Une exposition de toutes les couleurs à Sèvres, de la porcelaine au design contemporain
Deux grands vases unis vous jettent leur bleu abyssal au visage. Ils sont derrière une vitrine, dommage : on aurait envie de caresser leur surface lisse et brillante. Il s'agit du fameux "bleu de Sèvres", une des couleurs développées par la manufacture de Sèvres (Hauts-de-Seine) depuis près de trois siècles.
C'est à une "expérience de la couleur" que vous invite le musée de Sèvres (Cité de la Céramique), posant la question de la perception des couleurs et tout son aspect sensoriel, à travers l'épaisseur du grès, la finesse de la porcelaine et, au-delà, dans l'art contemporain en général.
D'emblée, on est plongé dans les couleurs sévriennes, avec un résumé de l'atelier de la vieille manufacture : de fascinants vieux pots en verre ou en grès conservent des poudres légèrement colorées qui ne livreront leurs nuances qu'à la cuisson. A côté, des palettes d'émaux, des pinceaux, une assiette d'échantillons du bleu de Sèvres évoquent le travail des artisans de la couleur.
Le laboratoire produit depuis le milieu du 18e siècle les émaux utilisés à la Manufacture. Les recherches et les formules secrètes sont consignées dans des carnets : un millier de couleurs ont été inventées à Sèvres et près de 660 émaux différents sont à la disposition des ateliers.
Rose Pompadour, vert Vincennes, des couleurs emblématiques de Sèvres
Des pièces de vaisselle révèlent quelques couleurs emblématiques de Sèvres : outre le fameux bleu, il y a le "rose Pompadour" baptisé ainsi parce qu'il aurait plu à la marquise à l'époque où la Manufacture était encore royale. Ou encore le "jaune de Naples", le "vert Vincennes" et le "bleu Céleste".Plus loin dans l'exposition, on quitte Sèvres et on passe de la porcelaine au grès pour découvrir le travail de la couleur de céramistes comme Jean-Joseph Carriès (1855-1894) qui a expérimenté mille nuances sur cette terre, à Saint-Amand-en-Puisaye, pays de potiers par excellence, avec tout un groupe d'artistes autodidactes. On peut voir, alignés sur une étagère, quelques-uns de ses pots d'essai de taille conséquente, sur lesquels il a appliqué une couche d'émail d'épaisseur diverse. Minutieusement, il a noté dans ses carnets la composition, la conduite des cuissons, les gestes d'application et le résultat en termes de texture et de couleur, réalisant ainsi plus de 2000 recettes.
Car l'art de l'émail est un art modeste, un art de l'accident : il se peint à l'aveugle sur la terre et c'est seulement après cuisson qu'on découvrira les couleurs que les petites poudres magiques ont bien voulu produire.
Des vases de Daniel de Montmollin (né en 1921) montrent toute la subtilité des couleurs de ce grand maître de l'art des émaux, membre de la communauté œcuménique de Taizé en Bourgogne, dont le livre "Pratique des émaux de grès" est devenu une bible pour les céramistes, tout comme "Le Livre du potier" du Britannique Bernard Leach, imprégné de céramique japonaise.
Couleurs radicales, couleurs de feu
Les pièces épurées en faïence peinte de Nicholas Rena proposent des couleurs radicales, comme ce saladier baptisé "D'après Matisse" turquoise et rose fuchsia.La couleur, c'est aussi celle de la terre brute cuite au feu de bois comme les vases déformés de Philippe Lambercy, la couleur du feu dont Yves Klein a fait des tableaux en brûlant des cartons au chalumeau ("Peintures de feu"). Herman de vries, lui, a décliné la couleur de la terre elle-même, en prélevant en différents lieux pour en faire des tableaux.
Des couleurs ont été inventées pour des artistes contemporains en résidence à Sèvres, un orange pour Ettore Sottsass, un vert pour Fabrice Hyber. Car des artistes contemporains travaillent régulièrement à Sèvres. En 1970, Sèvres a fait avec Alexandre Calder, des assiettes aux motifs jaune, rouge, bleu.
Des vases de Sèvres aux couleurs vives répondent aux bouquets de la photographe Carole Fékété pris sur fonds colorés unis : il s'agissait pour elle de "provoquer le plaisir de la couleur elle-même, tout en suggérant une variété d'influences, tantôts chinoisantes, tantôt prenant des accents flamands ou flirtant avec le kitsch", qu'on retrouve dans les pièces de porcelaine exposées à côté de ses images.
Les couleurs du design et de la peinture
L'exposition du musée de Sèvres, organisée dans le cadre du 40e anniversaire du Centre Pompidou, invite à un voyage sensoriel bien au-delà de la seule céramique, dans les couleurs du design, de la peinture, de la sculpture, de la tapisserie.Les jaunes et oranges d'un tableau de Georgia O'Keeffe côtoient ceux d'un tabouret de Philippe Starck. Le rouge d'un tableau de Josef Albers regarde celui de "La Bocca", canapé de porcelaine en forme de lèvres créé par Bertrand Lavier à Sèvres. Les bleus d'une toile de Geneviève Asse sont accrochés en face du noir et blanc d'un tableau d'Aurélie Nemours. Sonia Delaunay, virtuose de la couleur et du textile est représentée avec une tapisserie.
Sans oublier une autre touche sensuelle, le genial "Pittura pura luce" de Claudio Parmiggiani, (1968) qui présente des pigments dans des bacs métalliques, couleurs pures et couleurs d'épices dans lesquelles on rêverait de plonger les mains.
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