Japan Expo 2024 : ce que l'on vit "va se refléter dans les films de kaiju", explique Yuji Kaida, illustrateur de kaiju, dont Godzilla
Le terme kaiju est en quelque sorte né en 1954, avec la sortie du film Godzilla. Ces bêtes ne sont pas des animaux comme les autres, ils sont bien plus que ça. Dans certains films, on distingue d’ailleurs les dinosaures et les kaijus, ces derniers sont considérés comme des créatures étranges. Elles sont souvent le résultat de manipulations : la bombe atomique, l'espace, la pollution...
franceinfo : Est-ce qu’il y a une différence entre les kaijus et les monstres ?
Yuji Kaida : Pour moi, un monstre c’est quelque chose qu’un être humain peut terrasser, alors qu’un kaiju ce n’est pas possible. Je pense que le kaiju a une présence quasi divine. Ce n’est pas un dieu, mais c’est quelque chose qui transcende la compréhension humaine, c’est une sorte de chaos qui est assez incompréhensible, qui ne peut pas être assimilé à un système humain. C’est pour ça que je parle d’une existence supérieure.
Contrairement aux monstres présents dans les films réalisés en dehors du Japon, les kaijus ont souvent un lien avec le climat. Comment expliquez-vous cela ?
Dans pas mal de cas, Godzilla peut représenter des facteurs de la nature, de l’environnement. C’est un moyen parfait pour un réalisateur qui veut faire passer un message environnemental ou écologique. Le kaiju permet de développer extrêmement de thèmes, parfois cela peut être une allégorie sur le concept du chaos, sur quelque chose qui échappe à l’ordre, au système. Parfois, cela peut juste être une icône qui est là pour le divertissement. C’est un concept qui peut s’adapter à plusieurs approches en fonction des réalisateurs.
Comment faites-vous pour exprimer l’immensité d’un kaiju dans vos illustrations ?
Si on imaginait que le toit du Parc des Expositions de Villepinte était fracassé par un monstre de 50 mètres, on serait terrassé par quelque chose que l’on ne comprendrait pas. Si vous vous retrouviez face à un ours de 3 mètres, c’est quelque chose que vous pourriez assimiler, mais en termes de proportions, dès que l’on passe 50 mètres, on ne comprend pas. L’idée est d’arriver à dépeindre cette incompréhension.
Je me concentre toujours sur la perspective. Pour représenter le gigantisme, le meilleur moyen c’est de penser à la perspective lorsque l’on compose l’illustration.
Vous êtes très respectueux du design de chaque kaiju. Le Godzilla de 1954 ne ressemble pas à celui de Shin Godzilla. Avez-vous des consignes à respecter lorsque vous réalisez une illustration ou vous basez-vous uniquement sur le design originel ?
J’ai pour posture de, tout le temps, représenter et illustrer ce que je vois. C’est très important pour moi. Donc, si je dois faire quelque chose sur Shin Godzilla, je représente ce que j’ai vu de Shin Godzilla. L’important c’est que les gens qui cherchent une illustration ressentent la même chose que ce que j’ai vu. Ce serait donc aberrant de mettre des choses qui ne sont pas dans ce que j’ai vu. C’est pour ça que c’est important de représenter les choses comme elles sont dans le film.
Vous avez illustré Godzilla à toutes les époques. Laquelle préférez-vous et pourquoi ?
C’est le Godzilla de 1954 qui a la présence la plus forte en moi. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai plus travaillé sur celui-là, mais je suis très concentré pour faire ressentir l’esprit de ce film. J’aime aussi énormément la manière dont Shin Godzilla reprend l’esprit d’allégorie qui était très fort dans le premier Godzilla (celui de 1954). C’est un film qui a très bien compris l’esprit du premier film et a été capable de l’adapter à notre époque.
Pensez-vous que Godzilla va continuer à avoir autant de succès dans les années à venir ?
C’est bien évidemment une franchise commerciale et donc la logique est : on sort un film, il marche, on fait une suite, elle marche, on fait une suite et ainsi de suite. Durant les périodes Shōwa (1954-1975) et Heisei (1984-1995), il y avait quasiment un Godzilla par an et on a ressenti un certain épuisement créatif.
J’aime beaucoup l’approche actuelle. On fait un film bien pensé et s’il marche, on analyse ce qui a marché et on réfléchit à un projet intéressant pour la suite, quitte à y passer plusieurs années. Je pense que si on garde cette posture, Godzilla pourra se maintenir dans le futur.
C’est donc un peu le reflet de l’époque à laquelle il apparaît ?
Tout à fait, c’est un facteur très important du film de kaiju, notamment de Godzilla. Si on parle de notre époque, on est dans une situation où il est de plus en plus difficile de définir une justice absolue. Définir la justice est de plus en plus difficile, même dans le divertissement. On a des conflits humains qui ne cessent pas, il y a beaucoup d’idéologies qui s’affrontent et il n’y a plus de bipolarité entre le bien et le mal comme avant. Cela va se refléter dans les films de kaiju.
Le premier Godzilla, qui sort en 1954, dépeint une destruction qui rappelle la guerre. Il y a vraiment un sentiment anti-guerre très fort dans ce film, mais il y a aussi un facteur de divertissement avec ce monstre qui détruit la ville. On pourrait dire que c’est contre-productif de faire du divertissement alors qu’on est anti-guerre. C’est ce paradoxe qui a marqué les gens. Si on avait fait un film juste anti-guerre, les gens n’auraient pas trouvé ça amusant et cela serait tombé dans l’oubli. Il y a plusieurs facteurs qui reflètent des besoins, des frustrations de leur époque, qui se retrouvent là-dedans.
N’est-ce pas une façon de dédramatiser ce qui s’est passé ?
Dans le film de 1954, il y a une scène où Godzilla détruit l’Assemblée nationale. À l’époque, les gens dans la salle ont applaudi et hurlé. Les conditions de la défaite (lors de la Seconde Guerre mondiale) avaient provoqué énormément de frustration et il y en avait énormément vis-à-vis du pouvoir politique. Cette frustration a été évacuée avec une seule scène dans un cadre de divertissement. Mais cela ne fonctionnerait plus aujourd’hui. Si vous montrez le Parlement se faire détruire cela aura un côté tragique.
Selon l’époque, la même scène n’aura pas le même impact. En 1954, la scène de destruction de l’Assemblée apportait une catharsis très importante pour les spectateurs et c’est ce qui a fait que le film a été extrêmement marquant. Il y a donc plusieurs facteurs qui se combinent, le reflet de l’époque, la frustration, mais il ne faut pas oublier que cela reste du divertissement avec de l’action. Il y a un sentiment d’excitation de voir de la destruction. C’est un sentiment enfantin, primaire, qui parle et que l’on peut manier dans ce cadre-là par rapport à des allégories, des métaphores et par rapport aux frustrations d’une époque.
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