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"RedFlower", un manga inspiré par les traditions africaines pour évoquer le passage à l'âge adulte et le choc des cultures

Loui est un jeune auteur de manga franco-ghanéen, autodidacte, qui après s’être autopublié grâce à une plateforme de financement participatif, voit son manga "RedFlower" édité par Glénat. Dans ce titre, il développe un univers original, inspiré par les traditions africaines qu’il connaît bien.
Article rédigé par Laetitia de Germon
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Loui, l'auteur de RedFlower (© Loui / Glénat)

Loui aime raconter des histoires depuis son enfance et a été bercé par celles qu’il a entendues en grandissant au Ghana. S’il s’est dirigé vers le manga ce n’est pas un hasard. "Le manga est très dynamique dans sa composition, il nous incite à tourner les pages, à continuer notre lecture. Il a cette capacité à captiver le lecteur. Je n’ai pas retrouvé cet effet avec la BD ou les comics, je n’ai pas accroché de la même manière mais ce n’est pas parce que c’est mieux ou moins bien, explique Loui. Chaque histoire a son propre format. J’ai des idées que je pourrais décliner sous forme de scénario pour le théâtre, le cinéma, le scroll comics, le jeu de société, le jeu de rôle. Il y a plein de façons de raconter des histoires et aujourd’hui je commence par le manga."

Dans RedFlower, Loui raconte l’histoire de Kéli, un adolescent qui ne rêve que d’une chose, passer le rituel du Katafali, qui marque, pour les garçons, le passage à l’âge adulte. Mais tout le monde le trouve trop impétueux pour ça. Pourtant, le jeune garçon s’entraîne tous les jours pour maîtriser l’art martial de sa tribu, mais il a beaucoup de mal à gérer ses émotions et à intégrer pleinement la philosophie pacifique de son peuple, ainsi que les sages conseils de ses aînés… C'est alors qu'Anansi, le sorcier, a une vision d'apocalypse : le village va se faire envahir par des étrangers dotés d'un pouvoir mystérieux et meurtrier ! Les membres du clan se trouvent désormais face à un dilemme : comment se défendre face à cet ennemi quand leurs croyances leur imposent la non-violence ? Kéli tient-il là l'occasion de prouver sa valeur ?

Loui estime que le manga "est la meilleure manière de faire ressortir toute l’énergie qu’ont (ses) personnages et (son) univers qui est très inspiré des contes et des légendes ouest-africaines. C’est une narration très dynamique, très musicale dans le récit, qui permet de faire ressortir tous ces côtés-là parce qu’on ressent l’énergie et la vie qu’il y a dans les personnages."

RedFlower (© Loui / Glénat)

Conte ou réalité ?

RedFlower est un mélange d’action et d'aventure qui vous emportera dans la rencontre explosive de deux cultures opposées, l'une emplie d'animisme et de spiritualité, l'autre pour qui la fin justifie les moyens. S’il a choisi de situer son histoire en Afrique ce n’est pas par hasard. "Je pense qu’on raconte mieux ce que l’on connaît ou ce que l’on a vécu. Cela m’est venu assez naturellement. Au début, je racontais des histoires qui faisaient plaisir, mais plus j’ai creusé mon univers et plus j’ai voulu y insérer ma culture que ce soit dans les symboles, les décors, la jungle, les tissus, la façon de s’attacher les cheveux, les perles, les légendes, le folklore. Tout est inspiré de mon enfance."

Vrai ou faux ? Pas facile de le savoir. En lisant ce manga on se demande ce qui est réel et ce qui est imaginaire. Là aussi, ce n’est pas un hasard. "C’est le jeu avec les lecteurs, explique Loui. C’est à eux d’aller chercher, de se renseigner, sur ce qui est vrai, sur ce que j’ai romancé, où est-ce que j’ai ajouté de la fantasy. J’ai caché des symboles partout, des motifs, des choses inspirées de faits réels." Loui ne veut pas simplement "exposer sa culture", il préfère "inviter le lecteur à plonger dans cet univers et à fouiller ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas et ce qui pourrait l’intéresser." Il nous a quand même donné des indices sur le Katafali, mi-réalité mi-imaginaire. "Le Katafali, c’est Kata qui vient du japonais pour le karaté, les mouvements, les formes, et Fali, dans la langue locale du Ghana, cela veut dire la paix. Donc pour moi cela veut dire : les mouvements de la paix. C’est basé sur un art martial très dansant, comme le Dambe (danse, lutte africaine) mais aussi la capoeira. J’y ait ajouté une dimension spirituelle dans les formes et je les codifie."

