Ayman, 13 ans, rêve de devenir Bruce Toussaint
Le jeune homme, en classe de troisième, présente des journaux télévisés plus vrais que nature sur YouTube. Il nous a raconté sa passion.
"14 heures sur i-Télé, si vous nous rejoignez à l’instant soyez les bienvenus. A la une, voici les titres…" Le visage est sérieux, le regard, droit, et les intonations, très journalistiques. Sur YouTube d’habitude, les ados font surtout des vidéos comiques à base de montages malins, réalisent des défis plus ou moins téméraires ou racontent leurs histoires de cour d’école. Mais pas Ayman.
Ce collégien de 13 ans, chemise blanche et cheveux proprement coiffés en arrière, donne avec énergie et application les titres de l’actualité du jour. Du générique aux incrustations, le résultat est plutôt réaliste.
Mais ce David Pujadas miniature n’a pas de régie, ni de plateau télé. Il se filme tout seul "en mode selfie", devant son lit mezzanine, à l’aide d’une simple tablette qu’il cale sur son bureau. Et en une seule séquence. "Je suis dans ma chambre, mais j’ai l’impression d’être en direct ", confie-t-il à franceinfo avec un ton de passionné. Pour le moment, il compte à peine une centaine d'abonnés sur sa chaîne. Mais plusieurs de ses fans sont des journalistes installés, comme Kareen Guiock, de M6.
Un poème sur Claire Chazal
Comme beaucoup de belles histoires, la sienne commence par un coup de foudre. Il y a environ deux ans, Ayman découvre le journal télévisé de TF1, "par hasard". Il n’a que 11 ans, et il est fasciné. "Claire Chazal était devenue mon idole. Je ne loupais aucun JT." Il lui écrira des lettres, auxquelles elle ne répondra pas. Il est déçu, évidemment. "Mais je la comprends, vu comment elle est entourée. Elle est un peu inaccessible."
Ayman n’est pas rancunier. Quand sa présentatrice-vedette se fait licencier, il est dévasté. Au point de lui dédier un poème lyrique dans le cadre d’un devoir de français à l’école. Bref, Ayman est un "fan", un vrai, comme le sont souvent les jeunes de son âge. Sauf qu’il ne glorifie pas Jul ou Beyoncé, mais une présentatrice de JT de la génération de ses parents.
A l’époque, sa mère Elvisa, 36 ans, ne le prend pas vraiment au sérieux. "Ce n’est que quand il a posté sa première vidéo que je me suis dit 'waouh !'. J’étais super émue. Quand il était plus jeune, c’était un petit garçon renfermé. Il s’est ouvert d’un coup", raconte-t-elle. Pour Ayman, la vidéo réalisée en juin 2015 "était un peu nulle". Mais elle a plu. Depuis, dans son école de Troyes, professeurs et élèves le surnomment "le journaliste". Et pas pour se moquer.
Toute la journée devant i-Télé
Il faut dire qu’Ayman impressionne son monde. Sa mère a découvert que son fils était "surdoué" en l’écoutant discuter avec ses amis architectes et médecins. "Il parlait de tout avec eux, de politique, de choses très sérieuses, et avec un niveau de langue très soutenu." Elvisa, Bosnienne d’origine, précise qu’elle-même ne parlait pas un mot de français avant d’arriver en France en 2001.
Ayman découvre le monde à travers l'info. Et c'est un vrai accro. Comme deux journaux télévisés par jour – celui de 13 heures et celui de 20 heures – ne lui suffisent pas, il se met vite à l’info en continu. Tous les matins, il prend son petit-déjeuner avec i-Télé, puis rebelote le soir au retour de l’école à 17 heures, en même temps que les devoirs. N'est-il pas lassé, à la longue ? "Les gens disent que ça se répète, mais moi je ne trouve pas. Il y a toujours des différences entre deux journaux, le journaliste utilise des mots différents ou présente les choses d’une autre façon et ça me permet de mieux comprendre." A 19h45, il passe sur M6, puis TF1, et enfin, quand c’est possible, regarde la fin du journal de France 2.
Plusieurs fois par semaine, le mini-journaliste recopie les textes des journaux télé et des chaînes d’info, et s’entraîne à les redire à voix haute dans sa chambre. Il a accumulé des centaines de pages de ces fiches d’actualité. Quelquefois, il en fait une vidéo. "Je ne tourne pas très souvent", précise-t-il. Entre le tournage et le montage, réalisé avec un logiciel gratuit pour iPad, ça lui prend une journée de travail.
