"Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose", roman graphique corrosif de Roz Chast sur la fin de vie de ses parents
Roz Chast n'occulte rien. Ses parents sont vieux. Elle s'inquiète. Ils vivent à Brooklyn, depuis 50 ans dans le même appartement. Roz est leur fille unique, née alors qu'ils avaient déjà un certain âge. Ils sont atypiques, et inséparables. Devenue adulte Roz a pris ses distances. Elle vit dans le Connecticut avec son mari et ses deux enfants. Roz sait bien qu'un jour il faudra gérer cette question du "vieillissement". Mais c'est difficile d'en parler : quand elle tente d'aborder le sujet avec ses parents (elle utilise le mot "ça"), ils sont morts de rire. Mais quand les premières alertes de la vieillesse se profilent, il faut bien que leur fille se mêle de leur quotidien. Elle prend l'habitude à partir de septembre 2001 de leur rendre régulièrement visite et cherche à les aider…
Ecrit comme un journal de bord, le roman graphique de Roz Chast raconte méticuleusement le déroulement des faits, à partir du moment où l'état de ses parents nécessite qu'elle s'en préoccupe, jusqu'à leur mort. La dessinatrice n'élude aucun chapitre, elle aborde toutes les questions sans tabous : organisation pratique, coût de la prise en charge des personnes âgées, la crasse et le foutoir dans l'appartement, les chutes, la démence, la déchéance physique... Elle évoque même la consultation d'un "avocat du troisième âge", et décrit toute la palette des sentiments qui accompagne ces événements, qu'elle ressent au fur et à mesure que le temps passe, et que la fin approche. Roz Chast dresse aussi à travers ce récit le portrait de ses parents, qu'elle croque avec un mélange d'ironie et de tendresse.
"Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose" est un roman graphique précieux, qui ose parler sans tabou de la vieillesse et de la mort. Roz Chast livre avec une honnêteté déconcertante et un humour corrosif (à la Woody Allen) à la manière d'une épopée, ce moment étrange, sombre, angoissant, mais aussi jalonné d'épisodes tendres, qu'est la fin de la vie.
Roz Chast décortique les relations filiales. Elle fait -la période y est propice- des retours en arrière dans son enfance, (pas toujours très heureuse), le caractère acariâtre de sa mère, le tempérament maladivement anxieux de son père. Elle décrit avec une grande subtilité les rapports si particuliers, uniques, que les enfants entretiennent avec leurs parents, mélange de soumission, de peur, d'amour, de ressentiment, qui persistent et se transforment (ou pas) à l'âge adulte.
Alternance de textes et de cases à bulles, de dessins pleine page, et même de photographies, la dessinatrice américaine tisse son roman graphique comme une fine dentelle, composant un modèle du genre. Bref, on vous le recommande chaudement.
Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ? Roz Chast, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand (Gallimard - 240 pages - 25 euros)
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