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Un dessinateur amateur a chroniqué la brutalité sous le règne de l'EI en Irak

De juin 2014 à fin 2016, il a chroniqué clandestinement la vie de son village du nord de l'Irak sous le règne de l'organisation Etat Islamique. Chaque nuit, Mostafa al-Tha'i a peint dans le plus grand secret les violences qu'il avait vues dans la journée. Son travail ressemble à un musée des horreurs.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Mostafa al-Tha'i montre ses dessins le 23 mai 2017, chez lui à Hammam al-Alil.
 (Simon Valmary / AFP)

Ses 240 dessins témoignent de la brutalité des jihadistes

Le corps sanguinolent d'un homme suspendu par un pied, un autre allongé dans une mare de sang avec sa tête coupée posée sur son dos, une femme le visage brûlé à l'acide, un enfant éborgné... Les 240 dessins et peintures de Mostafa al-Tha'i témoignent de la brutalité des jihadistes. 

Bravant les interdits, il a réalisé ces oeuvres entre juin 2014, date de la prise de contrôle de l'EI de vastes territoires en Irak, et fin 2016, quand son village de Hammam al-Alil, dans le nord de l'Irak, a été repris par les forces irakiennes qui tentent actuellement de chasser totalement les jihadistes de la grande ville de Mossoul, plus au nord.

Son pinceau et ses crayons sont ses armes

"L'EI est l'ennemi des arts, l'ennemi de la vie alors je me suis dit que chaque fois que je verrai un de leurs crimes (...) je le relaterai", raconte ce réparateur de fours et chaudières de 58 ans.  "Il n'y avait pas de journaliste et ils n'autorisaient pas les photos, alors j'enregistrais l'image dans ma tête et le soir, à la maison, je peignais", poursuit cet "accro" au dessin depuis l'enfance. 

"L'armée se bat contre l'EI avec des armes. Moi, c'est avec mon pinceau, mes couleurs, mes dessins, mes peintures", résume-t-il, assis en tailleur dans son salon, sa planche à dessins sur les genoux.

Mustafa al-Tha'i le 23 mai 2017, chez lui à Hammam al-Alil, dans le nord de l'Irak.
 (Simon VALMARY / AFP)

Chaque dessin raconte un drame

Dans une période où l'art était proscrit et le matériel à dessin introuvable, il a puisé dans ses anciens stocks de peintures, de papiers et de crayons pour "résister". Le trait est simple, coloré, mais chaque dessin raconte un drame.

"Cette enfant, c'est une chrétienne", explique-t-il en montrant le portrait d'une fille en larmes qu'il a rencontrée quand il se trouvait à l'hôpital. "Ils l'ont prise quand elle avait 12 ans. Elle a été mariée à l'un d'entre eux, qui l'a laissée à un autre, qui s'est marié avec... Comme ça quatre ou cinq fois", poursuit-il. "Elle pleurait. Elle avait des bleus au visage, des plaies sur les mains et le corps. J'ai pris une feuille de mon dossier médical, je l'ai dessinée".

Mostafa montre un autre croquis représentant un homme, yeux bandés et mains liés, ligoté à un pylône.  "Lui, il a tiré sur des jihadistes (...) Ils l'ont capturé, lui ont tiré dans les jambes, puis dans le corps. Ils l'ont attaché à un poteau électrique et ils l'ont exécuté, après l'avoir torturé", dit-il.
 

Police religieuse et coups de fouet

Alors que les jihadistes ont une interprétation rigoriste de l'islam interdisant toute représentation humaine, Mostafa dit avoir été contraint de confier ses dessins à un ami qui les cachait dans sa voiture. Mais il a parfois été dénoncé, pense-t-il, notamment quand il profitait de la lumière du jour pour faire des esquisses au travail. "L'EI est venu plusieurs fois chez moi, ils n'ont rien trouvé", affirme-t-il. 
 
Comme cette nuit où la police religieuse a débarqué. "Ils m'ont dit qu'ils voulaient mes peintures et mes calligraphies. Ils m'ont emmené dans le désert. (...) Ils m'ont battu, m'ont attaché les jambes à leur voiture et ont démarré. Moi, je récitais des versets du Coran à voix haute", raconte-t-il.  "Puis ils m'ont lié les mains et les pieds et m'ont jeté devant chez moi".  

Il dit avoir été emprisonné à cause de ses dessins, "45 jours au total", et condamné au fouet, "une fois 15 coups, une fois 30 coups": "On m'accusait d'être un laïc et un apostat".

Le dessin, "une addiction"

Mais à chaque fois, ce grand-père de sept petits-enfants a persisté. "Je ne peux renoncer au dessin. C'est mon addiction, ça m'apaise. Je ne fume pas, je dessine", lance-t-il, les yeux rieurs derrière ses lunettes.

"Quand j'ai passé 15 jours en prison, j'ai trouvé une pile, je l'ai cassée pour récupérer la poudre de carbone à l'intérieur et j'ai dessiné sur le mur. Quand les gardiens ont vu ça, ils m'ont fait lécher le mur pour l'effacer", raconte-t-il.
 
Aujourd'hui, il garde ses dessins dans des cartons, en témoignage. Et il peint désormais "de tout": "Ce que j'ai en face de moi, ce que je trouve beau".

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