Il ne regarde presque jamais de films, dit ne pas aimer les fictions. Il préfère les documentaires ou les magazines d’investigation : "J’aimerais un jour en raconter, des histoires vraies comme ça". Il cite "90' Enquêtes", "Terrain d’investigation", "Enquête d’action", "Zone interdite", "Sept à Huit", "66 Minutes"... Il aime surtout "là où il y a la police et des accidents". De l'action, en somme. Sa seule passion en dehors des news, c’est le foot : il joue en club depuis cinq ans. "Mais je ne m’intéresse pas trop aux joueurs", confie-t-il.
La "petite star" de Canal +
En octobre 2015, il publie son faux journal d’i-Télé sur Facebook, en mentionnant une dizaine de journalistes qu’il a ajoutés en "amis", juste comme ça, pour voir. Salve de compliments. Et miracle : il est invité à venir visiter les rédactions d’i-Télé et Canal +, mais aussi de TF1.
Il parle encore de cette journée avec émotion. Surtout de son passage à i-Télé. Il dit qu'il était "un peu choqué d'être accueilli comme un VIP" : "Je n’ai pas réussi à manger les pains au chocolat qu'on nous a présentés." La vidéo d’Ayman a beaucoup tourné dans la rédaction avant son arrivée et il a été la coqueluche de la journée – sa mère dit "la petite star".
Il détaille : "Je suis allé dans la régie, et tous les journalistes d’i-Télé sont venus me voir pendant la pub. Ils étaient très gentils, me posaient plein de questions. Mais j’étais trop ému et je n’ai pas bien répondu. C’est mon regret." Ayman associe les journalistes qu’il croise à ce moment-là aux noms et aux postes qu’ils occupent. Il cite Thomas Lequertier, Habiba M'ghizou, Bruce Toussaint et Emilie Tran Nguyen. Cette culture-là impressionne beaucoup sa mère. "Je n’en revenais pas : il connaissait tout le monde !"
Son rêve : couvrir les attentats
Depuis son passage à Canal +, Ayman se voit déjà travailler dans sa chaîne d’infos. Il tweete régulièrement son soutien à la grève de la rédaction, qu’il explique avec des mots d’adulte : "Ce n’est pas seulement la mise en retrait de Jean-Marc Morandini que les journalistes demandent. Le problème, c'est qu’ils n’ont plus de moyens ces derniers temps, et ça porte atteinte à la liberté de la presse !"
Quand on lui demande s'il s'inquiète de la crise des médias, il répond un peu déboussolé : "Je croyais que ça ne touchait qu’i-Télé..." Avant de se reprendre avec optimisme : "Je pense que les choses vont changer."
Pour le moment, il rêve d’être journaliste sur le petit écran. "Mais j’aime aussi la radio et l’écrit", tient-il à préciser. Il insiste : "Il faut savoir que j’aime le journalisme en entier. Je ne veux pas seulement être présentateur. Je sais qu’il faut faire beaucoup de terrain avant, et je pense que j’aimerais ça, même si je ne sais pas encore comme ça se passe."
Il voudrait être envoyé "là où il se passe des trucs, même si c’est dramatique". Attentats, scènes de guerre… "Je sais que c’est dangereux, qu’on peut mourir là-bas, en Syrie, mais je veux vivre cette ambiance-là et la transmettre. C’est bien le rôle du journaliste, non ?"
Sa mère, responsable d’une boutique de vêtements à Troyes, élève ses trois enfants toute seule. Elle précise qu’elle n’a "pas beaucoup de temps pour être auprès de [ses] enfants, malheureusement". Mais elle a changé Ayman de collège cette année pour le mettre dans le privé. "Le directeur de son ancienne école me l’a conseillé, parce que c’est un garçon qui a envie de travailler, m’a-t-il dit. C’est un investissement pour moi mais je ne le regrette pas. C’est pour son avenir."
Ayman est "confiant pour [son] brevet". Pour le reste, il a le temps de voir venir. Mais il se renseigne déjà. Au téléphone, il me demande, un peu inquiet : "On m’a conseillé l’Ecole de journalisme de Lille. Est-ce que c’est difficile d’y entrer ?" Il finit par m’interviewer sur l’organisation de la rédaction de franceinfo. Puis, quand il se rend compte qu’on compte vraiment écrire un article sur lui, il prend un ton concerné : "Vous êtes sûrs que c’est une actualité assez importante ?" Ayman, 13 ans, pose déjà les mêmes questions que mon rédacteur en chef.
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