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"Lino Ventura et l'œil de verre" : une BD pour percer le mystère du plus pudique des acteurs français

Figure imposante du cinéma français, Lino Ventura se fait tirer le portrait en bande dessinée. Un bel hommage à l'acteur, autant qu'à l'homme énigmatique et tendre qu'il était. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Page intérieure de "Lino Ventura, l'oeil de verre", d'Arnaud Gouëfflec et Stéphane Oiry (Stéphane Oiry / Glénat)

Lino Ventura et l'œil de verre, d'Arnaud Le Gouëfflec et Stéphane Oiry est le récit en bande dessinée de la vie de l'acteur Lino Ventura. Cet album inaugure une nouvelle collection lancée par Glénat, baptisée 9 ½ et consacrée au cinéma.

Quand on entre dans l'histoire, Lino Ventura est alpagué à la sortie de son hôtel par Merlin, un journaliste qui a pour projet d'écrire sa biographie. C'est ainsi, un peu par effraction, que l'on entre dans la vie de l'acteur, ancien catcheur, venu au cinéma par hasard, engagé presque malgré lui pour son premier rôle au cinéma dans Touchez pas au Grisbi, de Jacques Becker. Au fil de cette interview au long cours, Ventura livre des bribes de sa vie : le catch, ses débuts au cinéma, son rapport à la caméra qu'il appelle "l'oeil de verre", sa rencontre avec Gabin, ses liens indéfectibles avec ses amis, José Giovanni, Brel, Brassens et bien d'autres, ses relations parfois houleuses avec certains réalisateurs, ou encore le handicap de sa fille…

Une masse fermée, têtue, constamment sur ses gardes, ou presque. Et là-dessous, une âme tendre. Très bien cachée, une timidité.

Jean-Claude Carrière

préface de "Lino Ventura, l'œil de verre"

On découvre un Ventura au caractère bien trempé, ne se laissant jamais dicter sa conduite. Il n'aime pas les scènes de sexe, inutile de lui proposer un scénario qui lui en impose. On veut lui faire jouer des personnages infects ? Il refuse, quelles que soient les conditions. Ventura a besoin d'entrer en empathie avec les personnages qu'il incarne. La liste des films qu'il a refusés pour toutes ces raisons est impressionnante. 

Page intérieure de "Lino Ventura, l'oeil de verre", Arnaud Le Gouëfflec et Stéphane Oiry (Stéphane Oiry / Glénat)

"Ma mère n'était pas femme de ménage, elle a fait femme de ménage, nuance", déclare l'acteur quand le journaliste tente de simplifier sa vie en deux coups de cuillère à pot. "Il y a des manières de dire, des raccourcis, qui raccourcissent la vue, vous voyez ?", lui dit-il. Lino Ventura n'aime pas les questions sur son enfance, les esquive, voire se fâche quand Merlin "dépasse les bornes". Et, manque de chance, quand enfin par hasard le comédien se laisse aller à lâcher à quelques confidences, le journaliste s'endort…

"Le regard dit toujours la vérité"

Pas vraiment une biographie, ce roman graphique est habilement construit autour de cette longue interview en mouvement. De nombreuses questions restent sans réponse, mais par petites touches, bribes de souvenirs, scènes clés ou silences éloquents, les auteurs finissent par dessiner un portrait frappant de Lino Ventura. Les auteurs évoquent sans insister ce personnage complexe, laissant une place à l'imagination des lecteurs et des lectrices. 

Notons qu'Arnaud Le Gouëffec a si bien attrapé le phrasé de Ventura qu'à la lecture de ses dialogues on entend résonner sa voix si particulière. Dès les premières pages, on est cloué, comme au cinéma, par la présence du comédien. Pour écrire le scénario de ce roman graphique, Arnaud Legouëffec s'est inspiré des biographies d'Odette Ventura Lino (Robert Laffont 1992), et de celle de Gilles Durieux (Flammarion, 2001), ou encore par le livre écrit pas sa fille Lino, tout simplement (Clélia Ventura, Robert Laffont, 2003). Il a aussi rencontré Jean-Claude Carrière, le scénariste d'Un papillon sur l'épaule, de Jacques Deray (1978). "Toute l'histoire telle qu'on la raconte, Stéphane et moi, vient de ce parti-pris: creuser ce Lino Ventura énigmatique tel qu'il résonne dans Un papillon sur l'épaule", confie le scénariste. 

"Au cinéma comme dans la vie, tout est affaire de regard et du reflet qu'on laisse dans celui des autres", déclare Lino Ventura au journaliste qui ne lui lâche pas les basques, "parce que lorsque les mots ne viennent pas tout gâcher, le regard dit toujours la vérité", ajoute-t-il, avant de prendre congé. Un regard, une présence, croqués avec justesse par le dessinateur Stéphane Oiry, dont le graphisme vintage, tramé, restitue à merveille les décors et les ambiances du cinéma de cette époque. Un bel hommage à un grand acteur, et aussi à un homme plein de pudeur et de mystère, pétri de principes mais le cœur toujours tendre.


Un autre album, Sergio Leone signé par Noël Simsolo et Philan, inaugure cette nouvelle collection prometteuse.

"Lino Ventura, l'oeil de verre", Arnaud Le Gouëfflec et Stéphane Oiry (Stéphane Oiry / Glénat)

Lino Ventura, et l'oeil de verre, d'Arnaud Le Gouëfflec et Stéphane Oiry
(Glénat - 144 pages - 22.50 €)

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