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Gaston Lagaffe a 60 ans aujourd'hui : fêtez son anniversaire à Beaubourg !
Gaston Lagaffe, ce "héros sans emploi" inventé par Franquin, fête ses 60 ans ce 28 février 2017 sans avoir pris une ride. Pour mieux le connaître, rendez-vous à la la bibliothèque du Centre Pompidou (BPI), qui revient sur ses gags, et explore aussi un Gaston "au-delà de Lagaffe", invitant les visiteurs à découvrir toute la richesse de ce personnage emblématique des années 60, 70's. Visite.
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Fainéant Gaston ? En 60 ans, l'attachant employé "sans emploi" a pondu 900 gags, dans 19 albums vendus à 30 millions d'exemplaires.
Finalement, je crois que c'est un grand travailleur Gaston. Mais il ne fait pas le travail qu'on attend de lui !"
Franquin
Reportage : N.Lemarignier, Olivier Palomino, T. Touileb, P. RaulinNaissance d'un "héros sans emploi"
Gaston est né le 28 février 1957. Sa première apparition est discrète : une case dans le journal Spirou N°985. On le voit entrer au journal, bien peigné, un peu raide, recalant son nœud papillon. Franquin avait facilement convaincu Yvan Delporte, rédacteur en chef du journal Spirou, d'introduire dans les pages du journal ce "héros sans emploi". "Je suis arrivé simplement en lui disant : "Tiens, si on foutait dans le journal un personnage de bande dessinée mais qui n'est pas dans une bande dessinée tellement il est con !", racontait Franquin.
Le personnage s'invite dans les pages du journal, parfois de manière carrément envahissante, comme sur cette double page de texte où sa bouille cigarette au bec recouvre presque entièrement le texte du journal, "Il fallait s'excuser la semaine suivante et remettre le texte de la semaine précédente", racontait Franquin.
"Nous nous sommes quand même décidés à mettre cette andouille dans une bande dessinée"
Gaston prend forme. "Le premier Gaston n'est pas mou. Petit à petit j'ai commencé à le dessiner en forme de "S". Les gens énergiques se tiennent droit. Gaston, par paresse, s'est affalé sur lui-même.", disait Franquin. Avec ses gaffes et sa poésie, Gaston met son grain de sel et sa fantaisie dans les pages "conformistes" du journal. Très vite, il s'attache la sympathie des lecteurs. "Au début, c'était fort amusant à faire. Jusqu'au moment où nous avons eu l'impression d'avoir épuisé les possibilités de fantaisie dans le journal et où nous nous sommes quand même décidés à mettre cette andouille dans une bande dessinée", confiait Franquin. Le journal lui offre alors pour la première fois une demi-page dans le n° 1000 du journal, en juin 1957.
Et voilà comment Gaston, de simple "gimmick", devient un personnage à part entière, et finit même par prendre toute la place dans le travail de Franquin. "En 1965, Franquin lâche Spirou pour se consacrer à ce personnage, dont il est vraiment le père", explique Jérôme Bessière, co-commissaire de l'exposition avec Emmanuelle Payen, tous deux conservateurs en chef des bibliothèques BPI.
En 1960, premier album, en format "chèque", qui respecte la forme des strips publiés dans le journal. "On a eu du mal à retrouver ces deux exemplaires exposés ici", raconte Jérôme Bessière. "En effet ces petits albums n'étaient pas vraiment vendus mais distribués aux libraires, qui souvent les mettaient à la poubelle", raconte-t-il. "L'idée était de ne pas en faire un personnage de bande dessinée ! Le faut pour lui d'avoir sa propre série a consisté en somme à trahir ses origines", confiait Franquin dans des entretiens avec Numa Sadoul, cités dans "Et Franquin créa Lagaffe" (Editions Schlirf Book, 1985)."Un garçon dans le vent"
Et c'est parti pour une aventure qui va durer 40 ans, plus de 900 gags et 19 albums, dont un dernier, le 19, paru après la disparition de Franquin. Le personnage de Gaston s'élargit, et son environnement aussi. Toutes les facettes de ce personnage fantaisiste et poète sont explorées dans l'exposition. Le Gaston inventeur, cuisinier, farceur, bricoleur, dormeur, chimiste, défenseur des animaux…
"Petit à petit, Franquin construit un monde peuplé d'une galerie de personnages secondaires hauts en couleurs, souvent inspirés par des gens réels qui vivent dans l'entourage professionnel de Franquin : Monsieur Dupuis, le patron qu'on ne voit jamais, Longtarin le policier harcelé par Gaston, Mademoiselle Jeanne, Monsieur de Mesmaeker, l'homme d'affaires qui ne peut jamais signer les contrats, Jules de chez Smith en face, Prunelle, Lebrac, Bertrand Labévue, le copain dépressif, Boulier, l'affreux comptable. Dans son univers, on trouve aussi ses amis les animaux, sa mouette, son chat, son poisson ... Et ses accessoires : sa voiture, son gaffophone...
