Van Gogh, le Japonais
Lorsqu'il peint dans le Midi de la France, Van Gogh s'imagine être au Japon. La Pinacothèque, à Paris, a eu la bonne idée de rapprocher ses dernières toiles d'estampes du maître japonais Hiroshige. Le résultat est troublant.
Le 5 juin 1888, à Arles, Van Gogh (1853-1890) écrit une lettre étonnante à son frère Théo : "Je voudrais que tu passas quelque temps ici, tu sentirais la chose – au bout de quelque temps la vue change, on voit avec un œil plus Japonais." Plus tard, dans un courrier à sa sœur Willemien, il va encore plus loin : "Je me dis toujours qu’ici je suis au Japon."
Faut-il mettre ces hallucinations sur le compte de la maladie mentale de l’artiste, bientôt interné dans un asile d’aliénés ? Plutôt sur sa fascination pour le pays du soleil levant. A la Pinacothèque, à Paris, du 3 octobre au 17 mars, deux expositions parallèles, l’une sur le maître japonais Hiroshige (1797-1858), l’autre sur Van Gogh, permettent de comprendre à quel point le peintre à l’oreille coupée a puisé dans l’art japonais.
Art japonais et impressionnisme
Le Hollandais n’était certes pas le premier à s’inspirer de ce qui se faisait de l’autre côté de la planète. En 1854, contraint par la flotte américaine, le Japon renonce à un isolement économique qui a duré près de deux siècles. Les produits et créations japonaises affluent dans le monde occidental. Les estampes (des impressions en série de gravures), les porcelaines, les meubles laqués, les éventails se répandent et marquent profondément l’avant-garde européenne.
L’impact est particulièrement fort sur les peintres impressionnistes : chez Manet, des estampes et un paravent apparaissent dans un portrait d’Emile Zola, Monet fait un clin d'œil à la mode en représentant sa femme Camille portant un kimono alors très "tendance". Evidemment Van Gogh n’est pas en reste. Dans son portrait du Père Tanguy, il reproduit un grand nombre d'estampes derrière le marchand de toiles. Remarquez le cerisier en fleurs, en haut à droite : il est inspiré d’une œuvre d’Hiroshige.
Peintre métisse
Van Gogh a fait du chemin depuis ses premiers tableaux, lorsqu’il s’inspirait plutôt de sujets puisés dans son pays d’origine, et traité dans le style de ses concitoyens hollandais.
Les similitudes entre ces deux œuvres sont frappantes : même composition symétrique, pont central, majestueux (car vu légèrement d’en-dessous, en contre-plongée), passage d’un (ou plusieurs) personnage(s) qui donne l’échelle de la scène… Et pourtant, lorsque Van Gogh réalise ce tableau en 1883, il n’a certainement pas vu l’œuvre de son collègue japonais ! Selon la plupart des historiens d’art, il ne découvre les estampes que deux ou trois ans plus tard. Et de fait, il s’écarte ici beaucoup de la tradition japonaise. Sa palette qui joue sur les nuances de brun, les détails minutieux, très réalistes, rappellent plutôt les peintres hollandais.
Lorsqu’il réalise ce dessin à la plume, en revanche, Van Gogh est déjà un grand connaisseur d’estampes. Client régulier à partir de 1886 du marchand Samuel Bing, qui vendait des créations japonaises à Paris, il a pu étudier de près Hokusai, Kunisada, et bien sûr Hiroshige. Il possède également plusieurs centaines de gravures de maîtres japonais. Et il est convaincu que c’est en les étudiant qu’on pourra donner un coup de sang neuf à l’art moderne : "L’art japonais est en décadence dans sa patrie, mais il jette de nouvelles racines chez les impressionnistes français", écrit-il à son frère Théo en 1886. De fait, le dessin et l’estampe ci-dessus partagent la même construction très dynamique. La diagonale du champ de Van Gogh reprend celle du pont d’Hiroshige.
On retrouve encore les mêmes diagonales dans ces autres œuvres. Elles sont en fait fréquentes chez Hiroshige mais également dans de nombreuses créations asiatiques : en suivant ces lignes, le spectateur est invité à se balader dans l’image par l’esprit, c’est une invitation à circuler dans l’œuvre. Ce que Van Gogh reprend dans l’ukiyo-e, qu’on peut traduire par "images du monde flottant", les estampes et peintures japonaises, c’est aussi un goût pour le spectacle de la nature, une sensibilité pour le monde terrestre, fragile, vain… et exaltant. Remarquez la présence des astres dans les deux œuvres. Et mesurez le chemin parcouru depuis son paysage hollandais : Van Gogh ne représente plus ce qu’il voit, mais un rêve éveillé où le soleil s’approche de la lune et les éléments, terre, ciel, végétaux, dansent et s’entremêlent. L’image aussi, paraît comme aplatie, et "simplifiée", un autre enseignement des maîtres japonais et des premiers "mangas".
Nature au premier plan
Oliviers du Midi ou pins japonais… même combat. Les deux artistes jouent ici sur les formes mouvantes des branches, dont les feuilles et les épines se démarquent sur un ciel clair. La majesté des arbres est mise en valeur de la même façon : leur sommet s’arrête juste avant le bord de l’œuvre.
Observez ce pin : Hiroshige s’en sert, au premier plan, pour créer un filtre qui permet de voir différemment l’arrière-plan. C’est un tic que Van Gogh a longuement étudié et qu’il reprend à son compte dans cet autre tableau.
Evidemment, toutes les comparaisons que ces deux expositions de la Pinacothèque permettent d’effectuer ne sont pas aussi troublantes. Mais elles donnent de nouvelles clés de lecture pour comprendre un peintre, Van Gogh, qu’on croit déjà connaître par cœur.
Informations pratiques :
Van Gogh, rêves de Japon
Et
Hiroshige, l’art du voyage
À la Pinacothèque de Paris
8, rue Vignon, 75009 Paris
du 3 octobre 2012 au 17 mars 2013
billet couplé pour les deux expos : 14 euros / 17 euros
billet simple : 8 euros / 10 euros
Tél. : 01 44 56 88 80
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