Pourquoi Albator reste-t-il un personnage aussi culte cinquante ans après sa création ?
A l'occasion de la venue du créateur du célèbre pirate de l'espace, Leiji Matsumoto, à Japan Expo 2019, à Paris, franceinfo revient sur l'extraordinaire popularité d'un héros de l'animation japonaise né il y a un demi-siècle.
"J’étais complètement amoureuse d’Albator." Quand Christel Hoolans, directrice générale déléguée des éditions Kana, évoque au téléphone le ténébreux pirate de l'espace, on devine son sourire béat. "Je suis née en 1970, et comme tous les gens de ma génération, Albator est ma madeleine de Proust." Personnage de manga né d’abord sous la plume du Japonais Leiji Matsumoto en 1969, Albator est presque essentiellement connu en France pour être le héros d’un dessin animé diffusé pour la première fois le 7 janvier 1980 dans l’émission pour enfants "Récré A2", sur Antenne 2. Après Goldorak et Candy, diffusés dans la foulée de l’année 1978, les épisodes d’Albator, le corsaire de l’espace rythment chaque jour le quotidien des enfants après la sortie des classes.
Une popularité qui ne s’est pas démentie depuis. Sur le petit écran, l'anime a bénéficié d'une suite diffusée en 1984. Albator, corsaire de l’espace, le film en 3D sorti en 2013, a rassemblé 700 000 spectateurs en France. Quant aux mangas, ils ont également trouvé leur public puisque l'intégrale des aventures du célèbre pirate s'est écoulée à 30 000 exemplaires dans l'Hexagone. Pas de doute : le personnage d’Albator suscite toujours autant de fascination. Et son créateur, Leiji Matsumoto, un des invités de marque de Japan Expo, du 4 au 7 juillet à Villepinte (Seine-Saint-Denis), continue d'inspirer les jeunes générations.
Un contexte propice
Retour en 1980. Lorsque sont diffusés sur Antenne 2 les 39 épisodes d’Albator, le corsaire de l’espace (les trois derniers n’ont jamais été diffusés de peur qu’ils soient perçus comme trop violents), le terrain est déjà préparé à l'arrivée de ce dessin animé. Depuis l’été 1978, la France a déjà découvert l’animation japonaise à travers Goldorak (qui a rencontré un succès auquel Jacqueline Joubert, la responsable de la nouvelle unité Jeunesse et famille à Antenne 2, ne croyait guère), puis Candy.
Parallèlement, au cinéma, George Lucas affole le box-office avec La Guerre des étoiles. Sorti en 1977, le premier épisode de la saga qui deviendra légendaire popularise instantanément le soap opera intergalactique. "Star Wars avait eu un succès considérable, se souvient Jacques Canestrier, l’homme qui a importé la licence Albator en France. Tout ce qui touchait à la science-fiction et à l’espace devenait vraiment à la mode et plaisait beaucoup, surtout aux enfants. C’est pour ça que j’ai cru à Goldorak puis à Albator et que ça a eu beaucoup de succès." Le design et la personnalité du capitaine Albator, imaginés par Leiji Matsumoto dès la fin des années 1960, feront le reste.
"C’est le premier héros ténébreux"
Avec ses cheveux bruns mi-longs indisciplinés qui grignotent son visage découpé par une imposante balafre, Albator affiche un style pour le moins singulier à l'époque de sa sortie. Longiligne à l’excès, il promène sa silhouette androgyne soulignée par une longue cape noire doublée de rouge dans les couloirs de L’Atlantis, son vaisseau à l’allure de galion dont l’équipage est majoritairement composé de laissés-pour-compte.
Et comme le souligne le bandeau noir et la tête de mort qui orne son poitrail, Albator est un pirate. Condamné à l’exil par les Terriens devenus oisifs et dépourvus de conscience morale, il est désormais à la tête de ce drôle de vaisseau qui parcourt l’espace en quête d’autres engins spatiaux à piller. "C’est le premier héros ténébreux. Assis au fond de son siège, toujours un verre de vin à la main, on se doute que lorsqu'il se lève pour aller à la barre, ce n’est pas pour rigoler", souligne Matthieu Pinon, journaliste spécialisé dans la pop culture japonaise et auteur d’Un siècle d’animation japonaise (éd. Ynnis, 2017).
