: Reportage Hajime Isayama : l’émotion des fans de "L’Attaque des Titans", chanceux spectateurs de sa masterclass à Angoulême
Capes, bérets, uniformes beiges et galons, cheveux noirs de jais, carrés plongeants, visages couverts par des bandages... Ce samedi matin dix heures sur les marches du théâtre d’Angoulême, une foule chamarrée se presse dans une file qui se prolonge jusqu’en bas de la rue adjacente. “On est là depuis 7h30 ce matin”, annonce fièrement Juliette, 23 ans, béret vissé sur la tête, venue à Angoulême spécialement pour le voir.
Hajime Isayama, l’auteur du manga devenu culte de L’attaque des Titans, vendu à 7 millions d'exemplaires en France (110 millions dans le monde), donnait samedi matin au festival de la bande dessinée d'Angoulême une masterclass. “J’ai réussi à trouver une place à la dernière minute”, lâche Juliette. “J’en avais deux, je lui en ai donnée une”, précise à côté d’elle Marie, étudiante dans une école de BD à Paris. “Elle a eu de la chance, on a entendu dire que certains ont racheté des places à 100 euros” s'étonne Juliette.
Les places, 10 euros sur le site du Festival d’Angoulême, se sont vendues en quelques heures. “J’ai vu un tweet sur le compte du festival, avec un lien, j’ai tout de suite cliqué, mais après j’ai bien mis une heure, une heure et demi avant de pouvoir accéder à la vente. Ils lâchaient les places au compte gouttes”, raconte Saïdou, étudiant à Science po Lyon, à Angoulême avec son amie Giulia.
"On est des vrais fans, on est des fous !”
Anissa revient avec sa pancarte, elle cherche deux places pour ses copines. “Je suis venue de Lyon exprès pour le voir”. Quand on lui demande ce qui lui plaît dans ce manga : “Vous êtes sûre que vous voulez me poser cette question ? Parce que là je ne vais plus m’arrêter et on en a pour des heures...” Anissa n’a pas le temps de terminer sa phrase, des frémissements se font sentir dans l’escalier. “Ils ont ouvert les portes !” Ca se bouscule, tout le monde vise les premiers rangs.
A l’intérieur, John, Eddy, Mochi et Sarah sont déjà installés au deuxième rang (le premier est réservé au VIP). “On a réussi, mais il faut dire qu’on était là ce matin à 7h30”, lâche fièrement Eddy. “On est des vrais fans !”, ajoute-t-il. “On est des fous. On en parle tout le temps, dès qu’il y a un nouvel épisode, c’est parti, on s’appelle, on discute, on théorise...” confie Mochi. “On en parle tous les jours”, confirme John.
Amélie et Romain sont venus de Metz, ils sont tous les deux en costumes inspirés du manga. “On est là pour lui, on respecte son boulot”, déclare Romain en pressant le pas vers l’entrée de la salle. Mathilde et Mélodie, deux sœurs de 16 et 20 ans ont elles aussi enfilé le costume. “Moi c’est Mikasa version actuelle, gothique” annonce Mélodie. “Ca me fait stresser de le voir, je pourrais en pleurer”, murmure sa sœur. “Moi ça va je gère parce que je l’ai vu hier en dédicace” lâche fièrement Mélodie. “J’ai eu de la chance parce qu’on a fait un quizz et ensuite on a été tirés au sort, seulement cinquante personnes ont pu y être. C’était incroyable, on a pu parler avec lui et j’ai eu ma dédicace, un petit dessin et mon prénom sur un Shikisi, c’est un petit carton de 12 cm par 14. Je suis sortie de là en pleurs”, confie la jeune femme.
"Il a tout compris de l'âme humaine"
Plus loin un adolescent, cheveux longs, lunettes épaisses, se tord les doigt. “Non je ne veux pas parler maintenant. C’est pas le moment”, murmure-t-il. Trop d’émotion. Juste devant, Nicole et Nadine. Elles sont jumelles et allemandes. “On a fait le voyage depuis Hanovre, 13 heures de train, pour venir le voir”, dit-elle. “Ce que je ressens, c’est un mélange de joie, et de nervosité”, confie sa sœur. “C’est un manga incroyable, qui fait des références à l’histoire en général. Et puis les personnages ont des noms germaniques, ça nous fait plaisir” explique-t-elle. “On ira voir l'exposition cet après-midi, c’est tellement génial de pouvoir voir ses originaux"” explique la jeune fille.
“C’est vraiment un manga novateur”, estime Giulia. “On a l’impression que le mangaka a tout compris de l’âme humaine, dans ses bons et ses mauvais côtés. Je ne réalise pas encore que je vais le voir, là, tout de suite”. A côté d’elle Saïdou aimerait bien pouvoir poser à Hajime Isayama “des questions sur le scénario, sur les détails de l’histoire, mais je pense que ce ne sera pas possible, et de toutes façons ce serait trop long, et puis ça pourrait chambouler les interprétations de ceux qui sont dans la salle”, explique-t-il.
“Il y a beaucoup de façons d’interpréter la fin de l’histoire, parce qu’il n’a pas mis de texte, ni de dialogues dans les dernières pages”, poursuit l’étudiant à Science Po. “Moi j’ai le sentiment d’avoir compris la fin, et elle me plaît parce que pour moi ça finit bien. Mais plein de gens n’aiment pas la fin, parce qu’ils l’ont comprise autrement, négativement”.
