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Des cités toulousaines à la TV japonaise : l'histoire de Tony Valente, le dessinateur de "Radiant" qui a conquis le pays du manga

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Seth, le jeune héros de "Radiant", en couverture du premier tome de la série publié en France le 4 juillet 2013. (TONY VALENTE / ANKAMA)

Tony Valente a des lecteurs dans le monde entier. Mais ce sont les Japonais, pourtant maîtres du genre, qui sont les premiers fans étrangers du Français. Alors que le neuvième tome de Radiant sort en France le 25 mai et qu'une adaptation en animé est en cours, franceinfo s'est entretenu avec le dessinateur.

"Radiant va sortir aux Etats-Unis chez le plus gros éditeur américain, au milieu de Dragon Ball, de Naruto, de One Piece, de toutes mes idoles. C’est un des trucs auxquels je ne pouvais pas m’attendre. Comme la diffusion au Japon, comme le dessin animé. C’est fou, il va y avoir un truc, je vais tomber malade ou je vais mourir demain." Tony Valente plaisante mais, dans le fond, ce Toulousain de 33 ans n’en revient toujours pas. Son manga, Radiant, édité depuis 2013 aux éditions Ankama, cartonne. En France, où les huit premiers tomes se sont écoulés à près de 250 000 exemplaires, mais également en Italie, en Allemagne, en Espagne, et surtout au Japon, terre natale des mangas.

La couverture du tome 9 de "Radiant" qui sort en France le 25 mai 2018. (TONY VALENTE / ANKAMA)

La preuve ? Son titre a tapé dans l'œil de la NHK (l’équivalent de France Télévisions au Japon) qui l’adapte en ce moment en série animée. Une récompense après les années d’efforts et de galères de ce fils d’émigrés portugais. Il a insufflé ses souvenirs d’enfance en cité pour faire de Radiant un shonen (un manga destiné aux jeunes garçons) où l’on parle racisme pendant que des monstres tombent du ciel.

Des années de vaches maigres

De son enfance, Tony Valente se souvient de son amour pour les histoires, de toutes sortes. Il s’en abreuve, d’abord à travers les dessins animés du "Club Dorothée" – Dragon Ball et Ranma ½ en tête –, puis via les bandes dessinées franco-belges et japonaises. Et il dessine, tout le temps, compulsivement. "J’étais le gars au fond de la salle de cours mais je n’étais pas un cancre. En fait, j’avais besoin de dessiner car j’ai un problème de concentration que je n'ai identifié qu'une fois adulte, et dessiner a dû m’aider à me concentrer pendant ma scolarité" explique-t-il.

Tony Valente lors d'une séance de dédicaces. (ANAÏS VACHEZ)

L'école passe. Sans encombre. Mais Tony Valente ne souhaite qu’une chose dans la vie : dessiner des BD. "Je me suis dit, quand j’avais 11 ou 12 ans et que j’ai découvert Lanfeust de Troy, que j’allais faire de la BD plus tard, raconte-t-il. C’était ce métier que je voulais faire et pas autre chose, pas du dessin animé, pas de l’illustration, je voulais seulement raconter des histoires en bandes dessinées."

Je me suis considéré très jeune comme un amateur qui tendait vers le professionnalisme et je me disais que ça allait forcément arriver un jour.

Tony Valente

à franceinfo

Elevé dans un milieu très modeste, Tony Valente grandit avec "le minimum d’argent, celui qui permet juste de ne pas être à la rue". Et malgré la précarité du métier de dessinateur et les réticences du corps enseignant, ses parents l’encouragent dans cette voie. Le bac en poche, il démarche des maisons d’édition francophones pour leur proposer sa première BD. Bingo ! À 20 ans, Delcourt publie Les Quatre Princes de Ganahan dont il assure le dessin. La critique le remarque et loue la qualité du trait de ce si jeune auteur, mais le public est aux abonnés absents.

