"Le Jour d'avant", "Vertigéo", "Shubeik Lubeik"... notre sélection de BD et romans graphiques à dévorer cet été

Adaptations de romans, témoignages, polars ou encore science-fiction, la bande dessinée s'est emparée de nombreuses thématiques actuelles. Voici huit romans graphiques et BD à mettre dans vos valises.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Rayon BD et romans graphique de la librairie Le Merle moqueur, Paris. (MOHAMED BERKANI)

Toute sélection est forcément subjective et non exhaustive. Le secteur de la bande dessinée continue d'être productif et dynamique. Dans un marché qui ne connaît pas la crise, près de 4 000 titres sont édités chaque année.

"Le Jour d'avant" : la condition humaine

C'est LA BD à ne rater sous aucun prétexte. L'adaptation par Romain Dutter et Simon Géliot du livre Le Jour d'avant de Sorj Chalandon est remarquable à plusieurs égards. On ne peut qu'en convenir avec Sorj Chalandon qui, même s'il s'interdit de critiquer toute œuvre, ne cache pas son enthousiasme dans la préface : "Ce travail-là est admirable. J'adore le trait, sa violence et sa beauté sauvage. Je suis sidéré par le respect du texte initial. Véritablement, Le Jour d'avant revit le jour d'après." Le roman éponyme, hommage aux "gueules noires", prend son départ à Liévin le 27 décembre 1974. Ce jour-là, 42 mineurs dans la fosse 3bis trouvent la mort dans un accident qui aurait pu être évité. Le Jour d'avant interroge la fraternité, la solidarité, la vengeance, la lutte des classes et les silences impuissants ou complices. Le Jour d'avant, ou la condition humaine. Bouleversant.

Le Jour d'avant de Romain Dutter et Simon Géliot, d'après le roman de Sorj Chalandon, édition Steinkis, 26 euros

Couverture de la BD "Le Jour d'avant". (EDITIONS STEINKIS)

"Vertigéo" : la peur du vide

Le noir et blanc accentue la désolation et l'univers post-apocalyptique qui imprègne cette œuvre de science-fiction. Pour survivre, l'humanité doit construire des tours de plus en plus hautes. Malheur à ceux qui traînent. Emmanuel Delporte, auteur de la nouvelle à l'origine de la BD, imagine un monde vertical tenu par un régime autoritaire qui broie toute individualité. L'unique objectif demeure la construction des tours infernales. À n'importe quel prix. Et c'est justement ce coût humain qui finit par peser pour Ugo, chef de chantier. Vertigéo, un univers abandonné par le soleil, mais non déserté par l'humanité. Troublant.

Vertigéo, d'après Emmanuel Delporte, Amaury Bundgen et Lloyd Chéry, Casterman, 22 euros

Couverture de l'album "Vertigéo" d'Amaury Bundgen et Lloyd Chéry. (EDITIONS CASTERMAN)

"Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" : à 100 ans, trop jeune pour mourir

Si quelquefois les traits sont parfois légèrement hésitants, le résultat n'en demeure pas moins explosif. Tout est démesuré, complètement loufoque, invraisemblable et joyeusement absurde dans cette BD inspirée par le livre à succès de Jonas Jonasson. Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, alias Allan Karlsson, s'enfuit de la maison de retraite. Le vieux n'est pas n'importe qui. À la manière de Forrest Gump, l'ancien artificier a traversé le siècle en candide apolitique qui croise ce que la politique a engendré de pire et de meilleur : Franco, Staline, Mao, Truman… Le tonton flingueur ne porte aucun jugement. Passé et présent se télescopent. Les aventures de papy Karlsson sont jubilatoires.

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, d'après Jonas Jonasson, Grégoire Bonne et Taillefer, Philéas, 19,90 euros

Couverture du roman graphique "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire". (EDITIONS PHILEAS)

"L'homme qui en a trop vu" : dans le viseur du photographe

"Maintenant que les médias vous ont filmés, on va vous tuer !". La scène se passe en 2016 sur la base militaire de Qayyarah, à 90 kilomètres au sud de Mossoul, en Irak. Les deux militaires, un sunnite et un chiite, qui interrogeaient deux adolescents, plaisantaient-ils ou étaient-ils sérieux ? L'homme qui en a trop vu suit le parcours et l'enquête du photojournaliste irakien d'origine kurde Ali Arkady, prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre 2017. Prétendant faire un reportage à la gloire de l'ERD (Emergency Response Division), une division d'intervention d'urgence du ministère de l'Intérieur irakien, le photojournaliste enquête sur eux pendant deux mois. "Ne t'attache à personne. Jamais", lui conseille un collègue étranger. Ali va au bout de son enquête. Indispensable.