Du mystère, Albator en est enveloppé. L’homme parle peu mais souvent de manière péremptoire, en se réfugiant derrière ses principes. "Je ne me bats que pour ce que je crois. Je ne défends personne. Je ne combats que pour ce que j’ai au fond du cœur. J’erre parmi les étoiles et les gens m’appellent le 'capitaine Albator'", déclame-t-il dans le premier tome du manga Capitaine Albator, le pirate de l’espace, publié au Japon en 1977. Une posture qui fait son petit effet sur les spectateurs français, mais aussi italiens qui comptent parmi les plus fervents supporters européens du personnage.
C’est un grand ténébreux qui ne s’exprime pas, mais quand il le fait, vous êtes particulièrement attentif.
Christel Hoolans, directrice générale déléguée des éditions Kanaà franceinfo
Mais malgré une économie de mots, on comprend vite le personnage. "Au départ, il n’est pas franchement attachant, analyse Jérôme Alquié, auteur de Capitaine Albator, Mémoires de l’Arcadia, qui vient de paraître aux éditions Kana. Mais petit à petit, on comprend qu’il n’est pas un pirate juste pour le plaisir de gagner de l’argent. Il essaie de réveiller les consciences et veut redonner le goût du travail aux Terriens. C’est ça, toute la profondeur du personnage."
Un personnage dur et froid que les studios Toei Animation ont décidé d'humaniser un peu en créant le personnage de Stellie. Cette petite orpheline est sous la tutelle d'Albator qui a juré à son père de la protéger des méchants Terriens, mais aussi des Sylvidres, des créatures humanoïdes extraterrestres qui, sous l’apparence de femmes fatales, cherchent à conquérir notre planète.
Quel mec ! Il n’a pas besoin de dire que c’est un type bien, on le voit.
Christel Hoolansà franceinfo
A la fois justicier et hors-la-loi, Albator est également une figure du romantisme littéraire par excellence. "C’est un personnage très pensif, très mélancolique. On le voit régulièrement dans sa cabine en train de picoler, hanté par les souvenirs de ses compagnons disparus, décrypte Julien Pirou, webmaster de Triple 9, un site consacré à l’univers de Leiji Matsumoto. Et il y a quelque chose de très anachronique entre ce pirate avec une cape et une redingote du XVIIIe siècle et cet univers futuriste avec des mégalopoles et toutes sortes de vaisseaux spatiaux."
Une musique inoubliable
Impossible également d’évoquer Albator sans mentionner la bande-son qui accompagnait le premier anime. Le générique français, d’une part, interprété par Eric Charden, que les spectateurs de l’époque ont encore en tête. Ou, beaucoup plus mélancolique, le célèbre thème à l’ocarina, un instrument à vent dont joue Albator et qu’il offre à Stellie dans les premiers épisodes d’Albator, le corsaire de l’espace, que l'on doit au génial compositeur japonais Seiji Yokoyama.
Un thème déchirant, qui fonctionne toujours en 2019. "Dans chaque épisode, on passe par toute une myriade d’émotions, se remémore Christel Hoolans. Vous êtes pris par le combat puis vous êtes au bord des larmes quand il joue de son ocarina. Ça marche à chaque fois !"
"Des concepts formateurs et importants sur la stupidité des humains"
Au-delà du personnage ultra charismatique et de cette bande-son, les œuvres qui mettent en scène Albator, que ce soient les mangas ou les animes (Albator, le corsaire de l’espace a été suivi par Albator 84, et rebaptisé dans la foulée Albator 78), frappent par leur maturité. Dans la première saison, on y parle libre arbitre ("Le libre choix, c’est la dignité de l’homme. La preuve qu’il pense, qu’il juge."), on y cite les philosophes des Lumières ("Voltaire les avait pourtant mis en garde !")... Contrairement à ce que pouvaient penser les détracteurs de l’animation japonaise au début des années 1980, Albator, le corsaire de l’espace est une œuvre cultivée.
"C’est un dessin animé devant lequel nous laissaient nos parents bien volontiers. Il est porteur de plein de thèmes importants, formateurs et qui sont toujours d’actualité, se souvient Christel Hoolans. On parle de sauver la Terre, pas de manière écologique comme aujourd’hui, mais parce que les humains ne se posent pas les bonnes questions et les politiciens sont à côté de la plaque. Ces concepts sont restés ancrés en nous, même si à l’époque, on ne comprenait pas tout."
