Ce qu'il faut savoir du procès d'Harvey Weinstein, qui s'ouvre aujourd'hui à New York
Reporté à deux reprises, le procès de l'ancien producteur d'Hollywood doit durer environ six semaines. Il est accusé de viols et agressions sexuelles commis sur deux femmes en 2006 et 2013.
Le procès s'annonce historique. L'ancien producteur de cinéma Harvey Weinstein doit être jugé à partir du lundi 6 janvier devant la Cour suprême de New York pour des accusations de viols et d'agressions sexuelles, près de deux ans après son arrestation. L'ex-magnat tout-puissant d'Hollywood est poursuivi pour avoir violé une femme en 2013 et avoir commis plusieurs agressions sexuelles sur une autre femme en 2006.
Depuis le début de l'affaire, l'homme de 67 ans a également été accusé d'abus sexuels par plus de 80 femmes. Mais seuls ces deux plaintes ont abouti. Harvey Weinstein a plaidé non coupable et affirme que tous ses rapports étaient consentis. Ce procès est l'aboutissement de longs mois d'enquête, de rebondissements judiciaires et de changements de stratégie, tant du côté de la défense que de l'accusation. Franceinfo fait le point sur le déroulé du procès.
Harvey Weinstein est accusé de viols et d'agressions sexuelles
Selon un nouvel acte d'accusation daté d'août 2019, le producteur est poursuivi pour un acte sexuel criminel au premier degré, deux viols et deux "agressions sexuelles prédatrices" ("predatory sexual assault" en anglais). Cette qualification s’applique entre autres aux crimes sexuels du premier degré commis avec une circonstance aggravante, comme l'emploi de la menace. En cas de condamnation pour toutes ces charges, l'ancien producteur risque la prison à vie.
Chaque chef d'accusation correspond à un acte pour lequel Harvey Weinstein est inculpé (équivalent de mis en examen aux Etats-Unis). Plusieurs actes peuvent par ailleurs avoir été commis sur une même plaignante. Selon les détails fournis par le bureau du procureur de New York et les médias américains, Harvey Weinstein est accusé d'avoir fait un cunnilingus sans consentement à une femme en 2006 et d'avoir violé une autre femme en 2013, rapporte le New York Times*.
Dans la procédure pénale américaine, la poursuite de tout crime ("felony" en anglais) donne lieu à une procédure d'"indictment", une mise en accusation formelle de l'accusé durant laquelle la défense n'a aucun rôle. "Le procureur présente les éléments de preuve (à charge) dont il dispose devant des jurés tirés au sort qui vont ensuite décider d'inculper ou non", explique Anne Deysine, juriste spécialiste des Etats-Unis à franceinfo. Ce grand jury, composé de 23 citoyens, ne se prononce pas sur la culpabilité de l'accusé, mais décide si les éléments sont suffisants pour justifier la tenue d’un procès.
Le procès aura lieu à New York
L'entreprise fondée par Harvey Weinstein, la Weinstein Company, est basée à New York et la plupart des femmes qui ont porté plainte contre le producteur (y compris celles dont les accusations n'ont pas donné lieu à un procès) ont affirmé que les agressions et viols ont eu lieu dans les locaux de l'entreprise ou aux alentours, précise The Guardian. Le producteur est accusé d'avoir violé l'une des plaignantes dans un hôtel à New York en 2013 et d'avoir pratiqué un cunnilingus sans consentement à l'autre plaignante à Manhattan en 2006, relate CNN.
Lors de son arrestation au printemps 2018, le producteur s'était rendu dans le bureau de la police de New York situé près de son entreprise. En août 2019, les médias Page Six et Variety ont rapporté que les avocats d'Harvey Weinstein souhaitaient que le procès soit dépaysé dans un autre comté, à l'extérieur de New York, estimant que les conditions seraient plus "équitables" pour leur client et que la médiatisation de l'affaire pourrait influencer les jurés.
Le déluge d'informations locales, nationales, internationales, l'hystérie des réseaux sociaux ont unanimement diabolisé mon client. Il est déjà jugé coupable.
