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Après Picasso, Julie Birmant et Clément Oubrerie dévoilent, dans une BD poétique et intime, les fulgurants débuts de Salvador Dali

Comment Dali est-il passé de jeune homme maladroit à génie de la peinture puis à "Avida Dollars", un mégalomane multipliant les provocations comme autant de coups marketing ? C'est le mystère que proposent d'éclairer Julie Birmant et Clément Oubrerie dans cette nouvelle série de BD addictive.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Détail de la couverture de la BD "Dali Tome 1 – Avant Gala" de Julie Birmant et Clément Oubrerie. (DARGAUD)

Après nous avoir régalés avec les quatre tomes remarquables de Pablo, qui racontait la jeunesse de Picasso dans le Montmartre du début du XXe siècle, le tandem gagnant Julie Birmant (scénario) et Clément Oubrerie (dessin) se penche cette fois sur l'ascension d’un autre monstre sacré de la peinture, Salvador Dali. Pour nourrir leur histoire, fourmillante d’anecdotes authentiques, ils ont lu toutes les biographies disponibles du peintre catalan connu pour son extravagance, sa folie singulière et sa mégalomanie, et particulièrement les deux livres écrits par l’artiste lui-même, La vie secrète de Salvador Dali et Journal d’un génie.

Le premier tome de leur bande dessinée, qui vient de sortir, nous conte le Dali d’avant Gala, sa muse de toute éternité. Il commence pourtant par un clin d’œil à leur précédent sujet, Picasso, dans l’atelier duquel Paul Eluard raconte, en novembre 1929, comment il vient de se faire ravir sa femme Gala par un jeune peintre que Pablo qualifie de "bellâtre maléfique" et de "Méphisto". Débute alors, avec une jolie trouvaille narrative, le long flashback que constitue ce premier volume sur les traces des années d’apprentissage de Dali, de son enfance à Figueras, une petite ville de Catalogne, à son arrivée à Paris.

Salvador n’a pas encore fait pousser sa moustache, il porte les cheveux longs, de curieuses tenues vieillottes, il est puceau et vit encore chez ses parents. Son père, qui considère que peintre n’est pas un métier, accepte finalement, après la mort de sa femme emportée par un cancer foudroyant, de faire passer à son fils le concours des Beaux-Arts.

Cette scène montrant Pablo Picasso et Paul Eluard ouvre la BD "Dali Tome 1 – Avant Gala" de Julie Birmant et Clément Oubrerie (2023). (DARGAUD)

À Madrid, tout change. Le jeune Dali passe des heures à contempler les toiles exposées au musée du Prado, notamment celles de Velázquez, et il fait la rencontre déterminante de deux camarades : Luis Buñuel, futur cinéaste, qui se cherche encore entre le sport et la pratique de l’hypnose, et Federico García Lorca, qui est déjà un poète prisé de la jeunesse.

À leur contact, Salvador Dali sort de sa coquille et, en dépit de ses complexes et de son manque de confiance en lui, ses rêves de grandeur commencent à le travailler. Il aime Lorca "d’un amour si grand qu’il doit rester inassouvi", tout en rêvant d’une "femme aux yeux incandescents". Il découvre les surréalistes, prend de l’assurance, défie ses professeurs et écrit avec Buñuel le scénario de ce qui deviendra Un chien andalou.

Bientôt, le jeune chien fou brûle d’aller à Paris, de découvrir Le Louvre et de rencontrer Picasso. Et fantasme de mettre la Ville Lumière à ses pieds. On le quitte à la fin de ce premier tome au bord de la folie, à la veille de sa rencontre avec Gala, de dix ans son aînée, qui le sauvera après l’avoir dépucelé à l’âge de 25 ans.

Une planche de "Dali Tome 1" de Julie Birmant et Clément Oubrerie (2023). (DARGAUD)

Les auteurs ne se contentent pas de raconter l’éclosion de Dali en truffant leur récit d’anecdotes tout aussi savoureuses qu’édifiantes, donnant rythme et profondeur à cette BD. Ils tentent aussi de nous plonger à bord de sa psyché. Pour ce faire, ils ont longuement étudié ses toiles. "Ses tableaux sont comme des journaux intimes, ils sont peuplés de ses obsessions et de ses lubies", remarque Clément Oubrerie. "Ce sont de vraies visions intérieures, des rêves éveillés nourris par les théories de la psychanalyse et du Surréalisme". Les mantes religieuses, thème récurrent et parfois caché de ses œuvres, sont ainsi liées à sa terreur sexuelle des femmes. Son obsession pour les langoustes (et les homards) dit son besoin d’une carapace protectrice.

Les dessins de Clément Oubrerie passent admirablement du réalisme des décors du début du XXe siècle à l’onirisme pur, en écho à l’imaginaire débordant que cultivait Dali. Le choix de la couverture, qui fait écho à une image du personnage de Fantômas omniprésente à l’époque, montre un Dali bleuté fantasmant la domination d’un Paris éclaboussé de rouge. À la couleur : Sandra Desmazières. Inutile de dire qu’on salive déjà à l’idée des deux prochains tomes, promis pour avril (Gala) et octobre 2024 (Avida Dollars), dans lesquels les auteurs exploreront les rapports de Dali avec sa muse Gala, puis sa mutation en mégalomane assumé, adulé et connu du monde entier.


"Dali (Tome 1 – Avant Gala)" de Julie Birmant et Clément Oubrerie (Dargaud, 19 euros)

La couverture de la BD "Dali Tome 1 – Avant Gala" de Julie Birmant et Clément Oubrerie, avec Sandra Desmazières à la couleur. (DARGAUD)

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