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Le marché des droits et des licences, la "bulle business" du festival de la bande dessinée d'Angoulême

Pendant quatre jours, des éditeurs du monde entier participaient à un véritable marathon de la vente et de l'achat des droits de bande dessinées. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Marché des droits et des licences, Angoulême (© FIBD ANGOULÊME)

Le Festival international de la Bande dessinée d'Angoulême, grand rendez-vous des amoureux des bulles, est aussi devenu le lieu incontournable du business de la bande dessinée. Le MIDL (Marché International des Droits et des Licences d’Angoulême), un espace de 1000 m2 niché au cœur du festival, accueillait pendant quatre jours des éditeurs du monde entier.

"Le marché des droits à Angoulême existe depuis trente ans, et c'est devenu au fil du temps un rendez-vous incontournable pour les éditeurs en matière de vente et d'achats de droits. C'est un lieu où ils peuvent vendre des droits à des éditeurs étrangers, et aussi en acheter pour nourrir leur catalogue", explique Marie Fabbri, responsable à Angoulême du MIDL.  

Le festival propose aux éditeurs des "Speed dating", des rendez-vous d'une demi-heure qu'ils prennent en ligne avant de venir, via une plateforme mise à leur disposition, et qu'ils enchaînent pendant les quatre jours du festival. "Les contrats ne vont pas forcément être signés sur le moment, à Angoulême, mais c'est un lieu où les éditeurs vont prendre des contacts, amorcer des négociations. C'est un espace qui permet de découvrir des ouvrages, de présenter un catalogue, et de susciter l'envie", explique Marie Fabbri.

"Renforcer les réseaux"

C'est le cas de Serge Ewenczyk, patron de la maison d'édition Ça & là, spécialisée dans l’adaptation en français d’ouvrages et d’auteurs étrangers, notamment des Etats-Unis mais aussi d’Afrique du Sud, d’Israël ou encore de Finlande. Son planning pour Angoulême est plein du matin au soir, pendant les quatre jours du festival. "J'ai 20 rendez-vous en 3 jours. Je rencontre des éditeurs européens, russes, et on parle livres", se réjouit-il. "On peut rencontrer des éditeurs du monde entier. Ça permet de créer et de renforcer les réseaux", explique l'éditeur.

"Cela fait longtemps que les auteurs étrangers, les éditeurs étrangers viennent présenter leur travail ou leur catalogue à Angoulême. J'en ai vus beaucoup venir carton sous le bras sur mon stand. Mais le festival a structuré cette partie professionnelle à tel point qu'Angoulême est devenu le pendant de la foire de Francfort pour le marché des droits en bande dessinée. A Francfort c'est une énorme machine, tous genres confondus, alors qu'Angoulême, c'est le marché de la planète BD", confie l'éditeur, ajoutant que le coût du stand n'a rien à voir avec d'autres foires.

"Le festival essaie de développer cet aspect professionnel, du coup le prix est abordable, rien à voir avec Francfort. Tout le monde soutient : le festival, mais aussi la Région, les collectivités locales…"  

"La world BD"

En France, le marché des droits s'est considérablement développé depuis quelques années. Les droits de 3 958 bandes dessinées créées par les éditeurs français ont été vendues à l'international en 2018 et plus de 40 % des titres publiés en France sont des ouvrages traduits de l'étranger (mangas compris). La traduction des bandes dessinées pèse 17,7 % sur l'ensemble de la traduction des livres en France, placée juste derrière la littérature (Source Livres Hebdo / Electre Data Services 2018).

"C'est un domaine très actif en BD. La France est l'un des pays les plus productifs après les États-Unis et le Japon. On compte des centaines d'éditeurs spécialisés, sans compter les maisons généralistes qui ouvrent un département BD. Donc la France est un pays majeur en termes d'offre éditoriale", souligne l'éditeur Serge Ewenczyk, également responsable du S.E.A (syndicat des éditeurs alternatifs).

"Il y a très peu de pays aussi dynamiques que la France à part le Japon, qui ne publie, ne vend et ne lit que des mangas, ou les États-Unis, qui sont très focalisés sur les comics. En France on édite et on lit de la BD franco-belge, des mangas, des comics et aussi des BD du reste du monde", ajoute-t-il.

