Cet article date de plus d'onze ans.
"On dirait le sud" T. 2 : Rassat et Gauthey chroniquent un suffocant été 1976
« La fin des coccinelles », c’est le titre du deuxième tome de la série BD « On dirait le sud » signée des lyonnais Cédric Rassat (scénario) et Raphaël Gauthey (illustration). Publié en ce mois d’avril chez Delcourt, ce nouvel opus vient clore un diptyque à l'univers graphique très travaillé, marqué par la solitude de personnages pris au piège de l'été caniculaire de 1976.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L’histoire : Nous sommes en plein été 1976 dans une France marquée par deux événements : une canicule historique et une série de meurtres d’enfants perpétrés dans le sud de la France. Dans une petite ville ouvrière du centre de la France, on ne parle que de cela mais aussi du plan de licenciement qui se prépare dans l’usine locale. Sous cette chaleur étouffante, les tensions vont s’accumuler, permettant aux secrets de famille et aux personnalités de révéler leur vrai visage.
Le Tome 1, sorti en 2010 et intitulé « Une piscine pour l’été », s’ouvrait sur une rencontre entre les responsables de l’usine et Max Plume, délégué syndical, un homme droit et respecté par ses collègues. Ce dernier se voyait proposer une forte somme d’argent en échange d’une liste de personnes à licencier établie par ses soins. Un vrai dilemme.
L’album révélait aussi au fur et à mesure d’autres personnages : Sylvia, la femme de Max, mère au foyer, qui voit son mari lui échapper ; sa fille Luce, enfant secrète et maladroite ; Marie, la sœur de Luce et son conjoint Claude, qui ont pu acheter une maison et qui font creuser une piscine.
Il y avait aussi toute une série de personnages qui revenaient en second plan : un grand-père silencieux, des ouvriers d'usine en colère, un patron manipulateur, les clients du bar du coin qui palabrent autour de la peine de mort, une coiffeuse séductrice, un capitaine de gendarmerie investi corps et âme dans des recherches autour des disparitions d’enfant (qui pourtant se déroulent dans le sud). Ajouter à cela des coccinelles qui pullulent et le bal incessant d'hélicoptères chargés de surveiller le respect des restrictions d'eau engendrées par la sécheresse.
Ce qui frappe au premier regard, ce sont les couleurs et le graphisme de Raphaël Gauthey. Des couleurs chaudes, avec un rendu très doux. Le graphisme propose des scènes d'un réalisme saisissant (notamment le rendu du flou et des mouvements). Les visages sont "sculptés", par les lumières, expressifs pour certains jusqu'à la caricature. Certaines planches sont d’une saisissante beauté. Le dessinateur a réussi à rendre cette sensation de chaleur estivale, tantôt lumineuse et claire, tantôt dorée, mais aussi étouffante et moite. Il ne faut pas se fier à la douceur apparente de ces images où le temps semble suspendu, ni à cet univers empreint de nostalgie qui nous replonge dans l’ambiance des années 70 (et que les plus de quarante ans apprécieront de retrouver).
C’est en effet le même malaise qui s’installe dans le Tome 1 et 2. Le premier plantait le décor et les personnages, prenant le temps d’installer les ambiances, parfois sur plusieurs pages. Un temps nécessaire pour montrer à travers des détails, des dialogues, le caractère et les relations entre les personnages. Le Tome 2 est plus rythmé, avec des ruptures, des scènes choc, parfois violente qui viennent bouleverser la quiétude apparente des choses. Cédric Rassat réussit à créer une tension grandissante. Impossible de ne pas assimiler son découpage à celui d’un film (Cédric est un accroc du 7è art qui a tenté à plusieurs reprises d’intégrer la Femis option réalisation). Il fait s’entrecroiser les vies et les histoires, il bouleverse les unités de lieux mais finalement, tout se rejoint, tout conduit; lentement mais sûrement au drame. Une progression qui suit celle du thermomètre : la chaleur monte, les personnages se délitent, l'orage se prépare avec un ciel qui noircit et les couleurs s'assombrissent de plus en plus, jusqu'au clash...avant de retrouver leur aspect doré et tranquille.