Puis Gaston prend de l'épaisseur et Franquin le fait sortir de la rédaction pour lui faire prendre sa place dans la société des années 60 et 70, et le dessinateur s'empare de tout un tas de sujets qui lui sont chers. "On a toujours des sujets de divertissement, les farces, la cuisine, mais il aborde aussi des questions comme l'écologie, l'insoumission aux figures de l'autorité (l'armée, la police), le rapport au monde du travail…", explique Jérôme Bessière. "D'une certaine manière, Lagaffe devient plus subversif. Pas de manière militante, mais l'air de rien. Franquin n'était pas un militant, pas un théoricien, mais il était un grand observateur de son époque", explique le commissaire de l'exposition."Gaston : le premier pas de côté en BD"
"Gaston est le premier pas de côté, le premier glissement", poursuit-il. "Il introduit dans la BD le petit décalage qui emmène la BD sur un terrain plus trash, plus caustique, plus radical. Jusque là, la BD était réservée à la jeunesse. Avec Gaston, puis 'Idées noires', puis 'Le trombone illustré', un supplément encarté dans le journal Spirou, "Franquin a ouvert la voie à la bande dessinée engagée des années 70, adressée à un public adulte. Il a ouvert le champ des possibilités en BD", insiste Jérôme Bessière.
L'exposition de la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou retrace toute cette épopée, creuse de manière passionnante ce personnage de Gaston, "pour que les visiteurs aient envie de relire Gaston avec un nouveau regard", explique Jérôme Bessière. Gaston, mais aussi toute la galerie de personnages qui peuplent son univers.
Le génie de Franquin
L'exposition revient également sur la méthode de Franquin, "ce grand travailleur", précise Jérôme Bessière. "Il ne laissait pas grand-chose au hasard. Dans son atelier, il avait emmagasiné des tonnes de documentation. Il faisait des dossiers thématiques, avec des photos qu'il découpait dans les catalogues Manufrance et un peu partout, ou des photos qu'il faisait lui-même, sur toutes sortes de sujets, les tracteurs, les voitures, en passant par les explosions, les incendies… Il était extrêmement rigoureux", insiste Jérôme Bessière. "Et Franquin s'est affranchi des codes de la ligne claire. Il a introduit dans la bande dessinée ce dynamisme, le mouvement, sans chercher comme Hergé à esthétiser son époque".
L'exposition présente une cinquantaine d'originaux, sur les 300 pièces exposées, et notamment des dessins préparatoires, dans lesquels on peut admirer la patte de ce génie du mouvement et de l'expression. "Ce sont des pièces rares, car à l'époque on avait pas le même attachement aux originaux. Les auteurs de BD n'avaient pas l'impression de faire des œuvres, et donc beaucoup de choses ont été perdues. Et puis il n'y a toujours pas aujourd'hui de lieu de conservation, comme pour Hergé", souligne Jérôme Bessière.
Cette très riche exposition est accompagnée par des textes de Franquin judicieusement choisis (on peut les repérer sur des cartels signalés par une bande jaune), des mises en perspectives passionnantes, et plein de belles surprises, comme des photographies de ceux, bien réels, qui ont inspiré les personnages de la série…
Pour finir, laissons la parole à Franquin :
L'exposition, déjà visitée par plus de 100 000 visiteurs, est une occasion de faire plus ample connaissance avec ce personnage bourré de drôlerie et de poésie, qui donne envie de se replonger dans ses albums. Et pour prolonger le bonheur : le beau catalogue de l'exposition, édité par les éditions Dupuis en collaboration avec la BPI.
Reportage France 3 Ile-de-France / Jean-Claude Desjacques / Laurence Comiot
Gaston au-delà de Lagaffe
BPI Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou, jusqu'au 10 avril 2017
A lire :
"Gaston, au-delà de Lagaffe, commenté par Franquin", catalogue del'exposition (Edtions Dupuis - 208 pages - 30 euros)
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