Une profondeur qui se retrouve du côté des relations entre antagonistes. Ici, le traditionnel diptyque opposant les gentils aux méchants laisse place à un triptyque qui intègre, au milieu des Sylvidres et des pirates de l'espace, le gouvernement qui a exilé Albator et qui le pourchasse. Et comme le souligne Jérôme Alquié, "c'est un héros, mais qui est également mal aimé par ses pairs. C’est un gentil, mais c'est aussi un pirate pas toujours sympa." Quant aux ennemis, "au lieu d’être des gros méchants dégoulinants comme on a l’habitude de voir dans les années 1970, ce sont des Amazones absolument magnifiques, des personnages d’une beauté comparable à une rose, mais avec les épines", analyse le dessinateur.
Des traits magnifiés par Rintarô, le réalisateur japonais aux manettes du premier anime. Tout au long des 42 épisodes d’Albator, le corsaire de l’espace, il rivalise d’ingéniosité dans ses découpages et son montage pour pallier la faiblesse de l’animation, plutôt rudimentaire à l'époque. Et même si cela a aujourd'hui sacrément vieilli, la magie opère toujours. "On passe par des montagnes russes d’émotions tout en retenant des concepts formateurs et importants sur la stupidité des humains ou sur le côté injuste du mec qui essaie de te sauver alors que tout le monde veut le tuer et l’enfermer", analyse Christel Hoolans.
Albator est quinquagénaire, et alors ?
Près de quarante ans après sa première apparition sur les écrans français, le personnage d’Albator semble ne pas avoir pris une ride. En témoigne le succès du film en 3D Albator, corsaire de l’espace, de Shinji Aramaki, sorti en 2013. "C’est un Albator qui est plus centré sur l’action avec un scénario un peu insipide et beaucoup de retournements, note Matthieu Pinon. Mais c’est un des plus gros succès pour un film d’animation japonais, hors Miyazaki."
Du côté des mangas, c’est Kana qui édite depuis 2002 les œuvres signées Leiji Matsumoto, dont Capitaine Albator, le pirate de l’espace (disponible en cinq tomes ou sous la forme d’une belle intégrale) qui a inspiré le premier anime. Si, au début des années 2000, ces mangas ont "fait un flop", de l’avis de Christel Hoolans, le succès du film a relancé l’intérêt pour l’œuvre papier. "Quand on a su que le film allait arriver, on s’est dit qu’il fallait absolument ressortir ce qui était passé sous les radars à l’époque. C’est là qu’on a publié ces grosses intégrales qui ont cartonné", souligne la directrice générale déléguée des éditions Kana.
D’autant que "si techniquement, l’anime a pris un coup de vieux", Matthieu Pinon a constaté que "ce n’était pas forcément un obstacle pour les enfants d’aujourd’hui", même si on est loin des "séries qu’ils voient actuellement et qui sont très protectrices. Ça reste très superficiel. Il y a toujours un truc un peu moralisateur et la gravité est absente, précise le journaliste. On est très loin d’un Albator qui regarde sans ciller des Sylvidres se consumer dans un cri de douleur."
Si des enfants peuvent aller au cinéma regarder 'Rémi sans famille', ça veut dire qu’'Albator' n’est pas trop dur pour eux.
Matthieu Pinon, journaliste spécialiséà franceinfo
Preuve ultime de l’intérêt toujours croissant pour le pirate de l’espace, les éditions Kana viennent de publier Capitaine Albator, Mémoires de l’Arcadia, une histoire inédite signée par le Français Jérôme Alquié. Un album tout en couleurs, adoubé par Leiji Matsumoto lui-même. "On est persuadés qu’on peut à la fois toucher ceux qui étaient devant leur télé en 1980 et séduire les plus jeunes qui ne l’ont pas vu à travers la BD, parce que les plus grands vont le leur offrir ou qu'un papa va en parler à son fils", explique Christel Hoolans. De quoi permettre au héros le plus badass de l’animation japonaise de conserver son panache et son attrait auprès des nouvelles générations.
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