Quant aux personnages, nombreux, ils sont attachant car fragiles, et surtout, seuls. Les deux albums dégagent en effet un profond sentiment de solitude. Au milieu des autres et face à une actualité qui touche tout le monde (canicule, plan social, meurtres d'enfants, débat sur la peine de mort), chacun est confronté à ses propres questions, à ses doutes, certaines paraissant dérisoires. A la fois polar, chronique d’une ville ouvrière, réflexion sur le temps qui passe et qui malmène nos idéaux, « On dirait le sud » est une belle réussite avec une « Fin des coccinelles » qui offre un dénouement inattendu, nous laissant avec nos questions et notre propre imaginaire et surtout avec l’envie de retrouver l'univers du duo Rassat - Gauthey.
Rencontre avec Cédric Rassat
Et là , bonne nouvelle ! Si la série s’arrête là, la collaboration entre Raphaël Gauthey et Cédric Rassat va se poursuivre, comme le confirme le scénariste dans une interview réalisée le 4 avril à Lyon, où les deux hommes résident et travaillent. Chrystel Chabert : Il s’est passé trois ans entre le premier et le deuxième tome. Pourquoi une telle durée ? Le scénario a-t-il été modifié ?
Cédric Rassat : Non j’avais le scénario et sa fin dès 2003, des détails sont venus se rajouter en cours de route mais tout était là. Ce temps, c’est Raphaël. Il a réalisé des crayonnés pendant plus d’un an avant de passer encore une année sur les couleurs (NDLR : Raphaël les travaille sur ordinateur). C’est quelqu’un qui travaille dans la durée, en apportant beaucoup de soin à la mise en scène, au découpage… Pour le Tome 2, il a simplifié la mise en scène et épuré le scénario.
C.C.: Et ça ne vous embête pas en tant que scénariste ?
C. R. : Non. Moi ça me va très bien. Je trouve intéressant de voir qu’un illustrateur s’approprie la dimension graphique à partir des éléments que je donne : langage, tempo, récit, informations sur la mise en scène…
C.C. Comment avec vous travaillé ?
C. R. L’idée, ce n’était pas de coller mon univers + le sien mais qu’on fasse un truc ensemble. On ne se connaissait pas avant 2003. La rencontre a eu lieu par l’intermédiaire du dessinateur Emre Orhun avec qui j’ai réalisé plusieurs albums chez Glénat ("Erzsebet" et "La Malédiction du Titanic", voir lien ci contre). Venant du monde de l’illustration, Raphaël voulait se mettre à la BD. Il avait déjà des bribes d’histoire, des idées de personnages (le grand-père et la petite fille), le décor d’une ville ouvrière (ses parents sont du Creusot) et l’époque, la fin des années 70…
Comme nous étions en pleine canicule de l’été 2003, on a décidé de poser l’ histoire dans un contexte similaire, la canicule du XXè siècle, en 1976. Et le soir même de notre rencontre, j'ai visionné un documentaire autour de Christian Ranucci, appelé aussi « l’affaire de l’homme au pull-over rouge » qui remonte à 1974. Tous ses éléments sont venus se rajouter et l’histoire a pris forme.Mais ça a pris du temps ! En 2006, on a pu présenter quelques planches à Delcourt (qui a très bien réagi) et la publication du Tome 1 s'est faite en 2010. C.C.L’histoire se passe en été et pourtant c’est un album assez sombre, où la chaleur joue un vrai rôle...
C. R. Je m’en suis rendu compte en relisant les deux tomes : tous les personnages sont isolés, avec des trajectoires qui vont se croiser. Et finalement, le vrai sujet de l’album, c’est la chaleur, comment elle va peser, comment elle va créer le drame. Cette canicule neutralise les codes sociaux, les personnalités, uniformise les lieux.
Elle fige aussi le temps ?
