BD : décollage réussi pour la maison d'édition Rue de Sèvres, créée il y a un an
Il y a un an, la petite équipe de Rue de Sèvres s'installait dans les murs de l'école des loisirs, une institution de la littérature Jeunesse bientôt cinquantenaire. "La peinture était encore fraiche quand on est arrivés", sourit Charlotte Moundlic, directrice artistique et responsable éditoriale BD Jeunesse. Depuis, les auteurs sont passés par là, et les murs ont pris des couleurs…
Décollage réussi
La BD est entrée dans l'antre de ce monument de l'édition Jeunesse en même temps que Louis Delas, fils de Jean Delas, co-fondateur avec Jean Fabre de l'école des loisirs, maison presque cinquantenaire, (célébration l'an prochain), 150 salariés, 5000 titres et des très grands auteurs à son catalogue : Grégoire Solotareff ("Loulou"), Tomi Ungerer, Susie Morgenstern, ou Claude Ponti … Leurs livres sont devenus des classiques : on les lit dans les écoles, ils ont une place dans les bibliothèques, servent de supports pédagogiques, sont plébiscités par les professionnels de l'enfance.
Une petite équipe a été constituée pour lancer l'aventure BD. Elles sont quatre –trois éditrices et une responsable du marketing- et viennent toutes les quatre de chez Flammarion ou Casterman, dont Louis Delas était PDG avant de rejoindre la maison familiale, qu'il co-dirige désormais avec l'autre branche fondatrice de l'école des loisirs.
Rue de Sèvres a été très bien accueillie par la maison-mère. "On a fait une crémaillère, ils sont tous venus ! Les éditeurs de l'école des loisirs sont très intéressés par ce que l'on fait et n'hésitent pas à traverser la cour pour venir nous voir, pour proposer des textes qui pourraient être adaptés, ou pour emprunter des BD dans notre bibliothèque!". De ce côté-là, donc pari gagné, mais comment se positionner dans un marché déjà en surproduction? Louis Delas a tranché : la qualité plutôt que la quantité.
Les premiers titres sont parus en septembre, et la maison inaugurée avec la publication d'un album inattendu de Zep. "Une histoire d'hommes". L'auteur de Titeuf y dévoile un style graphique totalement différent au service d'une histoire qui raconte les retrouvailles d'une bande de rockeurs.
L'auteur au cœur des projets
La maison publie une vingtaine de titres cette année, l'objectif à terme étant de publier au maximum 40 ou 50 albums par an. "La marque de fabrique de la maison, c'est de mettre l'auteur au cœur des projets, explique Charlotte Moundlic. "Certes, le marché est saturé, mais quand on regarde de près, il y a beaucoup de choses moyennes. Donc, il y a encore de la place, pour la qualité."
La maison est intraitable sur la sélection. "On reçoit énormément de propositions, entre 5 et 10 projets par semaine. On lit tout attentivement et nous-mêmes, pas question de passer à côté d'un trésor. Mais on est très sélectifs", explique encore Charlotte Moundlic. "On rêverait de construire un catalogue à l'image de l'école des loisirs. Ce qu'on aimerait, c'est constituer un fond, que nos livres deviennent des classiques. Un peu comme les albums ou les romans jeunesse de l'école des loisirs" ajoute-t-elle.
Rue de Sèvres a fait le choix d'être généraliste et a développé trois axes : la BD adulte, des ouvrages tous publics et de la BD pour la jeunesse. "Nous aimerions proposer de nouveaux récits sur le créneau de la bd 'tout public', familiale, représentée aujourd'hui par des séries classiques" explique Agathe Jacon, responsable du développement et du marketing.
Dans cette gamme, la maison a publié "Quatre sœurs", une adaptation d'un roman de Malika Ferdjoukh et a en projet "Le château des étoiles", que la maison a décidé de lancer d'abord sous forme de gazette en mai, juin et juillet avant de publier l'album en septembre, une histoire de la conquête spatiale au XIXe siècle, racontée par Alex Alice, l'auteur de "Siegfried" (Dargaud) et "Le troisième testament" (Glénat).
