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Votre enfant est-il un futur génie de la peinture ?

Nous avons analysé les premières œuvres de Picasso, Van Gogh et Michel-Ange, avec une question en tête : pouvait-on deviner qu'ils iraient aussi loin ?

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Michel-Ange, "Le Tourment de Saint Antoine", d'après Martin Schongauer, vers 1487-1488. (DR)

Devant le spectacle de son enfant, une feuille A4 posée devant lui et un pinceau dégoulinant à la main, quel parent ne s'est pas rêvé en géniteur du prochain Léonard de Vinci ou Francis Bacon ? Après tout, les grands noms de la peinture ont, eux aussi, connu une prime jeunesse, et ce ne sont pas leurs créations datant de cette période qui sont exposées dans les musées. 

Les croquis maladroits de votre progéniture sont-ils les prémices d'une carrière artistique digne des plus grands ? Pour tenter d'y répondre, nous nous sommes penchés sur les premières œuvres de trois virtuoses du pinceau : Michel-Ange, Van Gogh et Picasso. Si tous sont de gros travailleurs, chacun a développé ses capacités à sa manière et surtout, à son rythme. Le talent se devine-t-il forcément dès l'enfance ? Ces trois trajectoires prouvent que, pour votre enfant, tout est encore possible.

S'il dessine comme Van Gogh…

Vincent Van Gogh n'a pas toujours rêvé d'être peintre. Ce fils de pasteur a longtemps voulu embrasser la même carrière que son père (il a échoué à l'examen), avant de se tourner définitivement vers les arts, aux environs de la trentaine. Chose assez rare pour un peintre révélé sur le tard, on dispose de plusieurs dessins de jeunesse (disponibles sur ce site). Et bien malin qui pourra deviner, même après une longue analyse, que ce berger et cette grange ont été croqués par l'artiste néerlandais quand il avait 9 et 11 ans.

Vincent Van Gogh, "Le Troupeau de chèvres", crayon sur papier, 1862. (DR)

Vincent Van Gogh, "Grange et ferme", crayon et papier, 1864. (DR)

L'historien de l'art Pascal Bonafoux*, professeur à l'université Paris VIII de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), nous confirme que ces premières œuvres, bien qu'adroitement composées, n'ont rien d'extraordinaire, pas plus d'ailleurs que celles réalisées dans sa vie de jeune adulte. "Vous ne verrez du Van Gogh qu'après son séjour à Paris, effectué entre 1886 et 1888 [Van Gogh a alors près de 35 ans]. Il découvre les impressionnistes et les néoimpressionnistes. A partir de là, tout change. Avant, c'est un mauvais peintre qui fait des choses terreuses, ternes, sombres, avec une obsession : le contenu social de ce qu'il veut représenter." 

Pendant une quinzaine d'années, donc, les tableaux de Vincent Van Gogh sont "d'une banalité affligeante, il est atone", poursuit Pascal Bonafoux. "Sa peinture est militante. Il est marqué par son expérience d'assistant prédicateur dans la région minière du Borinage, et il entend témoigner de ce que personne ne montre à l'époque." Les paysages lumineux et virevoltants de Saint-Rémy-de-Provence naîtront seulement dix ans plus tard. 

Conclusion : si votre enfant dessine "bien mais sans plus", ne désespérez pas !

S'il s'exécute comme Michel-Ange…

La trajectoire de vie de Michel-Ange est différente. Sa première peinture connue est Le Tourment de Saint Antoine, inspiré d'une gravure de Martin Schongauer et réalisé (tenez-vous bien) quand il avait 12 ou 13 ans. Admirez.

Michel-Ange, "Le Tourment de Saint Antoine", d'après Martin Schongauer, vers 1487-1488. (DR)

"Pour qu'un enfant fasse ce genre de choses, il faut qu'il vive dans un monde où la pratique de l'art est pensée sur des modes de transmission extrêmement forts, commente pour francetv info l'historien de l'art Pierre Wat**, enseignant à Paris I-La Sorbonne. Il baigne nécessairement dans un environnement où la technique picturale et le savoir humaniste sont mêlés. Ceci ressemble bien à de la peinture de la Renaissance." La précision du trait interpelle Pierre Wat. "Le traitement des rochers, la technicité dans la transparence témoignent du fait que quelque chose lui a été appris. Ce n'est pas l'œuvre d'un sauvageon qui sort de la forêt."