Oui et il a fallu trouver une manière de créer de la durée et le sentiment du temps qui passe, qui s’éternise (exemple, la scène de la piscine dans le Tome 1 qui "s'étale" sur 8 pages : il ne se passe rien ou pas grand-chose mais toute l’atmosphère du récit se crée ici et va accompagner le lecteur. C’est très cinématographique…Ensuite, le nombre de personnages et les regards croisés aident à créer une diversité qui compense le manque « d’action ». Le Tome 2 est ainsi plus dense et plus rythmé, on a créé des dérèglements, des choses qui n’ont de logique que dans le récit mais pas dans la réalité. C.C. Vous utilisez beaucoup les ellipses, tout n’est pas expliqué, démontré, à commencer par les personnages dont on connaît peu l’histoire, le passé…
C. R. On a porté une attention énorme à l’ambiance et aux personnages qui ont été très travaillés mais ça n’empêche pas les ellipses. Il y a la part d’incertitudes, les non-dits qu’on laisse. Ca va permettre aux lecteurs de s’approprier l’histoire, de remplir les vides...Et puis il y a un équilibre à conserver entre toutes ces trajectoires de vie pour ne pas en favoriser une en particulier au détriment des autres. C.C. Vous avez d’autres projets ?
C. R. Oui et notamment un livre sur les chanteurs soul des années 60 (Cédric est un passionné de musique et a longtemps écrit pour Rock & Folk). Mais aussi 3 scénarios BD dont un avec Raphaël. On a les mêmes envies et les mêmes idées en tête. Il s’agira d’un one shot (un seul album) dont l’action se situera dans les années 60. Mais ça va prendre du temps car on veut vraiment faire un truc différent de « On dirait le sud ». On ne veut pas devenir les spécialistes de la nostalgie !
"On dirait le sud" de Rassat et Gathey chez Delcourt
Tome 1 "Une piscine pour l'été" - 64 pages / Tome 2 : "La fin des coccinelles" - 64 pages - 14,95 euros
C’est en effet le même malaise qui s’installe dans le Tome 1 et 2. Le premier plantait le décor et les personnages, prenant le temps d’installer les ambiances, parfois sur plusieurs pages. Un temps nécessaire pour montrer à travers des détails, des dialogues, le caractère et les relations entre les personnages. Le Tome 2 est plus rythmé, avec des ruptures, des scènes choc, parfois violente qui viennent bouleverser la quiétude apparente des choses. Cédric Rassat réussit à créer une tension grandissante. Impossible de ne pas assimiler son découpage à celui d’un film (Cédric est un accroc du 7è art qui a tenté à plusieurs reprises d’intégrer la Femis option réalisation). Il fait s’entrecroiser les vies et les histoires, il bouleverse les unités de lieux mais finalement, tout se rejoint, tout conduit; lentement mais sûrement au drame. Une progression qui suit celle du thermomètre : la chaleur monte, les personnages se délitent, l'orage se prépare avec un ciel qui noircit et les couleurs s'assombrissent de plus en plus, jusqu'au clash...avant de retrouver leur aspect doré et tranquille.
Quant aux personnages, nombreux, ils sont attachant car fragiles, et surtout, seuls. Les deux albums dégagent en effet un profond sentiment de solitude. Au milieu des autres et face à une actualité qui touche tout le monde (canicule, plan social, meurtres d'enfants, débat sur la peine de mort), chacun est confronté à ses propres questions, à ses doutes, certaines paraissant dérisoires. A la fois polar, chronique d’une ville ouvrière, réflexion sur le temps qui passe et qui malmène nos idéaux, « On dirait le sud » est une belle réussite avec une « Fin des coccinelles » qui offre un dénouement inattendu, nous laissant avec nos questions et notre propre imaginaire et surtout avec l’envie de retrouver l'univers du duo Rassat - Gauthey.
Rencontre avec Cédric Rassat
Et là , bonne nouvelle ! Si la série s’arrête là, la collaboration entre Raphaël Gauthey et Cédric Rassat va se poursuivre, comme le confirme le scénariste dans une interview réalisée le 4 avril à Lyon, où les deux hommes résident et travaillent. Chrystel Chabert : Il s’est passé trois ans entre le premier et le deuxième tome. Pourquoi une telle durée ? Le scénario a-t-il été modifié ?
Cédric Rassat : Non j’avais le scénario et sa fin dès 2003, des détails sont venus se rajouter en cours de route mais tout était là. Ce temps, c’est Raphaël. Il a réalisé des crayonnés pendant plus d’un an avant de passer encore une année sur les couleurs (NDLR : Raphaël les travaille sur ordinateur). C’est quelqu’un qui travaille dans la durée, en apportant beaucoup de soin à la mise en scène, au découpage… Pour le Tome 2, il a simplifié la mise en scène et épuré le scénario.