La France a aussi un marché très dynamique et très ouvert. Les lecteurs sont habitués à lire des bandes dessinées venant du monde entier. "Notre maison d'édition, qui existe depuis 15 ans, a publié 80 auteurs de 24 pays différents. On pourrait parler d'une "World BD" Et c'est intéressant aussi pour la création, parce que ces auteurs ne sont pas enfermés dans un genre, manga, comics, ou BD franco-belge, ils développent un style original, qui mixe les influences géographiques et culturelles".

"Le marché japonais est très fermé"

"En revanche, c'est compliqué de vendre à l'étranger, ajoute l'éditeur, "parce que de nombreux pays ont peu d'éditeurs, peu de lecteurs, peu de libraires de bande dessinée. A part Astérix, les cas les plus connus de BD très bien vendues à l'étranger sont par exemple Persépolis, de Marjane Satrapi (L'Association, 1995). 35 à 40 pays ont publié le titre. Dans la foulée il y a eu Le chat du rabbin, de Joann Sfar, ou Le Photographe, d'Hervé Guibert et puis Riad Sattouf, avec L'Arabe du futur".

Il précise que la majorité des ventes de droits est aujourd'hui focalisée sur l'Europe, "là où le marché de la BD est développé, comme en Italie, en Espagne et aussi un peu en Allemagne et dans les pays scandinaves, où l'on trouve des éditeurs nombreux et curieux". C'est plus compliqué avec le Japon et les États-Unis. "Le marché japonais est très fermé. On trouve très peu de bande dessinée traduite en japonais, c'est très difficile de leur vendre de la BD française. Un auteur comme Moebius, que son éditeur a réussi à vendre au Japon, reste une exception. Et les États-Unis restent un marché traditionnellement assez fermé".  

"Des auteurs américains passent par la France pour être édités dans leur pays"

Serge Ewenczyk a développé depuis quelques années des "contrats de création" avec les auteurs étrangers. Il a ainsi publié en direct La tournée, d'Andi Watson (février 2019, dans la sélection officielle d'Angoulême) ou Pittsburg, de Franck Santoro (mai 2018).

"Il ne trouvait pas d'éditeur et nous a sollicités. Nous lui avons fait un contrat de création et ensuite nous avons revendu les droits à un éditeur américain. C'est assez ironique de voir que des auteurs américains passent par la France pour être édités dans leur pays".

Un phénomène qui selon lui démontre la "porosité entre les pays, le dynamisme et l'ouverture de la France, qui attire les auteurs". L'éditeur compare le phénomène au cinéma, "avec des réalisateurs américains qui sont passés par la France pour produire leurs films, comme David Lynch par exemple".

"C'est un peu comme Deauville ou Cannes pour le cinéma"

Cette année, le festival a ouvert l'espace MIDL aux sessions de droits audiovisuels, en invitant une trentaine de producteurs pour permettre aux éditeurs de vendre les droits de leurs ouvrages pour des adaptation à l'écran, pour des films, des séries, des dessins animés ou des films d'animation. "Je sais que les producteurs sont très curieux de participer à cette aventure", confie Marie Fabbri. "Nous proposons également un programme de conférences. On peut dire que le MIDL, c'est un peu un 'Think tank' de l'édition en bande dessinée", se réjouit-elle.

"Avant on venait à Angoulême pour vendre des livres, et on en vendait beaucoup. Au fil du temps la partie pro a pris le pas sur la vente des livres. En 15 ans, on voit bien que le festival s'est professionnalisé. Pour nous, à Angoulême, l'activité pro est devenue plus importante que la vente des livres. C'est devenu une sorte de 'Hub mondial' de la bande dessinée. C'est un lieu où tout le monde se retrouve : éditeurs, libraires, presse… Nous-mêmes, on profite d'Angoulême pour présenter nos livres et nos auteurs à la presse. Parce que la presse du monde entier est là. C'est un peu comme Deauville ou Cannes pour le cinéma", conclut Serge Ewenczyk.

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