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Festival d’Angoulême 2020 : "Yoshiharu Tsuge est à la BD japonaise ce que Godard a été au cinéma français"

A l’occasion du Festival international de la bande dessinée, le musée d’Angoulême accueille jusqu'au 15 mars 2020 une exposition sur le travail du mangaka (dessinateur de bd japonaise) Yoshiharu Tsuge. Intitulée "Être sans exister", cette rétrospective chronologique s’étend des années 60 aux années 80 et montre 252 planches originales.

Article rédigé par Laetitia de Germon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Yoshiharu Tsuge (© LAETITIA DE GERMON / STEPHANE BEAUJEAN)

Mangaka de référence au Japon, Yoshiharu Tsuge est peu connu en France où il n'avait jamais été traduit ou presque. En 2004, les éditions Atrabiles ont publié L'homme sans talent, et depuis peu les éditions Cornélius se sont lancées dans une publication anthologique de ses œuvres. Trois volumes sont disponibles actuellement : Fleur rouge, La Vis, et Le Marais. Cela représente une bonne partie de sa production de la deuxième moitié des années 60.

Ce précurseur du manga du moi (watakushi manga) "est à la bande dessinée japonaise ce que Godard a été au cinéma français", explique Xavier Guilbert, le commissaire de l'exposition.

Né à Tokyo en 1937 dans un milieu modeste, Yoshiharu Tsuge a eu un parcours très chaotique et très particulier. Dans sa carrière il a produit à peu près 7 000 planches. Le mangaka est publié dès 17 ans dans les réseaux des librairies de prêt auxquelles il participera jusqu'en 1959. Ce sont des publications populaires d'une centaine de pages qu’il faut écrire et dessiner très vite. C'est là qu'il va produire la majeure partie de sa production. A peu près 5 000 planches ressortent de cette période.

Précurseur de la "BD intime"

En finir avec les dessins enfantins et se diriger vers des œuvres plus réalistes, voilà ce que veut faire Yoshiharu Tsuge. "Dessiner m’était de plus en plus douloureux", dit-il après ses premières années professionnelles. "Mon quotidien était sombre et pétri d’angoisses. L’art ne m’intéressait pas. Je ne m’étais jamais demandé ce que 's’exprimer' voulait dire. J’étais ignorant de toutes ces choses, seul, sans personne avec qui échanger. La direction que j’allais emprunter ne découlait pas d’une réflexion théorique, mais simplement d’un rejet viscéral du divertissement."

Exposition Yoshiharu Tsuge au Musée d'Angoulême (LAETITIA DE GERMON / RADIO FRANCE)

Au milieu des années 60, il va être mis à l'honneur dans la revue de manga avant-gardiste Garo. Il y publie La Vis, la première BD à s'aventurer sur le territoire de l'inconscient et du rêve. Ce récit rencontre un véritable succès auquel l'auteur n'est pas prêt. Ecrasé par l'angoisse, il va disparaître pendant 15 jours. C'est le début d'une longue série de disparitions de sa part.

Dans Garo, il publiera aussi Le Marais, une histoire à fin ouverte et Tchiko, un manga ressemblant étrangement à une autobiographie. Ce dernier est très mal reçu par les lecteurs qui lui reprochent sa noirceur et sa décadence. Yoshiharu Tsuge va prendre une année blanche. A son retour, il va persister dans cette veine autobiographique. "C'est là qu'il va développer le manga du moi, dont il est l'un des plus grands représentants. Il va beaucoup parler de lui. C'est une première. Quand on regarde la bande dessinée internationale, les premiers à parler d'eux sont des Américains vers 1974. Là, on est en 1967, donc c'est un précurseur", explique Xavier Guilbert, le commissaire de l'exposition. "Ce mouvement ne sera pas très suivi. C'est le premier à parler de l'intime, de lui, même si au Japon on ne fait pas une autobiographie à la première personne."

"Tchiko" et "L'homme sans talent" de Yoshiharu Tsuge (LAETITIA DE GERMON / RADIO FRANCE)

Maître du récit autobiographique, Yoshiharu Tsuge l’est également du carnet de voyage. Très attaché au Japon traditionnel, il estime être né trop tard parce que ce Japon est en train de disparaître. Ses voyages sont donc une manière d'aller chercher dans le Japon ces dernières petites poches. Ces carnets sont le témoignage d’un pays invisible et disparu, ils sont empreints d’une nostalgie profonde. Il y a toute une amertume qui va être liée à ça. Au moment où il ne va plus arriver à faire cela, il va repartir sur de l'autobiographie dans laquelle il va parler de sa jeunesse.

En 1986, il publie L'homme sans talent. C'est la seule œuvre dans laquelle il mélange des choses de son passé et des choses actuelles puisqu'il parle de sa situation. Ce manga raconte la vie d'un homme qui vit de petits boulots, vend des cailloux au bord d'un fleuve, retape des appareils photographiques et ne trouve nulle part l'énergie de reprendre son ancien travail de mangaka qui lui valut, par le passé, un succès d'estime. Après la publication de L’Homme sans talent, le mangaka s’enfonce dans l’isolement et la dépression, dont il sortira difficilement.

L'exposition "Être sans exister" est à voir au Musée d'Angoulême jusqu'au 15 mars 2020.

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