C.C.: Et ça ne vous embête pas en tant que scénariste ?
C. R. : Non. Moi ça me va très bien. Je trouve intéressant de voir qu’un illustrateur s’approprie la dimension graphique à partir des éléments que je donne : langage, tempo, récit, informations sur la mise en scène…
C.C. Comment avec vous travaillé ?
C. R. L’idée, ce n’était pas de coller mon univers + le sien mais qu’on fasse un truc ensemble. On ne se connaissait pas avant 2003. La rencontre a eu lieu par l’intermédiaire du dessinateur Emre Orhun avec qui j’ai réalisé plusieurs albums chez Glénat ("Erzsebet" et "La Malédiction du Titanic", voir lien ci contre). Venant du monde de l’illustration, Raphaël voulait se mettre à la BD. Il avait déjà des bribes d’histoire, des idées de personnages (le grand-père et la petite fille), le décor d’une ville ouvrière (ses parents sont du Creusot) et l’époque, la fin des années 70…
Comme nous étions en pleine canicule de l’été 2003, on a décidé de poser l’ histoire dans un contexte similaire, la canicule du XXè siècle, en 1976. Et le soir même de notre rencontre, j'ai visionné un documentaire autour de Christian Ranucci, appelé aussi « l’affaire de l’homme au pull-over rouge » qui remonte à 1974. Tous ses éléments sont venus se rajouter et l’histoire a pris forme.Mais ça a pris du temps ! En 2006, on a pu présenter quelques planches à Delcourt (qui a très bien réagi) et la publication du Tome 1 s'est faite en 2010. C.C.L’histoire se passe en été et pourtant c’est un album assez sombre, où la chaleur joue un vrai rôle...
C. R. Je m’en suis rendu compte en relisant les deux tomes : tous les personnages sont isolés, avec des trajectoires qui vont se croiser. Et finalement, le vrai sujet de l’album, c’est la chaleur, comment elle va peser, comment elle va créer le drame. Cette canicule neutralise les codes sociaux, les personnalités, uniformise les lieux.
Elle fige aussi le temps ?
Oui et il a fallu trouver une manière de créer de la durée et le sentiment du temps qui passe, qui s’éternise (exemple, la scène de la piscine dans le Tome 1 qui "s'étale" sur 8 pages : il ne se passe rien ou pas grand-chose mais toute l’atmosphère du récit se crée ici et va accompagner le lecteur. C’est très cinématographique…Ensuite, le nombre de personnages et les regards croisés aident à créer une diversité qui compense le manque « d’action ». Le Tome 2 est ainsi plus dense et plus rythmé, on a créé des dérèglements, des choses qui n’ont de logique que dans le récit mais pas dans la réalité. C.C. Vous utilisez beaucoup les ellipses, tout n’est pas expliqué, démontré, à commencer par les personnages dont on connaît peu l’histoire, le passé…
C. R. On a porté une attention énorme à l’ambiance et aux personnages qui ont été très travaillés mais ça n’empêche pas les ellipses. Il y a la part d’incertitudes, les non-dits qu’on laisse. Ca va permettre aux lecteurs de s’approprier l’histoire, de remplir les vides...Et puis il y a un équilibre à conserver entre toutes ces trajectoires de vie pour ne pas en favoriser une en particulier au détriment des autres. C.C. Vous avez d’autres projets ?
C. R. Oui et notamment un livre sur les chanteurs soul des années 60 (Cédric est un passionné de musique et a longtemps écrit pour Rock & Folk). Mais aussi 3 scénarios BD dont un avec Raphaël. On a les mêmes envies et les mêmes idées en tête. Il s’agira d’un one shot (un seul album) dont l’action se situera dans les années 60. Mais ça va prendre du temps car on veut vraiment faire un truc différent de « On dirait le sud ». On ne veut pas devenir les spécialistes de la nostalgie !
"On dirait le sud" de Rassat et Gathey chez Delcourt
Tome 1 "Une piscine pour l'été" - 64 pages / Tome 2 : "La fin des coccinelles" - 64 pages - 14,95 euros
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.