Pour autant, la patte de Michel-Ange reste imperceptible. "On n'arrive pas à voir que c'est Michel-Ange, c'est trop tôt, complète Pascal Bonafoux. La seule chose que l'on puisse déceler, c'est que le peintre est un apprenti scrupuleux et un récupérateur attentif, sensible à la peinture que l'on trouve par exemple en Europe du Nord au même moment." Soigneusement exécuté, Le Tourment de Saint Antoine reste une copie. Pour sortir du lot, "il faut avoir le courage de conjurer les règles académiques", affirme Pascal Bonafoux. Michel-Ange ne s'est pas contenté d'être "un petit maître", il a ensuite développé sa singularité, faite notamment de corps sculpturaux, de tension dramatique (regards expressifs, têtes inclinées) et, pour la chapelle Sixtine, de nudité décomplexée.

Pascal Bonafoux souligne par ailleurs que les modes d'apprentissage de la peinture n'avaient rien à voir avec ceux d'aujourd'hui, ce qui explique en partie une telle précocité. "A l'époque, on rentre dans un atelier à 6 ou 7 ans. Donc, à 18 ans, on a déjà appris toutes les techniques et roueries du métier." Ainsi, quand Michel-Ange adolescent sculpte cette Tête de faune (l'original a été perdu), "c'est sûrement qu'il a croisé une sculpture du même genre en se promenant chez les Médicis et qu'il s'est dit : 'Je vais faire pareil'. Pour les génies dans son genre, c'est une sorte de défi." 

• Conclusion : ne snobez pas les cours d'éveil à la peinture, votre enfant et vous pourriez le regretter !

S'il peint comme Picasso...

En un sens, Pablo Picasso a embrassé une carrière similaire, mais de façon encore plus éclatante. Il suffit de jeter un œil à La Première Communion (1896) pour s'en persuader. Fils d'un professeur de peinture, Picasso a 15 ans (!) et déjà un sens de la composition remarquable lorsqu'il représente cette scène religieuse assez académique. Plus tard, il déclarera à ce sujet : "Mes premiers dessins n'auraient jamais figuré dans une exposition de dessins d'enfant. La naïveté enfantine en était presque absente, l'exactitude de ces dessins, leur minutie, m'effrayaient."

Des spectateurs contemplent "La Première Communion", de Pablo Picasso, lors d'une exposition au musée Picasso, le 27 septembre 2005. Le peintre espagnol avait 15 ans lorsqu'il a composé cette œuvre. (CHRISTOPHE ENA / AP / SIPA / AP)

Si l'on remonte avant l'adolescence de Picasso, on tombe sur cet étonnant Picador (cliquez ici pour voir l'œuvre), dessiné quand l'Espagnol n'avait que 8 ans. Derrière le dessin quelque peu brouillon, "on remarque un ancrage évident dans la culture de son pays, selon Pierre Wat. Or la référence à l'Espagne traversera tout son œuvre, avec notamment l'intérêt pour la tauromachie. Cette création nous rappelle que la peinture n'est pas qu'un savoir-faire, c'est aussi un savoir." 

Un autre tableau surprend encore plus : La Fillette aux pieds nus, réalisé un an plus tôt (cliquez ici pour voir l'œuvre). "Là, c'est déjà un Picasso, souligne l'enseignant-chercheur. On y retrouve plusieurs caractéristiques de sa peinture : la posture frontale, le portrait assis, la tristesse du regard, le traitement du corps avec pieds sculpturaux, l'aspect presque primitiviste, le modèle déformé." On peut rapprocher ce tableau, dans un style comparable, à cette Femme assise ou cette Femme lisant, datant toutes deux de 1920.

Pour Pierre Wat, La Fillette aux pieds nus montre que rétrospectivement, les œuvres d'enfants nous renseignent sur les pièces futures. "Si l'on faisait une exposition sur ce thème, on verrait que, de façon moins habile et moins consciente, les artistes poursuivent la même obsession depuis le début, que ce soit dans les thèmes ou les motifs." Pas suffisant, toutefois, pour éclairer le mystère du génie dans sa totalité. Mais au moins un point commun relie ces trois grands peintres, d'après Pascal Bonafoux : "Un travail acharné. Rien n'arrive par hasard."

• Conclusion : si, à 10 ans, votre enfant peint comme Picasso, faites comme son père : soutenez-le, il ira loin !

* Pascal Bonafoux, auteur de Van Gogh, le soleil en face (Gallimard) et Les Carnets de Degas (Seuil).

** Pierre Wat, auteur de Naissance de l'art romantique (Flammarion) et Turner, menteur magnifique (Hazan éditions).

A lire également : Le Printemps des génies, les enfants prodiges, catalogue de l'exposition à la Bibliothèque nationale de France, en 1993.

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