"Tu n'as rien à craindre de moi" : le sacre du corps, par Joann Sfar
Seaberstein est peintre. La bonne quarantaine, robuste, yeux bleus. Il vient de perdre son père, l'information est lâchée dans la première bulle. "Il n'est pas juste question de la mort du père… C'est une année où des êtres de mon âge sont morts ou devenus malades". Mais : "Je fais le gros dos. Je ne veux pas que ça me transforme. Je souhaite me réveiller autant joyeux qu'avant".
La mort en préambule, donc, très vite gommée par une explosion de désir, inspirée par une fille aux yeux bleus, longues jambes, étudiante en épigraphie latine, que Seabearstein appelle Mireilledarc, (en un seul mot), comme l'actrice, la vraie, que l'on croisera aussi à l'occasion.
"Il a bon dos l'holocauste", lui dit Mireilledarc quand Seabearstein lui propose de "faire l'amour sur le capot encore brûlant d'une voiture de luxe". Le ton est donné : chez Sfar la tragédie se conjugue à l'humour.
Sfar, entre Bonnard et Godard
On est à Paris. Un Paris mythique. Seabearstein peint sa muse pour honorer une commande du musée d'Orsay. Elle aime qu'il la regarde. Elle est servie. Il la dévore des yeux, et pas que : il contient mal son désir quand c'est l'heure de peindre. Tantôt elle retient, tantôt elle attise, elle sait (en plus d'un corps de rêve) comment s'y prendre pour le rendre dingue. Et la plupart du temps, les séances de pose se terminent par les assauts du peintre.A part ça, ils parlent de tout et de rien (les chats, la religion, l'art…). On croise d'autres personnages : "Natte" (la psy de Seabearstein), une veille dame qui attend toujours le retour des ses parents d'Auschwitz. Seabearstein a un copain qui ne supporte pas de vivre seul, le bien nommé Nosolo, et Mireilledarc une copine nombriliste et névrosée (mais rigolote), qui se prénomme Protéine. Ces deux là finiront peut-être ensemble, tandis que Mireilledarc se lasse d'être un personnage…
"Tu n'as rien à craindre de moi" est un album plein d'appétit, comme le sont les commencements de l'amour et les débordements de vitalité après que la mort a rodé. Une forme de thérapie par la beauté du corps, ou une quête de Dieu, par les mêmes voies. Déployées avec liberté, les pages de ce nouvel album sont teintées de mélancolie joyeuse, des personnages et une ambiance Nouvelle vague, avec la patte désormais familière de Sfar, dessins jetés à la plume et ambiances colorées. Du Sfar entre Bonnard et Godard.
Tu n'as rien à craindre de moi Joann Sfar (104 pages couleurs, 18 euros)
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