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Après avoir dénoncé Harvey Weinstein, Asia Argento cristallise les critiques en Italie

L'actrice italienne est l'une des premières à avoir parlé des agissements du producteur américain Harvey Weinstein, qui l'aurait violée en la forçant à accepter un cunnilingus. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'actrice italienne Asia Argento lors du 61e festival du film de Taormina (Italie), le 13 juin 2015. (MANUEL ROMANO / NURPHOTO / AFP)

"Avec un homme de deux mètres de haut, [qui a] un ventre comme ça, un visage comme ça, une voix qui parle comme ça... C'était impossible, je ne pouvais pas refuser." L'enfant terrible du cinéma italien Asia Argento, aujourd'hui âgée de 42 ans, est une nouvelle fois revenue à la charge, mardi 17 octobre sur la Rai 3 (en italien), contre Harvey Weinstein, l'homme qu'elle accuse de viol. Comtesse du Barry dans le film Marie-Antoinette (sorti en 2006), poursuivie par des zombies dans Land of the Dead (sorti en 2005), la Romaine est devenue l'une des fers de lance de la lutte contre les violences faites aux femmes, depuis ses révélations dans le New Yorker (en anglais). Son témoignage, pourtant, a également suscité un flot de critiques.

"J'étais enfermée avec un maniaque sexuel"

Pendant plus d'une demi-heure, Asia Argento a conté dans l'émission "Carta bianca" sa propre histoire. Sa voix rauque a décrit "la violence" d'une soirée qui "l'a traumatisée". Face caméra, elle est restée sur la défensive, et pour cause. Certains l'accusent d'avoir joué la promotion canapé ? "Mais j'étais enfermée dans une pièce sombre avec un maniaque sexuel ! s'étrangle-t-elle. Je n'avais pas besoin d'aller au lit avec un homme pour faire progresser ma carrière." Sous le feu des médias depuis plus d'une semaine, Asia Argento doit presque se justifier et détaille les faits.

En 1997, l'actrice de 21 ans se rend à l'hôtel du Cap-Eden-Roc, à Antibes (Alpes-Maritimes) pour participer à une fête – c'est du moins ce qu'elle pense. Mais à son arrivée, surprise : il n'y a guère de convives. Malgré les dénégations de Fabrizio Lombardo, elle accuse cet employé de Miramax de l'avoir conduite jusqu'à la chambre d'Harvey Weinstein. Vêtu d'une robe de chambre, le producteur lui aurait demandé un massage, avant que l'actrice ne s'exécute, contre son gré. Peu après, le roi d'Hollywood réclame de lui faire un cunnilingus avec insistance. "Pétrifiée", Asia Argento finit par céder. Elle ira jusqu'à simuler l'entrain, pour abréger. Son regret, aujourd'hui : "Ne pas avoir eu le courage" de s'échapper.

Pendant les cinq années suivantes, Asia Argento aura d'autres relations sexuelles avec Harvey Weinstein. Consenties, peut-être, mais toujours sous l'influence psychologique du producteur. Asia Argento évoque désormais un "traumatisme horrible". Deux ans après les faits qui se sont déroulés dans l'hôtel antibois, elle glissera d'ailleurs une référence autobiographique dans son film Scarlet Diva (extrait ci-dessous). Dans une scène, Anna, le personnage qu'elle incarne, se retrouve face à face avec un producteur qui lui réclame un massage, puis tente d'abuser d'elle. Mais dans le film, l'héroïne a le courage de prendre la fuite.

Par la suite, plusieurs femmes contactent l'actrice, après avoir compris l'allusion au producteur hollywoodien. Ce dernier n'est pas dupe et en sourit lui-même. Selon les souvenirs d'Asia Argento, il aurait lâché un sourire. "Ah, ah, très drôle !" aurait-il dit, avant d'ajouter qu'il était "désolé pour tout ce qui avait pu arriver".

Un témoignage suivi de réprobations

Une parole libérée et bienvenue ? Au fil des jours, pourtant, Asia Argento a été critiquée dans son pays, y compris par des journalistes et des personnalités. La plupart lui reprochent d'avoir attendu vingt ans pour évoquer les faits. A ce petit jeu, l'un des plus virulents est l'éditorialiste italien Renato Farina, du quotidien de droite Libero. Ce dernier a pris la plume pour lui expliquer (en italien) "la différence entre un violeur et un homme vicieux". Harvey Weinstein, écrit-il, est un "Don Juan sans Mozart". Un "porc", certes, mais qui n'a pas recouru à la violence. "Céder aux avances du boss, c'est de la prostitution", pas du viol, est-il même inscrit en une du journal.

