L'éditeur d'Hergé se confronte à ses débuts anticommunistes avec la série "Les coulisses d'une oeuvre"

Les éditions Moulinsart ont publié le 16 octobre le premier tome de la série "Les coulisses d'une œuvre", qui détaille la création de chaque album de Tintin. À raison d'un tome tous les deux mois, vendu en librairie et en kiosque, elle s'étalera jusqu'en 2028.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
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Photo d'illustration de la bande dessinée Tintin (ALLILI MOURAD/SIPA / SIPA)

Hergé est un très jeune dessinateur quand il crée Tintin, avec une première aventure "au pays des Soviets" à partir de 1929. Elle est fortement anticommuniste, un passé auquel son éditeur se confronte prudemment aujourd'hui.

Les éditions Moulinsart viennent de publier le premier tome de la série Les coulisses d'une œuvre" qui détaillera la création de chaque album de Tintin. À raison d'un tome tous les deux mois, vendu en librairie et en kiosque, elle s'étalera jusqu'en 2028.

Les albums de Tintin sont publiés par Casterman (groupe Madrigall), qui a d'ailleurs réédité "Tintin au pays des Soviets" en version colorisée, et avec préface, dans un coffret fin 2023.

"Anticommunisme primaire"

Les éditions Moulinsart appartiennent aux ayants droit d'Hergé, sa veuve Fanny Vlamynck et le second mari de celle-ci, Nick Rodwell. Elles publient exclusivement sur l'univers de Tintin, comme en 2021 Hergé, Tintin et les Soviets : naissance d'une œuvre.

La première page de Tintin au pays des Soviets apparaît le 10 janvier 1929 dans Le Petit Vingtième. Le journal écrit qu'il "vient d'envoyer en Russie soviétique un de ses meilleurs reporters : Tintin!" et le montre à bord d'un train Bruxelles-Berlin, en vue de rallier Moscou. C'est à l'époque une commande du patron du journal catholique belge Vingtième siècle, l'abbé Norbert Wallez. L'homme sera collaborationniste sous l'Occupation nazie. "Hergé travaille dans un quotidien de droite. Il vient d'un milieu traditionaliste. Il est dans l'ambiance de ce journal", commente Didier Platteau, fondateur des éditions Moulinsart, interrogé par l'AFP.

L'auteur de ces "coulisses d'une œuvre", Philippe Goddin, reproduit fort à propos ses caricatures politiques à la même époque dans un hebdomadaire satirique, Le Sifflet, "pourfendeur viscéral des rouges". Mais reste mesuré pour parler des opinions du jeune Hergé.

Renaud Nattiez, qui a publié en 2023 l'essai "Faut-il brûler Tintin?", qualifie Philippe Goddin de "prudent, pas militant". "Il a été ami d'Hergé, il l'est de sa femme. Il a fait toute sa vie sur Tintin, dont il est l'un des meilleurs experts, surtout concernant le graphisme... Il a un peu de mal à critiquer Hergé", estime cet autre spécialiste. "Cet album de Tintin, c'est ce qu'on appelle de l'anticommunisme primaire, comme on le faisait en 1929".

Hergé, à 21 ans, n'a jamais quitté sa Belgique natale. Et la Russie s'est largement fermée aux étrangers depuis le déclenchement de la Première guerre mondiale, puis la Révolution de 1917.

"Staline qui s'annonce"

Tintin au pays des Soviets est à la croisée de deux inspirations: le film d'aventures, en raison d'un "goût prononcé pour le cinéma burlesque" que relève Philippe Goddin, et le pamphlet politique.

Les éditions Moulinsart oscillent entre l'envie de tresser des lauriers au dessinateur, pour sa critique précoce du totalitarisme soviétique et l'admission de la faible étendue des sources nourrissant son scénario. L'une d'entre elles écrase les autres : "Moscou sans voiles", récit d'un ex-consul belge, Joseph Douillet, arrivé en Russie en 1891, et expulsé par l'URSS en 1926 au terme de neuf mois de prison. L'auteur de Tintin y pioche une scène d'élection truquée.

"Le collectivisme qui arrive, Staline qui s'annonce, les famines qui font déjà des ravages considérables: déjà là, Hergé prend la défense des humiliés", affirme Didier Platteau, qui fut aussi ami avec le dessinateur.

D'après Renaud Nattiez, l'ouvrage de Douillet "est un brûlot anticommuniste". Il n'est pas mis en regard de ce qu'on sait aujourd'hui de la Russie des années 1920.

La publication s'achève dans Le Petit Vingtième en mai 1930. L'album paraît en septembre à 10.000 exemplaires, pour ne jamais être réédité pendant 43 ans, les éditions Casterman ne l'appréciant guère. L'un des 500 albums du "tirage de tête" (pour des acheteurs ayant précommandé) est mis en vente aux enchères le 23 octobre à Paris par la maison Tajan. Il est estimé 60.000 euros.

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