Pierre Feuille Ciseaux #6 : 16 auteurs de BD une semaine sous le même toit dans la campagne, en mode exploratoire
Cette année au Festival d'Angoulême il y avait Tom-Tom et Nana, le manga City, Futuropolis, Batman, Corben, Matsumoto, un beau palmarès, et bien d'autres événements encore. Et il y avait aussi l'exposition Pierre Feuille Ciseaux #6, un espace un peu à part, niché dans le Musée du Papier au bord de la Charente, où l'on pouvait découvrir ce que la bande dessinée peut encore donner d'inédit, de surprenant, d'expérimental.
PFC #6 c'est quoi ?
PFC #6 c'est Pierre Feuille Ciseaux , 6e édition. 16 auteurs venus du monde entier, en résidence pendant une semaine dans la campagne charentaise à quelques kilomètres d'Angoulême, juste avant le début du festival. "Ça veut dire travailler ensemble toute la journée, ça veut dire manger ensemble, dormir sous le même toit. C'est un peu la colo !", s'amuse Mathilde Harmand, membre de l'association Chifoumi , à l'initiative de cette expérience. "On se plaît à ouvrir l'expérience à toutes sortes de profils, des auteurs d'âges différents, d'expériences diverses, avec des façons différentes de travailler. De cette diversité justement on espère faire naître une émulation une dynamique", ajoute Mathilde Harmand.L'association Chifoumi organise ces résidences depuis une dizaine d'années, celle d'Angoulême est la 6e, pour la première fois en partenariat avec le festival, qui s'est engagé sur trois ans. "C'est vraiment une forme très intelligente de médiation avec le public pour évoquer la bande dessinée, la créativité, c'est participatif, les auteurs viennent du monde entier pour faire ce laboratoire. Je trouve que c'est une expérience joyeuse", estime Stéphane Beaujean, le directeur artistique du Festival d'Angoulême, qui tenait particulièrement à faire connaître cette résidence.
PFC #6 c'est comment ?
Que font des auteurs de bande dessinée quand ils se retrouvent ensemble ? De la BD bien sûr, mais pas n'importe comment. "Ils travaillent ensemble sous contrainte et viennent questionner un peu ce qu'est la BD aujourd'hui, ce qu'elle pourrait de venir. Ils viennent questionner aussi les jeux techniques, les jeux de narration, et ils essaient d'aller chercher un petit peu l'autre bande dessinée", souligne Mathilde Harmand.Travailler sous contrainte, c'est par exemple tirer au sort des personnages proposés par les participants, et raconter ensuite une histoire, deux cases du début et de la fin imposées, les autres imaginant ce qui se passe entre les deux, pour construire une histoire qui se lit en boucle, à l'infini. Ou bien encore un exercice proposé par Simon Roussin pendant cette session : il a choisi une planche des Schtroumpfs, qu'il a décrite avec ses mots, puis il a soumis son texte aux autres auteurs, qui ont redessiné l'histoire.
Proposer un endroit pour réfléchir, en collectif et sous contrainte tel est l'enjeu de l'expérience, pour des auteurs de bande dessinée dont l'activité est habituellement solitaire. "Pierre Feuille Ciseaux, c'est être dans une petite bulle de création, être dans une parenthèse dans sa pratique quotidienne", souligne Mathilde Harmand.
"Au départ il y avait ce constat que les auteurs de BD travaillent seuls dans leur coin, et n'ont finalement pas tellement l'occasion d'entrer en interaction avec les autres. L'idée de ces résidences, est aussi venue de ça : quitter une pratique solitaire pour aller vers une pratique collective, où se créé une certaine émulation, (ou pas d'ailleurs)", explique Mathilde Hermand.
PFC #6 ça sert à quoi ?
"Pendant ces résidences, on réalise de l'utopie", résume Jean-Christophe Menu, auteur et co-fondateur de L'Association (qu'il a quittée en 2011), un fan de Pierre Feuille Ciseaux, puisqu'il a quasiment été là à chacune des sessions.Depuis le début de cette expérience, de nombreux auteurs français ont participé à l'expérience, comme Lisa Mandel, Etienne Davodeau, Marc-Antoine Mathieu, David Prudhomme, Troubs et Rabaté, mais aussi des dizaines d'auteurs du monde entier.
"Chaque fois, quand les organisateur font la liste des auteurs invités, ils ont l'art de flairer la bonne alchimie", note Jean-Christophe Menu. "On rencontre des personnalités fortes et fragiles en même temps. C'est une expérience humaine incroyable et un défi de faire cohabiter ensemble des gens qui sont quand même il faut le dire, un peu asociaux", ajoute l'auteur.
Le fruit de cette semaine de travail en huis-clos était présenté à Angoulême, pages et cases affichées aux murs d'une exposition. Des rencontres, des visites, des ateliers, et un petit livre édité pour l'occasion, pour restituer cette expérimentation qui a pour vocation d'explorer des chemins de traverse en BD.
PFC #6 c'est la BD de demain ?
La question restera sans réponse. Et c'est tant mieux. "Je suis certain qu'on en est qu'au début, à l'aurore de ce que peut donner la bande dessinée. La bande dessinée est un art qui est supérieur à la littérature ou à la peinture. C'est une discipline qui tire vers le haut, un truc en mouvement, qui fait appel à différents niveaux cérébraux. Un auteur de bande dessinée doit maîtriser le texte, être un écrivain, mais aussi le dessin, et la séquence, et il doit aussi savoir se projeter dans le livre d'une autre manière que l'écrivain de littérature, qui déroule son texte comme un ruban, sans avoir à penser à la forme que son texte prendra dans le livre ", souligne-t-il."Et il y a cette grammaire de la bande dessinée, qui lui est propre, comme les éléments pour décrire le mouvement par exemple; on se rend compte lors de ces résidences Pierre Feuille Ciseaux, que les codes sont communs à tous les auteurs du monde entier", se réjouit-il.
"La BD c'est quelque chose de très fort aussi pour cette raison. Les liens avec cet art sont tissés dans l'enfance. J'ai adoré l'exercice proposé par Simon Roussin sur les Schtroumpfs. Je me suis plongé dedans avec la joie des enfants. La BD est un langage, une grammaire que l'on acquiert dans l'enfance. C'est un élixir de jouvence. Quand on tombe dans la BD en étant enfant, alors on reste un enfant toute sa vie !", s'amuse Jean-Christophe Menu.
"Pendant des résidences PFC, on est entre nous, avec une volonté d'aller loin dans la narration, d'expérimenter ce quoi marche, ce qui ne marche pas en bande dessinée, et puis à la fin, on assume d'être resté l'enfant lecteur, amateur de BD que l'on était", conclut Jean-Christophe Menu.
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