Le compagnon d'Asia Argento, Anthony Bourdain, n'a pas manqué de répondre à l'éditorialiste sur Twitter : "Si vous êtes à la recherche d'une bouse odieuse, sexiste, d'une tranche fumante d'accusations contre des victimes, ne cherchez pas plus loin que Renato Farina dans Libero."

Mais Renato Farina n'est pas le seul à critiquer l'actrice. L'animatrice Selvaggia Lucarelli ("les abus évoqués sont un peu trop prolongés dans le temps et planifiés pour être qualifiés de tels"), la militante LGBT Vladimir Luxuria ("elle aurait dû dire non") ou l'actrice Maria Grazia Cucinotta ("J'ai souvent dit non (...) et je ne suis pas morte") ont tour à tour dénoncé l'attitude de l'actrice italienne. "Le plus choquant, ce sont les accusations d'autres femmes", a réagi Asia Argento, dans La Stampa. Je suis sûre que, parmi elles, beaucoup ont vécu ou même vu des choses de ce genre. Et maintenant, elles ne font rien." A ces critiques, il faut encore ajouter une foule de messages plus ou moins virulents sur les réseaux sociaux.

Une "vision berlusconienne de la femme"

L'Italie fait-elle payer à l'actrice son image underground ? Entre rôles de vampire envoûtante (dans Les Morsures de l'aube) et de femmes fatales (dans Une vieille maîtresse) ou paumées, sa carrière est ponctuée de films en marge du cinéma traditionnel. A sa sortie en 2000, Scarlet Diva avait d'ailleurs été fraîchement accueilli en Italie, où le film avait été jugé trop cru. Amatrice de boxe, tatouée, Asia Argento incarne pour beaucoup l'image de la femme forte, ce qui a pu lui porter préjudice au cinéma, les réalisateurs l'enfermant dans un type de rôle. "Je suis vue comme la fille qui n’a pas de problème à être nue : alors ça veut dire des rôles de pute, de strip-teaseuse, expliquait-elle cet été à Libération. C’est ma vie, mon destin (...). On me prend pour une maniaque sexuelle."

Pour l'actrice, ces réactions traduisent surtout des stéréotypes ancrés dans les mentalités de son pays. "Il n'y a qu'en Italie que je suis considérée comme coupable de mon propre viol car je n'en ai pas parlé quand j'avais 21 ans et que j'étais terrorisée, résume-t-elle avec amertume. Je suis déçue." Pour dénoncer ce qu'elle considère comme un climat de misogynie, l'enfant de Rome évoque une "vision berlusconienne de la femme", en référence aux orgies sexuelles organisées par l'ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi. Sur ce point, "l'Italie est vraiment en retard par rapport au reste du monde".

En exil loin de l'Italie

L'actrice a tout de même reçu de nombreuses marques de soutien. "Asia a raison. Nous vivons dans un pays où on cherche le motif de l'agression chez la personne agressée, pas chez l'agresseur", estime notamment Michela Murgini, coauteure de l'ouvrage Je l'ai tuée parce que je l'aimais (faux !), dans la version italienne de Vanity Fair

Asia Argento s'est tout de même envolée à Berlin pour fuir "un climat tendu et assez pesant", car elle avait "besoin de respirer". Ce congé pourrait bien se prolonger quelque temps. "J'irai en Italie en vacances, mais je n'y retournerai que lorsque le contexte sera meilleur pour mener les batailles avec toutes les autres femmes."

Voilà donc son prochain défi : faire évoluer les mentalités et la loi. "La violence que j'ai subie remonte à 1997, explique l'actrice dans La Stampa. En Italie, cela ne faisait qu'un an que le viol était devenu un crime commis contre une personne, et non plus contre la morale." Asia Argento a repris le mot-dièse français, #balancetonporc, et lancé le sien, en anglais, #Denounceallpigs. Et s'interroge désormais sur la durée de prescription des viols en France, fixée à vingt ans. "Je suis fière de faire partie de cette révolution féministe. Un homme qui met la main ne serait-ce que sur un genou, ce n'est plus possible." En attendant, la fille du maître de l'horreur Dario Argento, qui a débuté à l'âge de 9 ans dans le cinéma, n'a pas l'intention de se taire.

Elle continue donc de témoigner. "Un grand réalisateur d'Hollywood avec un complexe de Napoléon [une formule qu'elle emploie souvent pour nommer les hommes possessifs] m'a donné du GHB [dite "drogue du violeur"] et m'a violée alors que j'étais inconsciente, raconte l'actrice sur Twitter. Dans un autre message, elle écrit : "Un réalisateur/acteur italien a sorti son pénis devant moi quand j'avais 16 ans, dans sa caravane, alors que nous parlions du personnage". Selon elle, Harvey Weinstein n'est pas le seul prédateur du cinéma, loin de là.

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