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BD : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe en 3 albums

Trois albums BD sortis simultanément en librairie ont pour sujet le sexe : "L'origine du monde" de Liv Strömquist (Rackham), "Sex Story" de Philippe Brenot et Laetitia Coryn (Les Arènes BD) et "L'herbier sauvage" de Fabien Vehlmann, et Chloé Cruchaudet (Editions Soleil). Trois albums, trois façons de raconter le sexe, son histoire, ses histoires.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Couvertures de "Sex Story", "L'origine du monde", et "L'herbier sauvage"

Trois albums BD s'attaquent en même temps au sujet du sexe. Trois albums, trois angles : "L'origine du monde", de la suédoise Liv Strömquist explore avec militantisme et humour le sexe au féminin, son histoire, ses représentations, et les interdits qui l'ont accompagné à certaines époques. "Sex Story" a pour ambition de balayer toute l'histoire du sexe et de l'amour des origines de l'homme à nos jours avec les textes du psychiatre et anthropologue Philippe Brenot et les dessins rigolos de Laetitia Coryn. Enfin, "L'herbier sauvage" est une somme de témoignages érotiques recueillis par Fabien Vehlmann, illustré avec les très belles aquarelles de Chloé Cruchaudet.

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"L'origine du monde" Liv Strömquist (Rackham – 20 euros) 
 
"L'origine du monde" est une véritable encyclopédie du sexe féminin, rédigée par une suédoise féministe. Connue en Suède pour ses émission de radio et de télé, Liv Strömquist s'intéresse aux questions sociales, et en particulier au statut de la femme. Elle a étudié les sciences politiques, a vécu en Amérique du Sud, et notamment au Mexique, pour effectuer des missions humanitaires, avant de rentrer en Suède où elle s'est fait connaître en animant une émission à la radio. "Quand le livre est sorti en Suède, le public savait déjà à quoi s'attendre, puisqu'ils connaissaient son militantisme féministe", raconte Latino Imparato, son éditeur en France (Rackham).

Dans "L'origine du monde", la suédoise décortique littéralement le sexe féminin. Elle commence sa démonstration par une galerie de portraits des "hommes qui se sont un peu trop  intéressé à ce qu'on appelle 'les organes féminins'". Et elle balance, sans souci chronologique : John Harvey Kellog (1852-1943) qui se présente lui-même : "Non seulement je suis médecin, mais j'ai aussi inventé les Corn flakes ! Et en plus, je ne rate pas une occasion d'empêcher les femmes de toucher leur sexe". On est au XIXe siècle et la masturbation est considérée comme une activité dangereuse, à combattre. Tous les moyens sont bons, y compris la méthode radicale : ablation du clitoris.

Le sexe féminin nié et mutilé

La clitoridectomie était une opération très courante à l'époque, explique l'auteure, préconisée et pratiquée sans limite par un autre docteur, anglais cette fois, Backer Brown (1811-1873), pour soigner de tous les maux : hystérie, mal de tête, dépression, désobéissance… Cette pratique persiste jusqu'à la fin du XIXe siècle et même au-delà : la dernière clitoridectomie est pratiquée en 1948 (sur une petite fille de 5 ans !).
  (Liv Strömquist / Rackham)
Saint Augustin (354-430), n'est pas épargné : cet amateur de sexe dans sa jeunesse, est  "frappé soudainement d'une idée complètement inédite". Il se met à décrire le sexe comme une chose sale. Ses pensées, exposées dans "Les confessions", ont pourri la vie des femmes pendant des siècles, estime la suédoise. "Ca se serait tellement mieux passé pour toutes les femmes ces quinze-seize derniers siècles si notre Augustin ne s'était pas acharné à étaler ses idées et ses sentiments sur tout et n'importe quoi" s'amuse-t-elle, ajoutant que cette pensée de Saint-Augustin est "tout à fait révolutionnaire, quand on sait qu'à l'Antiquité l'érotisme et les désirs étaient considérés comme un cadeau des Dieux". Le sexe est pécher originel,  et surtout la femme, le corps de la femme, "pécheresse et sale"…

