Cible d'attaques répétées à Paris, le cirque Romanès "aimerait qu'on le laisse tranquille"
Depuis leur installation au square Parodi, dans le 16e arondissement de Paris, les Romanès ont subi de nombreuses dégradations. Pour Délia, "c'est devenu un cauchemar".
"Pourquoi ils ont autant de haine envers nous ? Ils ont peur de quoi ? D'hommes qui font de la musique, de femmes qui chantent, d'enfants qui dansent ?" s'interroge tout haut Délia Romanès. La vie est devenue compliquée pour le cirque Romanès et ses membres, depuis leur installation dans le square Alexandre-et-René-Parodi dans le 16e arrondissement de Paris en juin 2015. A la veille de la première de leur nouveau spectacle "Si tu m'aimes plus je me jetterai par la fenêtre de la caravane !", l'énergique Délia s'affaire dans la caravane où se retrouve le clan Romanès pour les repas. Sur la cuisinière mijote un poulet bouilli revenu avec des petits pois. "C'est un plat typiquement tsigane", explique-t-elle.
Mais en ce mardi 8 novembre, Délia semble fatiguée par les attaques à répétition dont ils font l'objet. "Ils ont cassé les fenêtres de nos caravanes, volé des costumes, des instruments, détruit des projecteurs. On a eu des installations électriques arrachées, des câbles coupés", raconte-t-elle, le regard noir, brillant. C'est surtout durant l'été et à l'automne 2015 qu'ont eu lieu les principales dégradations, précise son mari, Alexandre.
Après cet épisode, les Romanès ont même lancé un appel aux dons pour payer les réparations, racheter une partie de ce qui avait été volé. "Des gens nous ont même envoyé du tissu pour faire des robes, une de mes filles a fait des jupes avec la machine à coudre alors qu'elle n'avait jamais fait ça avant", expose fièrement Délia tout en montrant sur son téléphone des photos de ses filles.
"Il y a toujours eu des cirques square Parodi"
Malgré cet élan de générosité, la famille Romanès se désole du climat ambiant. "Il y a toujours des petites attaques, la nuit on a même mis des plaques en bois devant les portes des caravanes, on fait jamais ça d'habitude", soupire Délia. "Du jamais-vu", confirme Alexandre, en jetant un œil dehors.
Pourtant, le cirque a plus de 20 ans d'existence. En tournée les étés en France et à l'étranger, le cirque Romanès et sa trentaine de membres prend ses quartiers d'hiver dans la capitale. L'aventure a débuté place de Clichy, dans le 17e arrondissement de Paris. Sous le chapiteau, pas d'animaux sauvages, mais des numéros de danseurs, d'acrobates et de musiciens.
Ces dernières années, le cirque s'installait porte de Champerret, toujours dans le 17e arrondissement. Leur chapiteau rouge peut accueillir jusqu'à 500 spectateurs En 2015, la mairie de Paris leur a proposé de s'implanter dans le très chic 16e arrondissement. "Il y a toujours eu des cirques square Parodi et ça ne posait jamais problème. Là, le souci, c'est le mot 'tsigane' accolé à celui de cirque", regrette Alexandre.
"Ils disent qu'on dégrade l'image du quartier"
Le square Parodi jouxte le bois de Boulogne et le rond-point de la porte Maillot où un flot de voitures déferle chaque jour. Aux abords du square, des immeubles hausmanniens, des brasseries. Pour se fondre dans le paysage du square, les caravanes du cirque ont été repeintes en vert. Entourées de palissades, elles sont installées dans une partie du square. Le site est ouvert à tous. Mais les promeneurs aux abords du square sont rares voire inexistants en semaine.
Mais qui en veut au cirque Romanès ? D'abord, il y a "ces bandes" responsables des dégradations, explique le couple. Des groupes pas vraiment identifiés. La police a fait des rondes pour les protéger, reconnaît Alexandre. Mais pas d'enquête. Et pour cause, ils n'ont jamais voulu porter plainte.
Quand on est gitan, on ne porte pas plainte, c'est tout.
Et puis, il y a les associations de riverains qui voient d'un mauvais œil leur installation. Les deux parties ne se sont jamais parlées directement mais communiquent par voie de justice et lettres interposées. "J'ai 60 kg de papier dans ma caravane, soupire Délia. Ils disent qu'on dégrade l'image du 16e."
"On a aucun contact dans le quartier"
Des actions de justice sont en cours pour faire expulser le cirque. Du côté de la Coordination pour la sauvegarde du bois de Boulogne, jointe par franceinfo, on assure que cela n'a rien à voir avec le cirque en lui-même, qu'il s'agit de "garder le bois de Boulogne dans son intégrité, que ce soit à l'égard du cirque Romanès, de la Fédération française de tennis, de la fondation Louis-Vuitton ou de l'hippodrome de Longchamp". En clair, l'association s'oppose à toute initiative qui dénaturerait les abords du bois de Boulogne.
De son côté, l'Association de valorisation du quartier Paris-Maillot-Dauphine rejette la responsabilité sur la mairie de Paris. "Elle est seule responsable de l'implantation du cirque sur un espace boisé. Les Romanès n'y sont très vraisemblablement pour rien, ils n'ont pas choisi cet endroit", explique l'association à franceinfo, qui condamne également les actes de vandalisme. Par ailleurs, contactée par franceinfo, la mairie du 16e estime que les "relations sont apaisées avec la famille Romanès" et que, de leur côte, il n'y aura pas de recours pour qu'ils partent.
Qu'importe, la famille Romanès n'a jamais autant ressenti ce rejet. "D'habitude, quand on s'installe dans un quartier, on rencontre du monde. Là, on n'a rencontré personne, on n'a aucun contact. Il y a un vrai repli des communautés", explique Alexandre Romanès. Pour Délia, ces attaques lui rappellent les moqueries et insultes dont elle faisait l'objet en Roumanie. "J'étais la seule tsigane dans l'école des arts où j'étais scolarisée. C'était dur, ça m'a marqué au fer", confie-t-elle.
Ici, j'aimerais qu'on nous laisse tranquilles, c'est vraiment difficile ce que l'on vit depuis un an, c'est devenu un cauchemar.
"On défend notre culture, notre histoire"
Pourtant, le cirque Romanès prône fièrement le vivre-ensemble. "Nous, on est là pour défendre notre culture, notre histoire tsigane et gitane. Ce lieu est ouvert à toutes les cultures. On fait tout pour que les gens n'aient pas peur de nous", s'enflamme Délia.
Alors, la remise de la légion d'honneur à Alexandre Romanès, mercredi 9 novembre, par la ministre de la Culture Audrey Azoulay sous le chapiteau en marge de leur spectacle et devant le public, est un évènement, même si Alexandre "n'a rien demandé", insiste-t-il. Mais c'est la première fois qu'un Tsigane reçoit une telle distinction. Il a été officiellement décoré le 14 juillet dernier, avec d'autres artistes, comme Marion Cotillard, Pierre Richard ou encore Niels Arestrup.
"C'est un beau geste, une reconnaissance pour notre culture, et un espoir", assure Délia. L'espoir de traverser cette mauvaise passe et de "redémarrer". Tous les week-ends au moins jusqu'en janvier, des représentations auront lieu, avec pour point d'orgue le "réveillon tsigane" du 31 décembre. "En plus, je dis aux gens que si l'on touche des cheveux de gitane à minuit, ça porte bonheur toute l'année, alors il faut venir et danser avec nous !" dit-elle en riant. Le spectacle avant tout.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.