Voyage en couleurs au Palais de Tokyo, dans l'univers étrange et décalé d'Ulla von Brandenburg
Des performeurs s'activent dans des "cabanes" délimitées par de grandes toiles colorées, chantant, déplaçant des objets. Bienvenue au Palais de Tokyo, dans une installation d'Ulla von Brandenburg, qui évoque l'envers du décor de théâtre et bien d'autres choses encore.
Ulla von Brandenburg propose au Palais de Tokyo une exposition en forme d'installation aux espaces délimités par de grandes pièces de tissu de toutes les couleurs. Avec cette œuvre qui intègre le chant, la danse, le théâtre, l'artiste allemande nous entraîne dans un univers un peu étrange et décalé, pour nous parler du rituel, du corps, du travail et de la nature, de l'individuel et du collectif. C'est une espèce de scène immersive assez réjouissante qui se transforme sans cesse, entre règles et improvisation, réalité et fiction, arts plastiques et spectacle.
L'envers du décor
Trois grands draps peints de couleurs vives, orange, bleu puis jaunes vous accueillent à l'entrée de l'exposition : vous êtes invité à les traverser en passant par trois grandes ouvertures rondes, légèrement décalées, découpées en leur centre. Une allusion à l'ouverture et la fermeture d'un objectif photographique, fait remarquer le critique d'art et commissaire de l'exposition, Yoann Gourmel.
On entre dans "une œuvre d'art total, presque un opéra", nous annonce-t-on. Cette entrée en est comme le prologue. C'est aussi le "quatrième mur du théâtre (celui qui sépare la scène des spectateurs, ndlr), l'envers du décor", explique Ulla von Brandenburg, artiste allemande installée en France. Car son installation géante pleine de couleurs, parfois labyrinthique, où on a plaisir à se déplacer de détours en raccourcis, fait tout le temps référence au spectacle. D'ailleurs, l'artiste a travaillé dans le théâtre et étudié la scénographie avant les arts plastiques. Elle renvoie aussi à la vie quotidienne et au travail.
Des cabanes de toile où circulent des comédiens
Le plancher fait penser à celui d'un théâtre, les grandes toiles qui délimitent les différents espaces évoquent un rideau de scène. L'un comme les autres sont faits de matériaux recyclés. Le premier a été réalisé avec une ancienne architecture verticale du Palais de Tokyo, ce qui enracine l'exposition dans le lieu. Les rideaux proviennent d'anciens travaux d'Ulla von Brandenburg, elle a recoupé, recousu les tissus dont la décoloration traduit souvent le passage du temps.
On se promène ensuite dans cinq espaces délimités par des toiles suspendues, des "cabanes". Des comédiens y circulent en même temps que nous, passant de l'une à l'autre, y effectuant des actions parfois un peu mystérieuses. On vous conseille d'y aller le samedi, le seul jour où ils sont présents, car on a du mal à imaginer l'espace sans eux.
Dans la première cabane, tendue de rouge, ils regardent une des toiles où des rectangles plus foncés laissent imaginer que des tableaux y ont été suspendus. Des craies d'une taille démesurée sont posées au sol. Car les cinq cabanes sont peuplées d'objets, parfois immenses comme une nasse à poissons ou une bouteille géante en osier. D'autres, plus discrets, sont déplacés par les performeurs d'un endroit à l'autre, dans un mouvement qui fait évoluer la scène.
Des objets en devenir
Des rubans colorés roulés dans des boites en fer sont parfois déroulés au sol, des cordes sont bien rangées ou dépliées, des cannes en bambou sont posées ou dressées, des bols en terre brute empilés ou étalés. Il s'agit d'objets liés à nos besoins essentiels : manger, boire, dormir, écrire, se vêtir et se transformer. On les retrouvera à la fin de l'exposition dans une série de films sous-marins où ils prennent une autre dimension, plus onirique, pour flotter étrangement : "Une proposition plus abstraite, plus inconsciente, parce que tous ces objets trouvent un nouvel avenir et trouvent leur propre mouvement, l'eau leur imprime une danse", explique Ulla von Brandenburg.
Une comédienne habillée de jaune (les performeurs sont tous vêtus de couleurs différentes, un pantalon et une veste entre pyjama et habit de travail) arrive avec une poupée en tissu dans les bras. D'autres mannequins de ce genre sont assis au sol. Il s'agit des doubles des comédiens, créés exactement à leurs mesures. Un performeur vêtu de bleu longe un rideau, le bras en avant qui effleure la toile. "Ce n'est pas de l'improvisation pure et permanente, il y a plein de règles qu'on a développées ensemble", précise l'artiste.
Une meule d'un autre temps
Un peu plus loin, une autre "cabane" est liée aux éléments, la terre, le vent, la mer, avec une voile de bateau orange en guise de cloison. Au centre a été placée une immense meule de foin dont le parfum embaume l'espace. Elle "fait référence aux tableaux de Monet et de Pissarro", explique Ulla von Brandenburg, qui a voulu utiliser des éléments liés à la nature ou à son exploitation par l'homme. "Et c'est aussi le symbole de quelque chose qui n'existe plus, parce que, aujourd'hui, les meules de foin sont devenues des espèces de boules en plastique."
Le Milieu est bleu, proclame le titre de l'exposition. Et, donc, la cabane située au centre est bleue. Elle est dédiée à la danse. Car, explique Yoann Gourmel, une idée qui sous-tend l'exposition est celle de savoir "comment on peut faire groupe, œuvrer en commun et comment au sein d'un groupe on peut s'émanciper des rôles qui nous sont attribués. Dans les performances, il y a des actions menées de façon individuelle, des moments de relation à deux ou trois, et puis des moments où tous se retrouvent dans un ou l'autre des espaces", pour des temps de danse ou de musique notamment.
Le son d'une communauté
L'espace de la danse est vide au moment où nous y passons mais la cabane de la musique résonne de chants et d'onomatopées. "Les performeurs s'accordent pour trouver ensemble le son de leur communauté", explique l'artiste. La cabane est aussi dédiée au sommeil : cinq courtepointes aux motifs géométriques de couleurs vives sont pliées, dépliées, étalées. Ils se couchent dessous, les façonnent en des volumes étranges.
On retrouvera les acteurs dans un film réalisé en temps réel en pellicule couleur, une espèce de conte intemporel autour d'un rituel (on pourrait aussi bien être au Moyen-Âge), mettant en scène une "microcivilisation coupée de l'extérieur". Il a été tourné au Théâtre du peuple de Bussang, installé à la campagne, dans les Vosges et créé en 1895 par Maurice Pottecher. Son mur de fond s'ouvre sur la forêt et, à la fin, après un temps d'hésitation, tous les acteurs le franchissent pour sortir dans la nature. "Ces gens partent pour arriver ici, au Palais de Tokyo, où s'ouvre le deuxième chapitre de leur vie", raconte Ulla von Brandenburg.
Ulla von Brandenburg, Le Milieu est bleu
Palais de Tokyo
13, avenue du Président Wilson, 75016 Paris
Tous les jours sauf le mardi, midi-minuit (les performeurs sont présents uniquement le samedi)
Tarifs : 12 € / 9 €
Du 21 février au 17 mai 2020
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