Un avocat d'Harvey Weinsteinà PageSix.com
Il doit durer environ six semaines
Selon un communiqué de la Cour suprême de New York, le procès doit durer environ six semaines, depuis la sélection des jurés jusqu'au verdict. Lors du premier report du procès prévu du 3 juin au 9 septembre, le juge James Burke avait précisé que le procès devrait durer un mois plus deux semaines pour la sélection du jury, relève USA Today*.Les douze jurés qui composent le jury durant le procès sont les seuls à se prononcer sur la culpabilité de l'accusé, d'où l'importance de leur sélection qui peut prendre des jours voire des semaines avec des débats contradictoires entre la défense et l'accusation.
Dans le système américain, le juge est beaucoup plus passif qu'en France. Il a un rôle d'arbitre, il tranche les points de désaccords entre les parties sur le respect de la procédure (les fameux "objections votre honneur !") mais "il ne dirige pas les débats, ne pose aucune question directe sur le fond, n'interroge jamais l'accusé ou les témoins", étaye Antoine Garapon, auteur de Juger en Amérique et en France (éd. Odile Jacob), interrogé par l'AFP.
L'ex-producteur plaide non coupable
"Les relations sexuelles étaient consenties". Le producteur a plaidé non coupable pour toutes les accusations portées à son encontre. En attendant la tenue de son procès, il a été libéré moyennant une caution d'un million de dollars (environ 900 000 euros), le port d'un bracelet électronique et l'interdiction de se déplacer hors des Etats de New York et du Connecticut. En décembre, l'accusation a demandé au juge d'augmenter de un à cinq millions de dollars la caution qui lui permet de rester en liberté surveillée, affirmant qu'il pouvait s'enfuir.
La procédure du plaider coupable est au cœur du système américain. Elle permet notamment de pallier l'engorgement des tribunaux. "Dans le système américain seul 3% des affaires va devant le juge. Le reste se résout par négociation entre le procureur et l’avocat, ce qu’on appelle le plaider coupable", explique la juriste Anne Deysine. Dans la plupart des cas, l'accusé accepte de plaider coupable sur la totalité ou une partie des charges en échange d'une peine moins lourde.
Dans le cas d'Harvey Weinstein, l'intérêt du plaider non coupable était de tenter un abandon de toutes les poursuites et d'éviter tout procès, comme cela a été le cas pour Dominique Strauss-Kahn lors de l'affaire du Sofitel en 2011. Or, en décembre 2018, un juge a refusé l'abandon des poursuites contre Harvey Weinstein.
Seules les plaintes de deux femmes ont abouti
L'identité de l'accusatrice de viol a été gardée anonyme jusqu'ici. L'ancien avocat d'Harvey Weinstein, Ben Brafman, a affirmé, sans la nommer, qu'elle avait eu une liaison consentie durant 10 ans avec le producteur, mais cette information n'a pas été confirmée. Le bureau du procureur de New York a précisé que l'accusation pour viol concernait des faits remontant au 18 mars 2013, dans un hôtel du quartier de Midtown à New York.
La seconde plaignante est Mimi Haleyi, ex-assistante de production d'Harvey Weinstein. Elle affirme avoir été agressée en 2006 par le producteur alors qu'elle cherchait du travail comme assistante de production, raconte le HuffPost. Lors d'une conférence de presse le 24 octobre 2017, elle raconte avoir accepté de rencontrer le producteur dans son appartement à Soho pour "entretenir de bonnes relations". C'est à ce moment que le producteur l'aurait agressée en lui imposant un cunnilingus sans son consentement, détaille le magazine Variety.
Au départ, Harvey Weinstein était poursuivi par trois femmes, mais son ancien avocat Benjamin Brafman a obtenu en octobre 2018 l'abandon des poursuites correspondant à la plainte de Lucia Evans, une actrice qui affirmait que Harvey Weinstein l'avait forcée à lui faire une fellation en 2004.