Un adolescent "mal dans sa peau"
Dans la salle, le service d’ordre s’active. Cette visite est placée sous haute surveillance, le masque est de rigueur, les photos interdites. Il est passé onze heures quand la star, timidement, masque sur le nez, allure juvénile, jean, baskets cheveux mi-longs, entre sur scène. Pluie d’applaudissements. Puis un silence religieux s’installe dans la salle. Les fans retiennent leur souffle.
Pendant cette masterclass, on apprendra qu’Hajime Isayama, 36 ans, était un enfant timide, un adolescent “mal dans sa peau” qui faisait des bêtises, et qu’il occupait la plupart de son temps à dessiner des monstres. On apprendra aussi qu’à ses débuts, il n’était pas très bon en dessin mais qu’il disait à son éditeur pour se défendre que ses dessins maladroits “avaient du charme”. On apprendra aussi qu’à la fin du manga, l’attente des lecteurs et la pression qu’il supportait pesait si lourd sur ses épaules qu’il se sentait comme ses héros, “enfermé derrière des grands murs”. Mais, plus tard, il a fini par “assumer cette pression du succès” qui “pesait” sur lui, exactement comme Eren, l'un des personnages de L'Attaque des Titans, a fini par accepter sa force de Titan.
On découvrira aussi une peinture signée Yamashita Kiyoshi, source d’inspiration inconsciente du mangaka. “Quand j’étais petit, il y avait des tableaux de Yamashita Kiyoshi dans notre maison, et ils me faisaient peur. Un peu après avoir terminé L’Attaque des Titans, je suis retombé sur ce tableau, et je me suis rendu compte à quel point il m’avait influencé”, confie Hajime Isayama. “Dans ce tableau il y a tout le désespoir des humains qui ne peuvent pas se défendre de l’attaque du géant. C’est seulement après avoir fini L’Attaque des Titans que j’ai réalisé à quel point la peinture de Yamashita Kiyoshi m’avait inspirée”.
On apprendra aussi qu’il a travaillé avec des assistants, “pas au début, parce que je n’avais pas les moyens”. Au Japon, ce sont les auteurs qui paient les assistants "et pas l’éditeur" précise Fausto Fasulo, directeur artistique du festival, animateur de la rencontre. “L’arrivée de ces assistants, c’est ce qui a fait que mes dessins se sont beaucoup améliorés”, sourit le mangaka. Il confie avoir également été très inspiré par la série Game of Thrones, “surtout l’ironie des dialogues”, confie-t-il. “Après avoir vu cette série, j’ai vraiment essayé d’ajouter de l’ironie dans mes dialogues”.
Fin de la plume
On apprendra aussi qu’il s’est assagi autour de la trentaine, et qu’il a vraiment atteint la maturité en se mariant. Murmures dans la salle. “J’ai des photos et des vidéos de ma femme dans mon téléphone, mais je ne vais quand même pas vous les montrer”, s’amuse-t-il.
On apprendra également que le mangaka ne dessinera sans doute plus à la plume, qu’il passera au numérique. “Quand j’ai vu mes planches originales encadrées, je me suis dit que j’avais bien fait de ne pas les jeter à la poubelle. Beaucoup de mankakas ne s’intéressent pas du tout à leurs originaux. Dès que les pages sont publiées, ils jettent leurs planches à la poubelle. Je crois que c’est la fin de ce monde, de la plume et de l’encre. Maintenant on travaille en numérique, et aussi à distance. Ça devient difficile de contraindre des assistants à venir travailler physiquement à côté de nous”, semble-t-il regretter. Des vidéos de son atelier, montrées un peu plus tôt, attestent d’une ambiance pourtant très conviviale “malgré la pression qui pesait sur nous”, précise le mangaka.
On apprendra enfin qu’il ne dira rien, ou presque, sur ce qu’il projette de faire dans l’avenir. “Peut-être une histoire courte, de six huit pages”, lance-t-il comme un défi. Cris dans la salle. “Maintenant que je vous l’ai annoncé, je vais être obligé de le faire”, s’amuse-t-il.
"Rien que pour ça, ça valait le coup d’être en vie"
La masterclass s’achève. Ovation. Public debout. Puis les fans se précipitent à l’extérieur et se massent devant la porte arrière du théâtre “J’aimerais bien une photo quand même”, entend-on dans les rangs. “On va essayer de lui donner des dessins qu’on a faits” murmure Alexandra.
Le service d’ordre veille au grain, mais rien n’arrête les fans. A la seconde où la silhouette éthérée d’Hajime Isayama apparait dans l’interstice entre la sortie du théâtre et la voiture qui l’attend, une jeune femme se précipite. “J’ai réussi ! Il a mon béret que j’ai fait moi-même”, s’extasie Théodora, 22 ans, qui fabrique des accessoires, bérets, broches autour de l’univers du manga. “Il a pris nos dessins”, s’émeuvent Alexandra et Priscilla.
“Il est si mignon, il a l’air si gentil, il n’a pas l’air de se sentir supérieur, il est trop chou”, lâche Théodora, des étoiles dans les yeux. “Ce manga, j’ai commencé à le lire quand j’avais douze ans. Et quand je n’allais vraiment pas bien, à l’adolescence, je me disais que je pouvais lire un chapitre de L’Attaque des Titans, et que rien que pour ça, ça valait le coup d’être en vie. Ça m’a vraiment aidée”, confie Théodora, enchantée par ce “moment inoubliable”.
Exposition L'Attaque des Titans, de l'ombre à la lumière, jusqu'au 29 janvier à l'Alpha - Médiathèque à Angoulême
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