Transgenre

Dans la liste on croise aussi John Money (1921-2006), professeur de psychologie médicale et adepte du genre binaire : A/une fille est une fille, B/un garçon est un garçon. Ce qui pose un léger problème pour les 1 à 2 % des enfants qui naissent avec des organes sexuels ne permettant pas de les ranger dans l'une ou l'autre de ces deux catégories. Money propose d'opérer pour régler la question. La réalisation d'un sexe féminin étant plus simple, la plupart des bébés sont transformés en filles. Liv Strömquist dessine les chirurgiens de l'époque comme des gros flemmards qui expédient les mutilations en attendant le week-end. Cette lubie émerge au XIXe siècle, alors que dans la plupart de sociétés, ne pas entrer dans une case n'avait jusque là posé aucun problème. Cette pratique perdure aujourd'hui encore dans de nombreux pays, dont la Suède.

Au musée des horreurs on trouve aussi le baron George Cuvier (1769-1832 qui disséqua le corps de Saartjie Baartman, une femme khoisan africaine, qui avait été vendue comme esclave à Alexander Dunlop, qui en fit spectacle à son retour à Londres. Cuvier conserva la vulve et le cerveau de cette femme dans du formol, comme preuve de ses théories scientifiques racistes.

Ne pas effrayer les extra-terrestres avec une vulve

Liv Strömquist ne se contente pas de dresser la liste de ces hommes et de leurs exploits, elle s'intéresse à la représentation du sexe féminin dans l'art ou dans les ouvrages scientifiques, selon les époques, mais aussi à l'orgasme féminin. Deux chapitres hyper documentés, comme tout le livre, remettent les idées en place. On y découvre par exemple le dessin envoyé dans l'espace dans la sonde Pioneer par la NASA en 1972 qui devait diffuser des informations sur la vie sur terre à destination des éventuels extra-terrestres. Sur une plaque en aluminium sont dessinés un homme et une femme, nus. Sur le dessin de la femme, les responsables de la NASA ont supprimé le trait qui figure la vulve, de peur de heurter les extra-terrestres.
Les  extra-terrestres, "L'origine du monde"
 (Liv strömquist)
De manière générale, remarque Liv Strömquist, "dans notre culture, la représentation ou la mention des parties visibles externes de l'entre-jambe féminin sont rares. En effet, notre société semble avoir bien du mal à articuler le mot 'vulve'." L'auteure suédoise s'amuse à imaginer la réaction des extraterrestres en découvrant ce dessin et note qu'autrefois, dans les civilisations qui ont fondé le monde occidental, on avait beaucoup moins de réticences à représenter le sexe féminin, ou à en parler. Au contraire. Présent dans les mythes, il est très souvent représenté dans les sculptures ornant les édifices religieux.

Découvertes tardives sur le clitoris

Liv Strömquist explore aussi l'histoire de l'orgasme féminin, déformée par la domination masculine. Elle note qu'il  faudra attendre 1998 pour ébranler cette vieille théorie des deux types d'orgasmes (le clitoridien ou vaginal). En 1998, Helen O'Connell du Royal Melbourne Hospital découvre en effet que le gland du clitoris est seulement la partie immergée de l'iceberg. L'organe est en fait long de 7 à 10 centimètres et consiste en deux racines et deux bulbes qui enserrent partiellement le vagin des deux côtés. "Et c'est l'organe en entier qui gonfle par l'excitation sexuelle".
  (Liv Strömquist / Rackham)
On en apprend beaucoup, et pas seulement sur le sexe, en lisant "L'origine du monde". A travers l'histoire du sexe féminin et de sa représentation, c'est toute la société et l'histoire du monde que scanne Liv Strömquist dans cet album hyper documenté, sources citées pour chaque argument avancé. Pour livrer toutes ces informations, Liv Strömquist joue avec des dessins très simples. "A l'origine, elle n'est pas auteur de BD, et elle  revendique l'"Ugly drawing", explique Latino Imparato "mais elle aime ce média parce qu'il permet de rendre compte de concepts complexes avec humour", poursuit-il.

