Interview "La célébrité est un renoncement au bonheur" : Martin Veyron passe par la Grèce antique pour nous le démontrer dans sa BD "Erostrate"

Erostrate est celui qui a mis le feu et détruit le temple d'Artémis, l'une des sept merveilles du monde antique. Pourquoi ? Pour être célèbre. Martin Veyron est allé fureter joyeusement dans la mythologie grecque pour ausculter ce délire furieux et plus que jamais actuel.
Article rédigé par Francis Forget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Le temple d'Artémis, déesse de la chasse et de la nature sauvage, avant sa destruction par Erostrate. (MARTIN VEYRON / EDITIONS DARGAUD)

Martin Veyron, âgé de 74 ans, prend avec les années de plus en plus de plaisir à dessiner. Il a renoncé à son atelier qu'il avait jadis à Montparnasse. C'est drôle ça, le mont Parnasse qui, selon la mythologie grecque, était la montagne qui abritait les muses.

Maintenant, c'est sur une petite table à dessin, toujours à Paris, mais à côté de son lit, que l'auteur dessine ses albums.

Martin Veyron sur sa table à dessin à Paris (2024). (Francis Forget)

L'auteur de Bernard Lermite et de L'Amour-propre (ne le reste jamais très longtemps) nous avait habitués à des albums sur notre époque. Mais ce Grand Prix de la ville d'Angoulême (2001), lunettes rondes et barbe bien taillée, est facétieux.

Il est un bourgeois renégat. Il ne croit pas vraiment aux apparences proprettes de nos sociétés bien policées. Ses personnages sous un vernis tradi sont fissurés de l'intérieur. Erostrate, le "héros" grec qu'il s'est choisi pour son nouvel album, n'échappe pas à ce précepte.

Erostrate a incendié, en 356 avant Jésus-Christ, l'une des sept merveilles du monde antique. (MARTIN VEYRON / EDITIONS DARGAUD)

Franceinfo Culture : Généralement, vos personnages, vos histoires se situent à notre époque. Avec Erostrate, vous avez fait un saut dans le temps ?
Martin Veyron : J'étais très content de ne plus dessiner des téléphones ou des ordinateurs. J'aime dessiner et de plus en plus. Je le fais de façon traditionnelle, à l'encre de Chine, à la plume sur du papier. C'est une occupation délicieuse pour moi. Dessiner une autre époque avec d'autres décors m'a fait le plus grand bien. Et puis je me sens de moins en moins impliqué dans notre modernité. Je ne suis plus légitime à dessiner notre époque.

C'est pour cette raison que vous vous êtes intéressé à ce jeune homme, Erostrate, qui a mis le feu au temple d'Artémis, il y a plus de 2000 ans ?
J'aime la mythologie grecque. C'est une source d'histoires et d'aventures inégalée avec un ressort psychanalytique très puissant. Elle explique tous les comportements humains, toutes nos tares, tous nos travers.

La célébrité à tout prix pour Erostrate face aux Ephésiens. (MARTIN VEYRON / EDITIONS DARGAUD)

Votre récit est fidèlement inspiré de cette mythologie ? Erostrate, par exemple, était tel que vous le décrivez ?
Dans ma BD, tout ce qui a attrait à Erostrate n'est pas vrai et je l'assume. On sait peu de choses de lui si ce n'est qu'il a incendié le temple d'Artémis. Il était vraisemblablement un berger d'Ephèse. J'en ai fait un Athénien, fils d'un potier parce que la céramique antique me fascine. Cependant, toutes les mentions historiques faites dans l'album sont exactes. Par exemple, Diogène et Alexandre le Grand se sont bien rencontrés.

Diogène, celui-là, vous l'aimez bien. On se demande même si le héros, le personnage principal, n'est pas en fait ce philosophe grinçant ?
J'ai toujours aimé ces clodos qui sur la voie publique invectivent tout le monde. Diogène qui vivait à moitié à poil dans la rue endossait ce rôle. On se foutait de sa gueule, mais il disait la vérité aux Athéniens. En plus, je ne comprends rien à la philosophie métaphysique. Celle de Diogène, je la saisis. Tout ce que j'ai pu choper de lui, c'est parfait pour moi. Ça m'aide dans la vie, comme la philosophie de Montaigne et Sénèque.

Diogène et sa lanterne qui rencontre Erostrate dans la BD de Martin Veyron. (MARTIN VEYRON / EDITIONS DARGAUD)

Vous n'épargnez pas Diogène pour autant. Comme avec Platon ou Aristote, vous confrontez ces grandes figures de la philosophie à leurs instincts les plus primaires, manger ou copuler…
L'association trivial/sublime est un ressort comique très efficace. On fait le malin, on se drape dans des toges immaculées et juste derrière, on se comporte mal. Ça me fait marrer et ça m'indigne. Tout est en nous, le merveilleux et l'abominable.

Le sexe aussi qui a toujours été un sujet dans vos bandes dessinées ?
Tout le monde subit cette libido plus ou moins maîtrisée. J'ai reçu une éducation catholique. La chair était considérée comme sale. Je croyais être le seul dégueulasse. Je me suis rendu compte après que tout le monde était comme ça. Et il ne faut pas croire que l'âge calme les choses, pas du tout.

Martin Veyron a mis quatre années pour dessiner cet album de plus de 200 pages. (MARTIN VEYRON / EDITIONS DARGAUD)

Votre album se construit aussi comme une enquête ou un procès pour comprendre ce qui a poussé Erostrate à commettre un tel sacrilège...
Là, on est dans la tragédie grecque qui impose à Erostrate sa destinée : "Toi, tu vas faire un truc très con pour devenir célèbre". Il va souffrir de sa propre conduite. C'est une malédiction que de devenir célèbre. On le voit chez les gens publics. Ils y pensent tout le temps, ils sont en représentation permanente. Et plus encore maintenant avec les réseaux sociaux. La célébrité est un renoncement au bonheur.

"Erostrate". Martin Veyron. Éditions Dargaud. 30 euros.

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