Quatre tomes plus tard, il quitte Delcourt pour les éditions Soleil. L’occasion de réaliser Hana Attori, sa première série d’albums en solo puis de travailler avec un de ses mentors, Didier Tarquin, le dessinateur de Lanfeust de Troy. Mais aucun album n’arrive à trouver son public. Pire, à 28 ans, en plus de ces échecs commerciaux, s’ajoute une vraie frustration. "J’adore Tarquin et travailler avec lui, mais j’avais du mal à bosser sur S.P.E.E.D. Angels. Le scénario me bottait, l’univers aussi, et pourtant je ne trouvais pas de plaisir à le faire parce que je n’écrivais pas." Depuis Montréal, où il vient d'emménager avec sa compagne ("pour voir si j’avais raison de râler contre la France") et où ils attendent leur premier enfant, Tony Valente cogite et angoisse à l’idée de "devenir un papa dégoûté qui fait le boulot qu’il aime mais qui se contente de le faire à moitié".

Double page extraite du tome 8 de "Radiant". (TONY VALENTE / ANKAMA)

"Je l’ai fait en me disant que ça ne marcherait pas"

Après dix ans à galérer financièrement et avoir réfléchi plusieurs fois à jeter l’éponge, il décide de mettre toute son énergie dans un ultime projet publié chez Ankama. Ce sera un manga, nourri de toutes ses rêveries – un univers fantasy mâtiné de sorcellerie où les bateaux volent au-dessus des nuages – et des maîtres japonais du shonen manga.

Quand j’ai découvert 'One Piece', ça a été une plus grosse claque encore que 'Dragon Ball' et 'Naruto'. Je me suis dit que c’était ça qu’il fallait que je fasse.

Tony Valente

à franceinfo

Un dernier projet en forme de testament : "Je l’ai fait en me disant que ça ne marcherait pas puisque tous les mangas français s’étaient pété la gueule. Il n’y avait aucune raison que ça marche." Autour de Seth, le jeune héros qu’il a en tête depuis des années, Tony Valente construit un monde post-apocalyptique où des monstres tombent du ciel et déciment les populations locales. Seules quelques personnes sont capables de survivre à leur contact mais elles développent par la suite des infections qui vont modifier leur apparence et les transformer à leur tour en paria. Ces infectés se retrouvent alors à combattre les monstres, au même titre que les préjugés dont ils sont victimes.

Extrait du premier tome de "Radiant". (TONY VALENTE / ANKAMA)

Entre magie et immigration

Car si Radiant parle, au premier abord, de sorciers et de créatures impressionnantes, le manga de Tony Valente se penche aussi sur des problématiques contemporaines. "J’ai grandi en cité et mes potes étaient tous issus de l’immigration. Moi aussi, mais ça ne se voyait pas car je suis blanc, ce n’était pas le cas de la plupart d’entre eux", détaille-t-il.

Quand on était ensemble, il m’arrivait de ne plus pouvoir entrer dans des magasins où j’avais l’habitude d’aller ou d’être évité. Je me disais que ce n’était pas normal et c’est un truc qui m’est resté.

Tony Valente

à franceinfo

Une approche qui a tout de suite séduit Frédéric Toutlemonde lorsqu’il a découvert le premier tome de Radiant dans une librairie du quartier latin. "Ayant moi-même grandi en banlieue parisienne, j’ai été sensible à cette histoire d’heroic fantasy à la fois très divertissante mais avec de vrais messages en rapport avec la société française", souligne ce Français. Installé au Japon depuis quinze ans, Frédéric Toutlemonde est à la tête d’Euromanga, une maison d’édition qui édite des bandes dessinées européennes dans l’archipel.

