"Ça va être compliqué de survivre sur la durée" : animatrice, directrice de compagnie, réalisatrice, elles crient leur colère contre la fermeture des lieux culturels
Face à la prolongation de la fermeture des salles et des lieux culturels décidée par le gouvernement, le monde de la culture et du spectacle s'est mobilisé mardi 15 décembre partout en France. A Paris, nous sommes allés à la rencontre de trois manifestants.
Partout en France, le rendez-vous était donné à midi ce mardi 15 décembre pour manifester contre la décision du gouvernement de prolonger la fermeture des lieux culturels pour cause de Covid-19. En parallèle, syndicats et artistes ont décidé de déposer un "référé liberté", une procédure d'urgence devant la plus haute juridiction administrative du pays, le Conseil d'Etat. A Paris, les professionnels de la culture se sont retrouvés place de la Bastille, dans le 4e arrondissement, pour ce qui a été davantage un rassemblement statique qu'un cortège. Nous avons rencontré et avons longuement discuté avec trois d'entre eux.
Pascale, 47 ans, animatrice culturelle dans un centre social
A 47 ans, Pascale se considère comme une "passeuse". Son travail, depuis treize ans : animatrice culturelle dans un centre social. Elle organise des sorties gratuites au théâtre, au musée ou au cinéma pour des personnes défavorisées, enfants et adultes. Mais depuis le reconfinement et la fermeture des lieux culturels, son travail est mis à mal. "Les musées me demandent de choisir des dates à partir de février prochain mais c’est trop loin. Je fais comment ? C’est en allant sur place, en découvrant la beauté, qu’ils s'ouvrent à l’art, pas avec des photocopies que je peux leur faire", plaide-t-elle.
Toutes ses sorties ont été annulées, au plus grand regret des groupes pour qui ces visites ne sont pas courantes. "On devait aller au musée du Louvre le 9 décembre et dès le mois d'octobre les enfants me demandaient c’est quand qu’on y va ?", témoigne Pascale, qui s'adapte en organisant des ateliers de chant ou de théâtre.
"Des gens qui ont de l’argent peuvent s’évader en allant dans une maison de campagne par exemple. Les habitants d’une cité ne voient souvent rien d'autre et avoir des projets permet de donner de l’espoir. Moi j’avais des projets culturels pour eux. Pour qu’ils se sentent forts, qu’ils s’enrichissent", raconte Pascale, qui explique avoir elle-même eu accès à la culture étant enfant grâce à l’école. "L’essentiel, ce n’est pas que la bouffe ou s’acheter des fringues pour Noël. Ces spectacles et visites, c’était les cadeaux que je leur offrais."
Lauren Houda Hussein, 34 ans, directrice de la compagnie de théâtre Majâz
"C’est important de rappeler qu’un pays qui se veut le pays de la culture n’est pas en train de le démontrer en ce moment", déclare Lauren Houda Hussein. Comédienne, et metteuse en scène, la cocréatrice de la compagnie Majâz a vu s’annuler ses dates de spectacle au théâtre Paris-Villette, prévues en novembre. Le spectacle doit être reprogrammé, mais en pratique ce n’est pas si facile. "Il y a déjà des reports de spectacles du premier confinement, donc ça commence à être l’embouteillage", explique-t-elle. "Ça va commencer a être compliqué de survivre sur la durée. Sachant que les programmations théâtrales se font d’une année sur l’autre, ça peut donc décaler l’activité d’une compagnie sur plusieurs années", analyse Lauren Houda Hussein, qui face à l’incertitude demande des "réponses claires" de la part des autorités publiques.
"Je ressens de la colère, continue l’artiste franco-libanaise, on est gouvernés par des gens qui ne sont pas en lien avec le terrain. La culture est un secteur qui crée beaucoup d’emplois, des vocations et on fait généralement tout ça en étant mal payés, par engagement. On ne choisit pas ce métier pour les paillettes, c’est un combat en permanence. On nous dit d’aller consommer, mais s’élever par la culture ce n’est pas jugé important". Sa compagnie a pu reprendre les actions culturelles dans les collèges et lycées depuis la fin du premier confinement. Mais la situation financière est incertaine. "Je ne sais pas si je vais pouvoir renouveler mon intermittence en août 2021 vu que je ne peux pas travailler", explique Lauren Houda Hussein. "Il y aussi toute l’équipe de la compagnie, avec des gens qui ont des enfants et pour qui le manque à gagner devient catastrophique", souffle-t-elle. L’annulation du spectacle en novembre est une grosse perte car il aurait permis de vendre des dates de spectacle pour l’année prochaine.
Tiphanie, 25 ans, comédienne et réalisatrice
"Je rentre de deux ans à l’étranger avec plein d’énergie, plein d’envies, de projets et finalement rien n’est possible". Comédienne et réalisatrice, Tiphanie a vu tous ses nouveaux projets bloqués par la pandémie. Elle confie ressentir "de la tristesse, de la frustration", que l’on qualifie son métier de "non essentiel" comme "peuvent l’être les magasins". "On continue de créer chez nous, mais ce n’est pas suffisant", avance cette Parisienne diplômée du Centre des arts et de la scène.
Comme tous les intermittents du spectacle, Tiphanie bénéficie de l’année blanche : elle peut toucher des indemnités jusqu’en août 2021. Mais cela n'est pas suffisant. A 25 ans et après plusieurs années d’indépendance, cette artiste a été contrainte de retourner vivre chez ses parents. "J’ai des amis qui pensent à changer de profession, ce n’est pas normal. Moi je n’en ai pas envie mais j’y pense aussi", confie la comédienne.
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