Premières bulles : un pont entre la BD et la jeunesse
Rue de Sèvres fait aussi le pari de la BD pour les plus jeunes. "De ce côté-là on sent que ça frémit", explique Charlotte Moundlic. "Longtemps la bande dessinée n'était pas une lecture sérieuse. Encore aujourd'hui on voit les parents être d'accords pour acheter une BD, mais il faut acheter un roman en même temps. A la bibliothèque aussi, aujourd'hui, les enseignants n'interdisent pas la lecture de BD sur place, mais pour certains, pas question d'emprunter ! Notre objectif justement, c'est de nous appuyer sur la légitimité de l'école des loisirs pour donner à la BD ses lettres de noblesse."
Rue de Sèvres a déjà publié " Zita la fille de l'espace", de Ben Hatke et lance début mai "Premières bulles", des ouvrages destinés aux jeunes lecteurs pour qu'ils fassent leurs premiers pas vers la BD. Des livres qui mixent BD et narration traditionnelle. Le dessinateur de presse Jul s'est lancé dans l'aventure avec "Mon père ce héron".
L'école des loisirs est un formidable réservoir d'histoires
La maison a des atouts. La légitimité, d'abord. "Etre adossé à une maison comme l'école des loisirs, c'est une vraie chance", souligne Charlotte Moundlic. "Les auteurs viennent spontanément nous nous proposer des projets".
L'école des loisirs est aussi un formidable réservoir d'histoires. "On n'hésite pas à puiser dans le catalogue, pour adapter les romans. Je lis beaucoup de choses. Evidemment tout ne peut pas être adapté, surtout quand l'idée est de ne pas dénaturer l'oeuvre originale, mais le catalogue est plein d'histoires de grande qualité, qui ont fait leurs preuves", explique Charlotte Moundlic.
"Il y a aussi une grande curiosité de la part des auteurs pour la BD. Ils viennent nous voir avec des propositions. Quand on s'arrête sur un projet, on propose toujours à l'auteur de participer à l'adaptation. Certains le font d'autres pas, mais dans tous les cas, le travail se fait toujours dans le respect de l'œuvre et de l'auteur", précise Charlotte Moundlic. Ce pont jeté entre les deux univers a aussi des effets colatéraux intéressants : "Certains auteurs de romans nous disent que l'adaptation de leur texte en BD les a fait réfléchir à leur manière de travailler l'écriture", ajoute l'éditrice.
Autre atout : s'appuyer sur un réseau solide, construit de longue date par l'école des loisirs avec les libraires, les enseignants, les bibliothèques et sur le travail de l'équipe commerciale, la même que celle qui s'occupe de l'école des loisirs, "très efficace", souligne Agathe Jacon.
Réimpression des premiers titres
Alors même que l'édition traverse une zone de turbulences, lancer une nouvelle maison était un pari ambitieux. L'équipe de Rue de Sèvres a d'autant plus de raisons de se réjouir. "On a déjà réimprimé le Zep (65 000 exemplaires vendus à ce jour), et aussi "Quatre sœurs", et "Le Horla" s'est déjà vendu à 15 000 exemplaires", déclare avec le sourire Agathe Jacon.
"C'était osé, franchement, on les attendait pas, le marché est déjà tellement chargé!", explique Grégoire Orshinger, libraire du Tome 47, librairie spécialisée BD ouverte il y a un an en banlieue parisienne. "Mais ça marche. On vend bien. C'est varié et ce sont des albums de qualité, donc ça marche", conclut-t-il.
D'autres projets sont en cours, "Cet été-là", un roman graphique de deux Canadiennes d'origine japonaise, sera en librairie le 14 mai. En chantier aussi, un ouvrage de Jacques Ferrandez et Yves Camdeborde (sortie le 29 octobre), un autre de l'auteur jeunesse Olivier Tallec, ou une adaptation par Christian de Metter d'"Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre (Prix Goncourt 2014). Il en signera le scénario. Sortie prévue en 2015.
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