Toujours sous le charme après trois tomes, il décide de publier Radiant au Japon. En août 2015, deux ans après sa sortie en France, le premier tome de Radiant débarque dans les librairies japonaises et devient le premier manga français à être traduit en japonais. Il est même adoubé par des pointures du secteur comme Yusuke Murata (l’auteur de One-Punch Man) ou Hiro Mashima (Fairy Tail), qui ont accepté de promouvoir la sortie des deux premiers tomes. Résultat, le titre se fait une petite place dans les librairies, au milieu des poids lourds du secteur (One Piece en tête). "Radiant est mon best-seller. Sur le premier tome, j’ai dépassé la barre des 20 000 exemplaires tirés ce qui est très bien, mais c’est petit bras pour un éditeur japonais", précise Frédéric Toutlemonde.

En France, le carton est total. "Dès qu’un nouveau tome sort, ça booste les ventes du titre. Alors qu’on arrive au tome 9, on gagne encore de nouveaux lecteurs qui ne connaissaient pas la série", s’enthousiasme Elise Storme, l’éditrice française de Radiant.

"Un énorme bosseur" en compétition avec les maîtres du genre 

"C’est une chance inouïe d’être dans ma position en ce moment mais je ne pense pas que ça se reproduira", relativise Tony Valente. Un avis que ne partage pas Ankama. "C’est un énorme bosseur, très organisé, qui commence à travailler tous les matins à 6 heures afin de terminer tôt pour pouvoir jouer avec sa fille, confie-t-elle. Je l’appelle juste pour lui rappeler parfois la deadline ou pour lui annoncer que la série va être publiée dans tel ou tel pays, et c’est tout. C’est un bonheur de travailler avec lui".

L'atelier de Tony Valente à Montréal (Canada). (DR)

Depuis son atelier, situé à quelques minutes de son domicile, Tony Valente est plus pragmatique. Pour lui, la recette pour être efficace est toute simple : il suffit de se couper d’internet et des réseaux sociaux. Trop invasif, trop chronophage, le Français voit désormais Facebook comme "une vitrine" nécessaire pour prévenir ses fans de ses déplacements en festival et ses séances de dédicaces. Pour ses recherches en documentation, il est retourné en bibliothèque.

Depuis que j’ai laissé de côté les réseaux sociaux, j’ai gagné des heures de travail par jour et je me suis mis à produire deux albums par an. Cette année, ce sera trois.

Tony Valente

à franceinfo

Tony Valente a surtout compris que, depuis son arrivée sur le marché japonais, il doit suivre le rythme effréné des mangaka nippons. "Oui, je suis français, je travaille tout seul, et je dois gérer ma vie perso, mais je ne veux pas d’indulgence de la part des lecteurs. Et au niveau compétition éditoriale, je me bats dans ce paysage hyper saturé des shonen avec des gars qui sont présents avec des dessins animés, des jeux vidéo et des figurines", martèle-t-il. Donc pas le temps de souffler.

Encore moins depuis que la série est adaptée en série animée par la NHK. Une adaptation réalisée par un studio japonais "très fidèle aux mangas" mais que le Français valide à chaque étape de la fabrication. Une première saison de 21 épisodes de 25 minutes environ correspondant au premier arc de la série sortira au Japon en octobre. Pour la France, les discussions sont toujours en cours mais il se murmure que Netflix est en bonne position.

Si c’est le cas, cette diffusion pourrait booster encore plus les ventes du manga. De quoi rassurer son auteur ? Peut-être. Après avoir rêvé d’être publié au Japon puis d’avoir sa série animée, le Français souhaite juste que le succès de Radiant continue. "Je sais que je suis en train de vivre les meilleures années de ma carrière. Si les lecteurs continuent à me lire, ça me plairait bien de passer encore une dizaine d’années dessus. Ça serait fantastique de faire une quarantaine de tomes", sourit Tony Valente. "Et pourquoi pas un parc d’attractions ?", glisse son éditrice. Oui, tiens, pourquoi pas...

L’intégralité de l’entretien avec Tony Valente est à retrouver sur notre blog Pop Up’.

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