La suédoise a beau ne pas être une professionnelle de la BD, elle maîtrise parfaitement la narration, saute les époques, joue les anachronismes, réussit à glisser un maximum d'informations sans jamais perdre ni étouffer le lecteur. On lit "L'origine du monde" comme une épopée engagée. Des photos, des collages, des textes qui grossissent avec la colère, ou rapetissent quand il faut concentrer les informations, Liv Strömquist ne s'interdit rien, et l'on s'amuse beaucoup en lisant cet album d'une grande richesse, qui ne tombe à aucun moment dans la  vulgarité. Fortement recommandé, autant pour les hommes, que pour les femmes. 

A voir aussi, "Exposition Le Divan de Liv" à l'Institut suédois. 
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Sex Story - La première histoire de la sexualité en BD de Philippe Brenot et Laetitia Coryn (Les Arènes BD)
  (Les Arènes BD)
Ce deuxième album est une histoire plus large et plus linéaire de la sexualité, qui commence avec les hommes préhistoriques (c'était sommaire et bien organisé) et qui s'achève avec les nouvelles technologies au service de la sexualité. Entre temps, on aura traversé l'Egypte, la Grèce antique, le Moyen Age, on en saura plus sur l'amour libre (surtout et seulement pour les hommes, quand même) pratiqué à Babylone (1700 avant J. –C.), l'appétit sexuel de Cléopâtre et sa "manie fellatrice" envers ses gardes, les fêtes phalliques en l'honneur de Dionysos, l'homosexualité et la place de la femme dans la Grèce antique.

Bacchanales

Mère de la civilisation occidentale, l'Egypte avait une conception avant-gardiste de l'amour et du sexe, prônant l'égalité entre les hommes et les femmes, et déjà capable de réguler les naissances, et invente des moyens de contraception tel que l'acacia en guise de stérilet ou le tampon contraceptif confectionné à base de dates, coloquinte et miel. Les Egyptiens pratiquent "l'amour attentionné et l'érotisme". Quant à Cléopâtre, elle serait "l'inventeuse du vibromasseur cornet de papyrus rempli d'abeilles".

Dans la Rome antique on est d'abord adepte de l'amour libre sur le modèle grec, puis la répression fait rage après l'instauration de la République en 509 avant J.- C., avant un nouvel assouplissement. A Rome en période de liberté on fête les fameuses bacchanales (qui furent interdites en 186 avant J.-C. pour cause de désordres publics) ou autres fêtes comme les saturnales, qui se succèdent tout au long de l'année, la plupart pour fêter les dieux de la fertilité, de la fécondité, de libres mœurs et qui se terminent en général par des orgies. 
  (Laetitia Coryn / Les Arênes BD)
Un chapitre est consacré à l'art d'aimer dans la Rome antique, qui détaille les pratiques sexuelles de l'époque (les "baisers tout autour de la bouche", l'interdiction pour les époux de jouir , les lupanars …). On note que dans cette affaire de liberté en amour, "chaque progrès est aussitôt suivi d'une période de répression", et surtout quelque soit la politique adoptée, la femme est toujours cantonnée à un rôle inférieur, chargée de la reproduction ou bien prostituée. La liberté ne s'appliquant de fait qu'aux hommes.

La fidélité : une nouveauté inventée par les chrétiens

Cette coutume ne risque pas de s'eteindre avec l'arrivée du christianisme, qui prône "la décence" et nouveauté, préconisée dans l'évangile selon Saint Paul : "l'homme doit être un mari d'une seule femme" et "aimer sa femme comme le christ aime son Eglise". Mais le statut de la femme ne change pas avec l'arrivée du christianisme puisque "on ne retiendra de Paul qu'une sentence : "le mari est le chef de la femme, comme le christ est le chef de l'Eglise", qui légitime la domination masculine jusqu'au XXe siècle. Les premiers mariages ont lieu en catimini, la nuit dans la forêt. On s'y jure fidélité. C'est une nouveauté.
  (Laetitia Coryn / Les Arênes BD)
Le rôle de Saint Augustin est, comme dans l'album de Liv Strömquist, désigné comme calamiteux pour les siècles qui suivent. Au Moyen Age c'est l'interdit qui domine. Seuls les Puissants peuvent se permettre des aventures amoureuses. Par contre les ceintures de chasteté contrairement aux idées reçues, n'ont pas été inventées au Moyen Age, mais à la Renaissance et le droit de cuissage est une idée fausse, les historiens n'ayant retrouvé "aucune mention de cette pratique dans les archives publiques". C'est à cette époque en revanche que se développe l'amour courtois, où pour une fois la femme n'est pas considérée comme inférieure, même si cette pratique démocratique de l'amour n'est réservée qu'aux milieux aristocratiques (la plutpart du temps, les chevaliers ne faisaient pas dans la dentelle).

