humaines longilignes quasi abstraites, indéchiffrables. Alberto Giacometti (1901-1966) a passé sa vie à dépouiller ses œuvres, à effacer inlassablement les signes permettant de les identifier. C’est ce qui rend son art si universel et si difficile à cerner. Une grande exposition qui réunit du 9 mars au 9 juin au musée de Grenoble plus de 70 œuvres (peintures, sculptures, photos…), dont de nombreux prêts exceptionnels de la Fondation Giacometti, permet de mieux comprendre sa démarche. L'événement se concentre sur les vingt dernières années de la vie de l'artiste suisse, les plus productives, qui ont aussi donné naissance à ses œuvres les plus connues. Décryptage.
Des œuvres comme emprisonnées
Dans les premières salles, on découvre un des fils rouges de sa création : ses peintures et sculptures sont enfermées dans des cadres ou des "cages".
Observez cette Boule suspendue, réalisée lorsqu'Alberto Giacometti était proche du groupe surréaliste parisien, dans les années 30. L'œuvre peut être vue comme une métaphore du couple ou d'un rapport sexuel. La forme allongée, une drôle de banane un peu phallique, effleure la sphère, fendue à sa base. Au-delà de l'allusion érotique, c'est surtout l'une des premières sculptures de l'artiste enfermée dans une sorte de "cage" en métal. Celle-ci fait partie de l'œuvre ; elle n'a pas été ajoutée a posteriori, mais créée par l'artiste en même temps que le reste.
Pour comprendre à quoi renvoie ce cadre métallique, regardons cette autre sculpture, Le Nez, créée une quinzaine d'années plus tard mais qui reprend le même principe d'exposition.
Ce Pinocchio à la fois grotesque et effrayant renvoie à une hallucination d'Alberto Giacometti dans laquelle les morts revenaient terroriser les vivants. Cette tête verdâtre, spectrale, sans corps, nous menace aussi à sa manière avec son nez surdimensionné qui viendrait piquer le spectateur qui s'approcherait trop près. L'agression s'impose d'autant plus que le nez sort de la cage pour pénétrer notre monde. On comprend alors mieux le rôle de la cage : elle définit l'espace de représentation, attribué à l'œuvre, mais renvoie aussi à un espace mental, ce qui sort de la tête de l'artiste ou de son atelier - qui était très confiné. Alberto Giacometti, malgré son succès, n'a jamais quitté son atelier minuscule du 14e arrondissement de Paris, plus souvent décrit comme une "caverne" que comme un espace de travail. On devine ses murs couverts de peinture et de dessins dans cet extrait de l'émission "L'art et les hommes", réalisée en 1963.
Mais les cages n'apparaissent pas exclusivement dans la sculpture de l'artiste. Cette Tête noire est elle aussi prisonnière d'un cadre, lui-même encadré.
Sculpteur et peintre, Alberto Giacometti a mené des recherches parallèles entre ses bronzes et ses huiles, tous également cloisonnés. Le peintre anglais Francis Bacon, qui disait beaucoup apprécier ses dessins saura s'en souvenir. Il est aussi l'auteur de peintures oppressantes qui enferment des figures, comme cette Tête VI.
Un art de l'effacement
Pourquoi les êtres représentés par Alberto Giacometti sont-ils aussi longilignes ? L'artiste était capable de reproduire inlassablement les mêmes figures sculptées pendant des années en les affinant sans cesse, au sens concret comme au sens figuré, au point que certaines n'ont presque plus forme humaine.
Le Suisse ne voulait pas d'un art lisse, "propre" et affirmait : "Une sculpture n'est pas un objet, elle est une interrogation, une question, une réponse. Elle ne peut être ni finie, ni parfaite." De fait, ses figures sont comme rongées, usées par le temps. Elles évoquent les silhouettes qu'on distingue dans le lointain, aux contours flous, ou ce que notre mémoire permet de conserver des formes.
Femmes-arbres et hommes-rochers
Les sculptures exposées au musée de Grenoble sont souvent minuscules et très plates, comme si les objets en volume de l'artiste se rapprochaient plus de la 2D - tandis que ses dessins, qui creusent la feuille, ressemblent à des sculptures. Mais à la fin de sa vie, Alberto Giacometti a produit des sculptures plus épaisses et plus grandes, qui introduisent des différences radicales entre sujets féminins et masculins.
Cette Grande femme, par exemple, majestueuse avec ses 2,7 m de haut. Comme toujours, ses traits sont indéfinis. Alberto Giacometti ne montre pas une femme en particulier, mais la femme. On retrouve les mains massives, la tête sans visage, le socle rugueux qu'il utilise déjà ailleurs... Mais sa monumentalité impressionne. Plantée dans le sol, très haute, avec ses deux longs bras qui flottent comme des branches, la femme est une évocation de l'arbre.
Et l'homme, alors ? Il est une pierre, un rocher. Tandis que les figures féminines s'allongent vers le ciel, celles des hommes sont souvent tassées, réduites à des bustes, comme celui-ci, dont les irrégularités rappellent les matières minérales.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.