L'homme qui en a trop vu, Ali Arkady, Simon Rochepeau et Isaac Wens, Futuropolis, 23 euros

Couverture de la BD "L'homme qui en a trop vu". (EDITIONS FUTUROPOLIS)

"Kaya" : le Sud, terre respirable

Rio et sa petite sœur Kaya espèrent atteindre le Sud où l'air serait plus respirable. Et où la vie est encore possible. Ailleurs, sur Terre, une partie de l'humanité a quitté la planète en quête d'une vie meilleure et l'autre est condamnée à fuir les bio-brigades qui cherchent une main-d'œuvre gratuite dans les mines. À force de surconsommation, les ressources naturelles sont épuisées. De l'odyssée de Kaya naît une relation forte avec une louve. Les lecteurs sont invités à suivre ce voyage initiatique d'une petite fille dans un monde post-apocalyptique et de son amitié avec un animal en liberté. Le graphisme donne une dimension poétique à cette quête d'une terre promise parsemée de dangers. À découvrir.

Kaya, Paola Barbato, Linda Cavallini, Lorenzo Lanfranconi et Emanuele Tenderini, Glénat, 18,50 euros

Couverture de la BD "Kaya". (EDITIONS GLENAT)

"Le Dernier debout" : le combat du siècle

"Le 4 juillet 1910, l'aube avait des allures de châtiment… À Reno, les anciens disaient que le soleil n'avait jamais été aussi proche." Ce jour-là, il y a un combat de boxe, qui dépasse de loin le cadre sportif. Jack Johnson, le premier champion noir catégorie poids lourds au monde, affronte un ex-champion blanc Jim Jeffries. Dans l'Amérique ségrégationniste, les spectateurs qui ont envahi le nouveau stade de Reno attendent de Jim Jeffries qu'il répare l'affront causé à coups de poing par Jack Johnson. Ils espèrent voir la hiérarchie sociale rétablie. Graphisme, couleurs, typographie, tout est réuni pour un voyage dans le temps. Youssef Daoudi et Adrian Matejka ont fait un excellent travail en restituant l'atmosphère, mais aussi la psychologie des protagonistes. Percutant.

Le Dernier debout : Jack Johnson, fils d'esclave et champion du monde, Youssef Daoudi et Adrian Matejka, Futuropolis, 30 euros

Couverture du roman graphique "Le Dernier debout" de Youssef Daoudi et Adrian Matejka. (EDITIONS FUTUROPOLIS)

"Shubeik Lubeik" : vos désirs sont des ordres

Cet épais roman graphique de 518 pages venu d'Égypte se lit de droite à gauche. Il se lit surtout avec beaucoup de plaisir. Le titre Shubeik Lubeik, vos désirs sont des ordres, est une formule exprimée par les djinns (génies) dans les contes populaires égyptiens pour signifier qu'ils vont exaucer vos vœux. Tous les souhaits ne sont pas sans danger. L'autrice Deena Mohamed imagine un monde dans lequel les vœux sont des biens de consommation comme les autres. Shubeik Lubeik est une satire politique et sociale de la société égyptienne, avec une portée universelle. Si les vœux sont accessibles, le prix peut s'avérer exorbitant. Deena Mohamed questionne le désir, la liberté, la quête d'identité à travers trois histoires. Conte moderne.

Shubeik Lubeik, Deena Mohamed, éditions Steinkis, 35 euros

Couverture du roman graphique "Shubeik Lubeik" de Deena Mohamed. (EDITIONS STEINKIS)

"Habemus Bastard" : l'habit fait le moine

On pourrait se croire dans Fargo des frères Coen, mais transposé à Saint-Claude dans le Jura. Humour grinçant et décapant, ambiance surréaliste, de l'action avec un gros zeste d'absurde, Habemus Bastard est un polar survolté qui se lit d'une seule traite. Le personnage principal, Père Lucien, n'est pas très catholique. Sous sa soutane, un flingue. À ses paroissiens, il dit que Dieu est noir. Le curé cache beaucoup de secrets. Pour commencer, il n'est pas curé, mais tueur à gages en cavale, poursuivi par d'autres tueurs. S'ensuivent des scènes drôles, loufoques, décalées. Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann signent une œuvre attachante. Bémol : il faut attendre octobre pour lire le tome 2. Addictif.

Habemus Bastard, Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann, Dargaud, 19,99 euros

Couverture de l'album "Habemus Bastard" de Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann. (EDITIONS DARGAUD)

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