Qui sera le Grand Prix 2024 du Festival de la BD d’Angoulême ?
Le communiqué de l’organisation du festival est empreint de moult précautions. Il n’y a pas le mot auteur sans celui d’autrice, l’écriture inclusive est de mise et le processus de désignation est "entièrement réalisé sous contrôle d’huissier".
Il faut reconnaître que la désignation du Grand Prix a été par le passé plusieurs fois houleuse, créant bulles et remous dans la ville charentaise. Des reproches plus ou moins fondés qui allaient du népotisme à la désignation opaque des sélectionnés. Et pour finir, ces dernières années, les accusations de sexisme concernant l’attribution des Grands Prix où, en un demi-siècle, seules quatre femmes ont été récompensées.
Depuis quelques années, le festival a mis de l’ordre, défini les règles, et le climat est plus serein. Les auteurs, femmes et hommes professionnels de la BD, votent dans un premier temps pour élire une liste restreinte à trois noms. Le festival ne communique pas le nombre de votants, on imagine que l’huissier doit le connaître. Catherine Meurisse, Daniel Clowes et Posy Simmonds sont issus du vote de cette année. Enfin, le vote final désignera le Grand Prix dont l’annonce officielle est prévue la veille de l’ouverture au public du festival, le mercredi 24 janvier en fin d’après-midi.
Cinquième tentative pour Catherine Meurisse
Catherine Meurisse et le Grand Prix d'Angoulême, c'est une histoire qui dure. Elle en est finaliste pour la cinquième fois. Est-ce un handicap ? Non, d’autres avant elles comme Chris Ware ou Katsuhiro Otomo ont été finalistes avant de recevoir quelques années après la distinction. En 2020, Angoulême lui consacra une large exposition au Musée du papier qui fut ensuite transposée au Centre Pompidou à Paris. Officier des arts et des lettres, elle est aussi membre de l’Académie des beaux-arts, faisant d’elle le premier auteur de BD à siéger dans cette ancienne institution.
Catherine Meurisse est aussi, et à jamais, une autrice de la rédaction de Charlie Hebdo. Même si elle a arrêté sa collaboration avec le journal après les attentats de 2015. Elle livrera ensuite, entre autres, trois magnifiques albums, certainement les meilleurs de sa bibliographie : La Légèreté, Les Grands espaces et La Jeune femme et la mer. Des bandes dessinées d’une grande finesse narrative et graphique qui lui serviront à se reconstruire. L'autrice française ne nous plonge pas dans le pathos, mais nous guide vers sa passion pour l’art, le beau, la mémoire et le sensible. Superbes.
L'Américain Daniel Clowes
Plus que tout autre pays étranger, l’Amérique et sa BD ont toujours fasciné le monde du 9e art en France. Même si le Japon avec sa puissance manga déstabilise l’Oncle Sam depuis quelques années. Cette aura de la BD US est sûrement due aux talents de ses auteurs. Will Eisner a été le Grand Prix d’Angoulême en 1975. Il y eut aussi, entre autres, Crumb en 1999, le francophile Spiegelman en 2011, plus récemment et moins connu, Corben en 2018 et le cérébral Chris Ware en 2021.
Parmi les auteurs majeurs américains, vivants et non récompensés, il ne reste quasiment plus que Charles Burns, l’auteur de Black Hole et Dédales, et… Daniel Clowes. Ce dernier est déjà multi récompensé outre-Atlantique. Son trait très stylé comics indépendant a fait la joie des lecteurs en France avec des titres comme Ghost World, Eightball ou Wilson. Cette année, il publie en France Monica. On y retrouve sa patte, le fantastique, l’ambiance rétro des années 1950 et la satire sociale jamais très loin.
L’outsider qui s’expose à Beaubourg : Posy Simmonds
Méfiez-vous de Posy Simmonds. Sous des allures très convenables, l’autrice britannique est d’une acuité redoutable pour dépeindre sans fard les travers de la nature humaine. Je la soupçonne même d’une once de misanthropie salutaire. Tamara Drewe ou Gemma Bovery sont les deux titres qui l’ont révélée au public francophone. Posy Simmonds a aussi une carrière dans la presse et le livre jeunesse. Une exposition lui a été consacrée en 2019 à l’iconoclaste Pulp Festival de la Ferme du buisson à Noisiel (Seine-et-Marne). En ce moment et jusqu’au 1er avril 2024, le Centre Pompidou à Paris lui rend hommage avec une exposition réussie Posy Simmonds, Dessiner la littérature. Aucune Anglaise ou aucun Anglais n’ont été récompensés du Grand Prix à Angoulême. Elle est, à mon avis, l’outsider de cette compétition dont le premier lauréat fut en 1974 André Franquin. Pas mal, non ?
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