Une question cruciale qu'aucun manuel d'histoire n'évoque "car cela touche trop au domaine de l'intime, encore tabou dans notre société aux mœurs pourtant très libres", explique Philippe Brenot en introduction de l'album.
  (Laetitia Coryn / Les Arênes BD)
"En ce début de deuxième millénaire, la sexualité nous semble partout présente, on, l'aborde facilement, on la montre à l'écran, on en parle dans les médias, mais paradoxalement on l'explique peu et on ne l'enseigne presque jamais", rappelle-t-il. Voilà qui est fait. Cette fresque historique est animée par les dessins amusants de Laetitia Coryn, qui apportent juste ce qu'il faut de décalage pour rendre la lecture de cette encyclopédie en cases à la fois instructive et divertissante.
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"L'herbier sauvage" Fabien Vehlmann et Chloé Cruchaudet (Editions Soleil – 17,95 euros)
 
Ce troisième ouvrage est à classer du côté des beaux livres, même s'il est le fruit du travail de Fabien Vehlmann, scénariste de bandes dessinées ("Spirou", "Fantasio", "Seuls" ou "Jolies ténèbres"), et de Chloé Cruchaudet, auteure et dessinatrice de BD ("Mauvais genre", Groenland Manhattan").

"L'herbier sauvage" est une somme de témoignages recueillis par Fabien Vehlmann au gré de rencontres, ou bien "en immersion" dans des fêtes fétichistes ou  libertines, et aussi de conversations piquées aux terrasses des cafés, nous dit-il dans un texte introductif qui décrit les conditions de son travail de collecte.Les principes étant posés, le livre déroule ses histoires, chacune un titre et un petit texte de présentation qui donne quelques indications sur le lieu de la rencontre, sur la personne qui parle. Le texte est parfois ponctué d'indications sur le contexte, la situation de cette "confession".
  (Chloé Cruchaudet)
Souvenirs, fantasmes, anecdotes, récits du corps, la parole vient d'hommes et de femmes de tous âges (adultes). Les textes sont parfois très courts, mais peuvent aussi faire plusieurs pages. Certaines histoires racontent des moments décisifs, d'autres sont des évocations, des événements accidentels, des rêves. Certaines histoires sont très crues, d'autres plutôt mignonnes, d'autres effrayantes. Toutes expriment une touchante sincérité.

Chacun sa sexualité

C'est la somme de ces témoignages qui fait l'intérêt du livre en construisant par petites touches un panorama de la sexualité d'aujourd'hui, mettant en lumière les rapports entre sexe et amour, les phantasmes, le plaisir, que chacun atteint par des chemins divers, avec autant d'options que de personnes interrogées. En la matière, et c'est ce qui ressort de cet ouvrage, chacun ses codes, ses désirs, ses sensations, ses peurs… Le livre est un voyage dans le monde de l'intime, qui livre avec une grande délicatesse les confessions des protagonistes.
  (Chloé Cruchaudet)
Les textes sont accompagnés d'aquarelles magnifiques signées Chloé Cruchaudet, l'auteure du très récompensé "Mauvais genre". Entre les danseuses de Rodin, et les peintures de Bacon, elles accompagnent les textes avec douceur, posent une distance, emmènent le lecteur d'une histoire à l'autre. Le livre, très beau, est présenté comme un objet précieux renfermant des secrets. Il est fermé par un bandeau de calque masquant le sexe de la femme peinte en couverture. Certaines pages se déplient en trois volets dans le sens horizontal, ou en deux dans le sens vertical, laissant aux images l'espace nécessaire pour se déployer.
  (Chloé Cruchaudet)
Fabien Vehlmann a recueilli 300 témoignages. Ce premier album en contient 70. Pour le reste, deux autres albums suivront. A collectionner.

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