Ben Barka
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EDITO
L’affaire Ben Barka, ce n’est pas seulement celle d’une famille qui depuis cinquante ans ne parvient pas à faire son deuil, faute d’avoir retrouvé le corps du mari, du père, du frère disparu. C’est l’affaire d’une génération qui a cru aux aspirations d’un tiers-monde désireux de se libérer du joug colonisateur. C’est l’affaire de tous ceux pour qui la vérité a un sens en politique. De tous ceux, enfin, pour qui aucune raison d’État ne saurait être supérieure à la justice.
Résumons les faits pour ceux qui n’en connaîtraient pas tous les tenants : Mehdi Ben Barka, leader politique marocain et globe-trotteur de la révolution, lui qui œuvre au rapprochement des progressistes de la Chine à Cuba, en passant par Alger et l’Afrique noire, est intercepté en plein Paris, boulevard Saint-Germain, à l’heure du déjeuner, le 29 octobre 1965. Deux policiers de la Brigade mondaine le convainquent de monter dans une voiture de l’administration après avoir fait état de leur fonction. Puis le livrent aux mains d’une bande de gangsters patentés ayant l’habitude de rendre des services occultes à la République, eux qui ont combattu sur le terrain pour le compte des réseaux gaullistes, les accros à l’Algérie française.
Cinquante ans plus tard, avec nos lunettes d’aujourd’hui, ces faits peuvent paraître inouïs, mais ils se sont bien déroulés sur le territoire français et non dans une lointaine et exotique république bananière. L’histoire ne s’arrête pas là : malgré la persévérance de treize juges d’instruction, dont le dernier vient tout juste d’hériter du dossier, on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu du corps de la victime de ce véritable complot, sans doute l’un des plus aboutis du XXe siècle.
Aucune autre énigme criminelle n’est plus obsédante. Non que l’on ignore les noms et les fonctions des coupables : on les connaît tous. Le vrai mystère est celui des conditions de la mort et de la volatilisation de Mehdi Ben Barka. Des dizaines d’hypothèses ont circulé.
De la Manche, dans laquelle aurait été jeté le corps, au carré des suppliciés de Meknès, où il aurait été enterré, en passant par la mosquée de Courcouronnes, construite à l’endroit où on l’aurait mis sous terre dans l’urgence. Sans que l’on puisse confirmer ou infirmer.
Aucune autre affaire ne dit mieux la raison d’État. Palpable. Visible. Un blocage permanent de l’institution judiciaire par les autorités françaises, avec des commissions rogatoires internationales qui se perdent systématiquement dans les méandres diplomatiques, sur fond de sacro-sainte amitié franco-marocaine. Et un usage intensif du secret défense, à faire perdre la boule aux juges d’instruction successifs, un jour informés d’une complète « déclassification » des archives des services secrets français, pour le lendemain apprendre qu’elle ne serait que partielle. Officiellement parce que ces documents n’auraient pas d’intérêt pour la manifestation de la vérité, le tout reposant sur un système aussi rodé que verrouillé.
Aucune autre affaire, enfin, ne dit mieux ce que fut la guerre de l’ombre au temps de la décolonisation, avec une CIA passée maître dans l’art d’éliminer les leaders du tiers-monde en lutte pour l’indépendance de leur pays. Une guerre dans laquelle la France a joué un rôle éminent, elle qui aura mobilisé tous les moyens, jusqu’à la torture et aux homicides, pour défendre ses intérêts dans les territoires qu’elle contrôlait.
Autant de raisons pour Marianne de rouvrir le dossier, de raconter qui était vraiment celui que l’on surnommait le « Che Guevara arabe », de replonger dans une époque qui a redessiné les frontières politiques du monde en général et du monde arabe en particulier, et de réclamer la fin de toutes les autocensures et autres petits arrangements sur le dos de la vérité qui déshonorent nos États. Basta !
Par Frédéric Ploquin
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