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"Dreamland", "Radiant", "Everdark" : comment le manga à la française, dit le "manfra", est devenu tendance

À l'occasion du Festival international de la BD à Angoulême, l'institut Gfk a révélé que le manga représentait en volume 57% du marché de la bande dessinée, qui elle-même pèse pour 25,2% du marché du livre. Le manfra, manga créé par des auteurs francophones, profite alors de ce phénomène pour s'imposer dans l'Hexagone.

Article rédigé par Marianne Leroux
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La tendance des manfra en France. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP)

Après le Japon, pays du manga, la France est le plus gros consommateur de bande dessinée japonaise dans le monde. Il s'est taillé une place de choix chez les libraires ces dernières années. En 2022, selon une étude révélée par l'institut GfK, environ un livre sur sept acheté en France a été un manga, avec une croissance qui devrait se prolonger, vu le jeune âge des lecteurs. Les auteurs français profitent alors de ce succès pour créer leurs propres titres, appelés les manfra. 

Les mangas français ne sont pas une nouveauté, ils existent depuis une vingtaine d'années mais les éditeurs, à cette époque, n'ont pas immédiatement accompagné le mouvement : une réserve quelque peu cruelle lorsqu'on connaît aujourd'hui le boom des ventes de mangas japonais... et français. La vague est plus importante depuis quelques années parce qu’une réelle demande a émergé de la part des éditeurs, puis des lecteurs. Guillaume Dorison, qui a sorti le deuxième tome de Talento Seven en décembre dernier, souligne le fait qu'il "peut y avoir beaucoup d’auteurs de mangas en France, mais s'il n'y a personne pour les payer et les éditer, ça ne va pas aller très loin. Aujourd’hui, il est évident que les éditeurs sont beaucoup plus ouverts qu’il y a vingt ans parce qu’ils ont compris que ça se vendait très bien". 

Exportation 

Le public est au rendez-vous. Dans les années 2000, les lecteurs étaient des puristes, des fans inconditionnels du manga japonais : "C'était très mal vu : quand Reno Lemaire a démarré Dreamland en 2006, il y avait des intégristes des mangas qui n’acceptaient pas qu’un manga soit réalisé par un occidental. On a parcouru pas mal de chemin depuis. Les gens sont beaucoup moins critiques", témoigne Romain Lemaire, également auteur de manga. En 2023, les goûts de la nouvelle génération sont plus diversifiés : "Beaucoup de personnes commencent même à être lassées des codes japonais et essayent de trouver quelque chose de plus frais, de donner la chance à des créations françaises", raconte l'auteur d'Everdark

Pour les plus chanceux, les débouchés sont nombreux : vente à l'international, adaptation en dessins animés. Le manga français peut devenir un vrai produit rentable. Radiant de Tony Valente, vendu au Japon et dans le monde entier, a été adapté en animé japonais en 2018. Une grande surprise pour l'auteur toulousain : "Je suis tombé au bon moment avec quelque chose qui a plu. On m'a dit quand j’étais au Japon qu’il ressemblait à un manga japonais. C'est peut-être pour cette raison que mon titre a été adapté plutôt qu'un autre. Dreamland de Reno Lemaire va lui aussi être adapté en animé, les premiers épisodes sont attendus pour la fin de l'année.

Pour tous les goûts

Les auteurs francophones comme Romain Lemaire, Tony Valente ou encore Guillaume Dorison, grandissent dans les années 1990 en regardant à la télévision des dessins animés japonais tirés de mangas. Des passionnés de dessin voulant à leur tour inventer leurs propres séries de livres. Pour eux, ce n'est pas tant l'univers nippon qui est intéressant que la liberté que propose le format manga : le grand nombre de pages, le découpage, le rythme de narration, la fréquences des sorties. Ces créateurs ont le temps de s'arrêter sur certains détails lorsque les auteurs de bande dessinée sont plus restreints par le nombre de pages moins important. "En tant que créateur de manga, le plus intéressant, c’est de travailler profondément sur la construction d'un personnage, de bien aborder les relations entre les personnages et de raconter leurs expériences", raconte Tony Valente. 

"Le manga propose plein de formes différentes de divertissement familial, des histoires drôles, philosophiques, psychologiques, de science-fiction, d'horreur, des tranches de vie ou encore des licences commerciales comme Pokémon, c'est le gros avantage du manga par rapport à la bande dessinée." Il ajoute qu'il y a "peu de formats qui permettent à la fois des histoires légères, imaginaires, quotidiennes, introspectives, tout en restant digestes. Les mangas, ce n’est pas juste des gens qui crient, qui se tirent dessus ou qui se tapent, ça raconte l’aventure humaine avec un grand A".

Regard français

Le manga à la française se distingue par l'appropriation de sa propre culture, plus occidentale. Le format reste le même mais les codes changent. "Si on cherchait à faire exactement comme les Japonais, il n’y aurait pas le moindre intérêt. Le plus intéressant, c’est de voir comment on s’approprie le format d’écriture et de dessin pour exprimer des choses avec nos références et notre sensibilité", précise Guillaume Dorison. Dans les mangas japonais, les personnages saignent du nez par exemple, mais en France ces petites mimiques parleront beaucoup moins aux lecteurs. Les relations entre les personnes, les codes de l'amitié ou de l'amour au Japon sont loin de nos habitudes d'occidentaux.

Pour Romain Lemaire, "le manga français commence à avoir ses lettres de noblesse, entres autres, parce qu'au niveau graphique, il n'y a plus rien à envier aux Japonais. Le niveau graphique augmente sans arrêt". L'injustice est que "les lecteurs nous demandent que ça soit au même niveau que les Japonais. Le problème, c’est qu'on n'a pas d’assistant comme au Japon. Là-bas, le manga c’est une industrie. Mais quand je vois le niveau de certains jeunes auteurs qui se débrouillent seuls pour faire des pages d’excellente qualité, ça me rassure pour l’avenir"

La proximité avec les auteurs

L'avantage indéniable pour les lecteurs de manfra, c'est la proximité avec les auteurs. Il y a vingt ans, elle se résumait à des forums, aujourd’hui un auteur a sa communauté sur les réseaux sociaux et rencontre son public lors de dédicaces ou de festivals. Ces créateurs deviennent alors très accessibles, contrairement aux auteurs japonais qui habitent à des milliers de kilomètres. Les réseaux sociaux comme la plateforme Twitch ont accéléré le processus. Certains auteurs deviennent streamers juste en allumant leur caméra et en montrant les dessins qu'ils réalisent pour leur prochain tome. 

Pour Guillaume Dorison, "il y a une vraie nouvelle génération qui émerge. J’ai donné des cours dans des écoles de mangas et il y a certains auteurs qui ont été mes élèves. Ils sont devenus super bons. Ils sont nés avec tous les codes et ont tout de suite accès à des tas de données et références. On voit qu’ils intègrent énormément de choses, beaucoup plus que nous, c’est eux qui vont représenter la nouvelle génération".

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