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#balancetonporc : une "manifestation collective qui va marquer l'histoire des relations hommes-femmes"

Pour Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, le mot clé #balancetonporc sur le réseau social Twitter, permet que "la honte change de camp". Des milliers de femmes y racontent le harcèlement sexuel, les agressions et les viols qu'elles ont subis. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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Les victimes de harcèlement sexuel, agression et viol partagent leurs récits sur le réseau social Twitter, avec le mot clé #balancetonporc.  (MAXPPP)

Depuis trois jours, le hashtag #balancetonporc employé sur Twitter par les femmes pour raconter leurs témoignages de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle, connaît un succès retentissant : selon la plateforme d'analyse des réseaux sociaux Visibrain, 159 278 messages contenant le hashtag ont été publiés et près de 59 000 internautes se sont mobilisés. Sur ces 59 000 personnes, près de 16 000 ont raconté leur agression.

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, auteur de La honte : psychanalyse d'un lien social publié aux éditions Dunod, a analysé ce phénomène sur franceinfo comme "un moment de manifestation collective qui va marquer l'histoire des relations entre les hommes et les femmes". Il justifie un tel phénomène "parce que les intermédiaires, la justice, la police, les médecins du travail, les services de ressources humaines n'ont pas toujours bien joué leur rôle". Serge Tisseron appelle ces corps intermédiaires à prendre le relais, après cette mobilisation sur Internet.

franceinfo : Avez-vous été étonné de l'ampleur du phénomène ?

Serge Tisseron : Je suis étonné de ce mouvement de fond, de cette prise de parole collective. En même temps, je la comprends très bien parce que la coupe était pleine et qu'aujourd’hui, plus que jamais, il y a un fossé terrible entre ce qui est demandé aux femmes, de prendre leur place à tous les échelons de la société, la reconnaissance dans toutes les tâches où elles s'investissent (...) Et puis, d'un autre côté, le fait qu'elles soient souvent interpellées comme des soubrettes, comme des prostituées, et ce fossé est devenu trop profond. De ce côté-là, je ne suis pas étonné qu'il y ait cette explosion de parole qui vise à le dénoncer.

Il n'y a presque pas une femme dans notre entourage qui n'a pas un exemple à donner d'une remarque, d'un harcèlement sexuel, vécus dans son travail...

Ce qu'on peut dire, c'est que ce sont les femmes qui ont plutôt des postes élevés dans la société qui dénoncent les harcèlements qu'elles ont subis. C'est encore un phénomène relativement marginal, de personnes en situation plutôt privilégiées. Mais il ne faut pas oublier que dans toutes les grandes révolutions, dans tous les mouvements populaires, traditionnellement, ce sont les ouvriers qualifiés qui ont été les premiers à s'insurger : ceux qui souffraient d'un ostracisme comme l'ensemble de leur catégorie sociale, et en même temps, ceux qui avaient une culture, des mots pour dire les choses. Aujourd'hui, c'est un peu ce qu'il se passe. Le fait que beaucoup de ces femmes dénoncent des harcèlements qu'elles ont subis aient des postes reconnus dans la société (le milieu du journalisme, du cinéma, de la télévision, actrices), va inciter des femmes en situation sociale beaucoup moins privilégiée à prendre la parole aussi. 

C'est un peu comme une manifestation de rue : les réseaux sociaux ont pris la place de la rue. Pourquoi participe-t-on à une manifestation de rue ? Pour se donner du courage, sentir qu'on n'est pas seul, comprendre que ce qu'on croyait être un problème subjectif, ne l’est pas seulement

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste

à franceinfo

C'est un moment de manifestation collective qui va marquer l'histoire des relations entre les hommes et les femmes. Ce qui va en résulter après va devoir être canalisé.

En réponse à certains messages, certains disent "mais il fallait porter plainte au lieu de se confier sur ce réseau social"...

Ce qui est en train de se passer, c'est que la honte change de camp. On comprend que ce soit compliqué pour certains hommes de l'accepter. Des femmes qui jusque-là se trouvaient en situation de devoir avoir honte de leur jupe supposée trop courte, voire de leur jupe tout court, et puis qui se trouvaient à avoir honte de leur maquillage, de leur façon de se promener seule dans la rue à certains endroits, font que la honte change de camp. 

Avec le mot "porc", ce sont les hommes qui se trouvent pointés comme devant réfléchir au fait que certains de leurs propos peuvent être honteux et qu'ils devraient avoir honte de les tenir.

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste

à franceinfo

C'est bien parce que les intermédiaires, la justice, la police, les médecins du travail, les services de ressource humaine n'ont pas toujours bien joué leur rôle qu'on en arrive là. Aujourd'hui, beaucoup de corps intermédiaires sont saisis de l'urgence qu'il y a à prendre le harcèlement au quotidien au sérieux et c'est une bonne chose. Mais en même temps, il faudra voir la capacité qu'ils ont de prendre maintenant le relais parce que ce qui est train de se passer, c'est comme une manif de rue : ça dure trois heures, après ça se disperse. Ces protestations sur Internet, il faut espérer qu'elles vont très vite être relayées et qu'elles n'auront plus lieu d'être.

"Ces protestations sur Internet, il faut espérer qu'elles vont très vite être relayées et qu'elles n'auront plus lieu d'être." Serge Tisseron, psychiatre, à franceinfo.

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