Se poser les bonnes questions

Dans chacune de ses histoires, Loui aborde un ou plusieurs thèmes de façon à amener le lecteur à s’interroger. "On n’est pas là pour pointer du doigt ou pour juger, mais je pense que la littérature sert à amener le lecteur et l’écrivain à réfléchir, à évoluer, à interpréter le monde qui nous entoure. Donc, je n’arrive pas à concevoir une histoire sans qu’il y ait de réels enjeux. Une histoire qui ne me pousserait pas à évoluer dans ma façon de voir le monde, je trouve que ce n’est pas une histoire qui vaut le coup d’être racontée." Cette réflexion, il souhaite la partager avec ses lecteurs et "les faire grandir en même temps" que lui sans pour autant leur donner une réponse qu’ils devront trouver eux-même.

RedFlower aborde de nombreux thèmes (passage à l’âge adulte, prise de conscience de ses défauts, trouver les réponses par soi-même, assumer les conséquences de ses actes, la violence…), "mais le principal c’est le passage à l’âge adulte, c’est un rite initiatique." Kéli va devoir gagner en maturité dans son rapport aux autres, pour "comprendre que sa première interprétation des traditions de son peuple n’est pas bonne, mais aussi pour avoir sa place dans cette société. Il y aussi le thème sous-jacent du choc culturel."

RedFlower (© Loui / Glénat)

Contradiction entre le discours non-violent et la violence familiale

Le père et le frère de Kéli ne cessent d’insister sur l’importance de la culture pacifique de leur peuple, pourtant dès que l’adolescent va trop loin il le frappe ou le punisse sévèrement, notamment en l’attachant non loin d’une fourmilière. "Je veux interroger sur la responsabilité de chacun d’agir pour préserver la paix, l’harmonie, mais que comme c’est quelque chose de difficile, la vraie maturité vient à travers la souffrance, le développement personnel et l’acharnement pour devenir quelqu’un de meilleur, explique Loui. Pour moi, cela fait partie de l’apprentissage et du passage à l’âge adulte. C’est aussi pour pointer du doigt certaines traditions qui peuvent être contradictoires et là on va parler du dogme de ces valeurs anciennes qui nous suivent et dont on devrait peut-être réévaluer l’application."

Loui ne prône pas la violence. Il veut que l’on s’interroge sur la façon dont on veut "inculquer nos valeurs à la jeunesse." Pour lui, c’est un peu comme le débat sur la fessée. Loui a grandi au Ghana où "le châtiment corporel était beaucoup plus présent dans (son) quotidien que dans celui des personnes qui ont grandi en Occident." Il raconte avoir "vu des personnes se faire battre, notamment avec des cannes en bois." Des scènes qui l’ont "beaucoup fait réfléchir. Certains estiment que c’est barbare et d’autres que c’est nécessaire. C’est pour cela qu’il y a cette contradiction dans son histoire. Je veux que mon lecteur réfléchisse à cette chose-là."

La suite ?

Si l’on est vite happé par l’histoire et l’univers, les nombreux gros plans et le découpage des cases, il n’est pas facile de savoir où cela va nous mener exactement. Loui nous donne quelques pistes pour le prochain tome : "On sera en plein dans l'histoire de Keli qui va être projeté dans un conflit qui le dépasse. On retrouve son envie de faire partie du quotidien de sa tribu, de trouver sa place, mais il n’a pas encore toutes les clés de compréhension. La relation avec son frère va aussi être plus développée."

De son côté, Loui souhaite continuer à progresser que ce soit dans la narration ou dans le dessin. Dans un futur lointain, il se pourrait qu’il essaie de faire découvrir le manga au Ghana. Son père lui a soumis l’idée "de revenir au Ghana pour ouvrir une école pour permettre à d’autres jeunes de s’exprimer à travers le dessin." Pour le moment, ce encore trop tôt. "Je ne me sens pas assez solide pour le faire mais pourquoi pas plus tard. Le plus grand obstacle, cela va, notamment, être les mœurs sociétales. Au Ghana, la culture de l’art visuel, graphique, n’est pas développée. C’est un pays de sculpteurs, d’artisans, mais il y a très peu de dessins professionnels. Il faudrait trouver un moyen de l’amener. C’est un projet auquel je me confronterai peut-être dans le futur."

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