Un binôme d'avocats défend Harvey Weinstein
Depuis son arrestation au printemps 2018, Harvey Weinstein a changé d'avocats à trois reprises. Après avoir fait appel à Benjamin Brafman – ancien conseil de Dominique Strauss-Kahn lors de l'affaire du Sofitel – puis à Jose Baez et Ronald Sullivan, le producteur sera cette fois-ci défendu principalement par Damon Cheronis et Donna Rotunno, un duo d'avocats de Chicago. On les appelle les "lead avocats" ou avocats principaux.
Selon plusieurs médias américains, le cocréateur des studios Miramax et de The Weinstein Company aurait plusieurs fois revu sa stratégie de défense et souhaitait placer une femme à la tête de son équipe, pour espérer faire meilleure impression sur le jury. "Je pense qu'avoir une femme dans cette situation pourrait faire une différence", a d'ailleurs déclaré Donna Rotunno à ce sujet.
Connue pour avoir défendu plusieurs hommes accusés d'agressions sexuelles, l'avocate a tenu un discours très offensif pour défendre son nouveau client. "Dans ce dossier, l'agitation a pris le dessus et on a oublié le sens commun, a-t-elle martelé. Nous espérons qu'avec le procès, la présentation de preuves [disculpant son client] et l'audition de témoins, nous allons entendre l'autre version de l'histoire."
Plusieurs femmes devraient témoigner
Un juge new-yorkais a décidé en novembre 2019 que l'actrice de la série télévisée américaine Les Soprano, Annabella Sciorra, pourrait bien témoigner au procès d'Harvey Weinstein. Elle va pouvoir s'exprimer comme simple témoin de l'accusation. Elle accuse le producteur d'agression sexuelle, des faits survenus en 1993, et qui sont donc aujourd'hui prescrits. Le procureur a réussi à autoriser son témoignage afin de renforcer la preuve du chef d'agression sexuelle prédatrice. Ce chef peut être prouvé si au moins deux femmes ont été agressées sexuellement par le même accusé, note USA Today.
En 2018, le procureur avait déjà demandé au juge chargé de l'affaire, James Burke, d'autoriser les témoignages d'autres femmes qui accusent Harvey Weinstein d'agressions même si les faits sont prescrits, rappelle le New York Times. L'intérêt est de prouver que les agressions sexuelles désignées n'étaient pas isolées mais systématiques et essayer de démontrer l'existence d'un modus operandi.
Une audience sur cette question-clé s'était tenue à huis clos en avril 2018. On ignore combien de femmes au total pourraient être appelées à témoigner. Mais selon un document du bureau de Manhattan rendu public le 26 août, les noms de trois femmes sont mentionnés pour des actes commis respectivement au printemps 2004 et en mai-juillet 2005 à New York et dans un hôtel à Beverly Hills en février 2013.
Le procureur a une histoire avec Weinstein
Les Américains l'appellent "DA" ou "district attorney". Le procureur chargé de prouver la culpabilité d'Harvey Weinstein est bien connu du public puisqu'il s'agit de Cyrus Vance Jr, le même homme qui en 2011, lors d'un rare revirement judiciaire, a finalement abandonné toutes les charges à l'encontre de DSK dans l'affaire du Sofitel.
Cette fois-ci, il est critiqué pour un dossier concernant Harvey Weinstein en personne. Le 27 mars 2015, Ambra Battilana, une mannequin italo-philippine de 22 ans, affirme que l'ancien patron de Miramax aurait pratiqué des attouchements sur elle sans son consentement. La police new-yorkaise enregistre une conversation entre elle et Harvey Weinstein, dans lequel le producteur reconnaît lui avoir touché les seins et tente de l'attirer dans sa chambre malgré ses refus. Malgré cet élément, Cyrus Vance Jr estime que la preuve est insuffisante et refuse de poursuivre Harvey Weinstein.
Certains estiment que le procureur a refusé de poursuivre le producteur en raison de contributions financières qu'il a reçues d'un des avocats de Harvey Weinstein pour sa campagne électorale. Aux Etats-Unis, les procureurs sont élus. Cyrus Vance Jr dément toutes ces accusations et assure qu'aucune contribution financière n'a eu d'impact "sur son raisonnement".
* Tous les liens sont en anglais.
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