Procès d'Harvey Weinstein : "Désormais, ce sont les accusés qui ont peur", salue Gloria Allred, avocate de l'une des plaignantes
Alors que le procès pour viols et agressions sexuelles se poursuit, à la Cour suprême de New York, franceinfo a rencontré l'avocate Gloria Allred, à Manhattan. Elle compte parmi ses clientes plusieurs des victimes déclarées d'Harvey Weinstein.
Son arrivée à la Cour suprême de New York est scrutée, chaque matin, par les journalistes du monde entier. L'ancien producteur Harvey Weinstein est jugé pour viols et agressions sexuelles à Manhattan depuis le 6 janvier. Dans ce procès qui doit durer au moins six semaines, il risque la prison à vie. Un tournant judiciaire pour l'accusé et pour les nombreuses victimes déclarées, plus de deux ans après les premiers témoignages dans la presse américaine.
Un tournant aussi pour #MeToo, cette vague inédite de prise de parole, individuelle et collective, contre les violences faites aux femmes, au-delà du milieu du cinéma. Ce procès marque-t-il une rupture, pour les victimes de harcèlement et violences sexuelles ? Que montre-t-il encore des failles du système judiciaire américain ? Pour répondre à ces questions, franceinfo a interrogé Gloria Allred, avocate réputée depuis plus de 40 ans pour sa défense des victimes de violences sexuelles. A 78 ans, elle représente plusieurs femmes dans ce procès, dont la plaignante Miriam Haleyi.
Franceinfo : Comment avez-vous préparé vos clientes pour ce procès, notamment pour le contre-interrogatoire mené par les avocats d'Harvey Weinstein ?
Gloria Allred : Témoigner va leur demander énormément de courage, cela ne fait aucun doute. Harvey Weinstein a versé beaucoup d'argent pour s'entourer d'avocats expérimentés et puissants, qui vont tout faire pour attaquer et discréditer les victimes. Ces avocats vont peut-être utiliser plusieurs mythes qui entourent le viol. Par exemple, ils peuvent demander : "Pourquoi y êtes-vous allée ?" [si les faits décrits se déroulent dans une chambre d'hôtel]. Comme si les femmes devaient toujours s'attendre à être violées lorsqu'elles ont un rendez-vous dans ces établissements, ce qui est très commun dans le milieu du divertissement.
Ils peuvent aussi demander pourquoi ces femmes ont continué de communiquer avec lui, par e-mail ou par SMS. Une experte des violences sexuelles, Barbara Ziv, a témoigné à ce propos, le 24 janvier. Elle a démontré pourquoi des contacts pouvaient encore exister entre une victime et l'auteur de son viol, après les faits. Ce n'est pas parce qu'elle continue de communiquer avec lui qu'elle n'a pas été violée. Nous allons voir ce qui se passe, mais dans tous les cas, ce procès sera très important. Tant de personnes le suivent à travers le monde.
Que représente ce procès, plus de deux ans après les débuts du mouvement #MeToo ?
Sur internet et dans notre société, on a commencé à réclamer des comptes. Nous voyons désormais ce moment arriver devant la justice. Ce procès est l'occasion de prendre ses responsabilités. Il s'agit aussi de voir s'il y aura des conséquences judiciaires aux actes reprochés à Harvey Weinstein. Il y en a déjà : Harvey Weinstein est inculpé pour cinq crimes très sérieux commis sur plusieurs femmes. Il a dû s'entourer de pas moins de cinq avocats pour se défendre face à ces chefs d'accusation. Il faut aussi noter que le producteur a été inculpé à Los Angeles : qu'il soit jugé coupable ou acquitté à New York, il sera quoi qu'il advienne poursuivi en Californie.
Maintenant, la justice a des exigences très différentes de ce que l'on peut voir sur les réseaux sociaux, ou quand des personnes témoignent auprès de journalistes. Dans ce procès, l'accusation doit étayer ses arguments "au-delà de tout doute raisonnable" [c'est le principe de la présomption d'innocence : le moindre doute écarte toute condamnation]. Les preuves doivent être les plus solides possibles, car la liberté d'Harvey Weinstein est en question.
Dans quelle mesure ce procès est-il unique, différent ?
Il est différent car c'est la première fois que tant d'actrices connues accusent un célèbre producteur – peut-être le plus célèbre producteur d'Hollywood. Ces témoignages ont suscité énormément d'intérêt pour ce procès. Toutefois, les femmes accusant Harvey Weinstein ne sont pas toutes célèbres. Les faits qui lui sont reprochés ne se sont pas limités aux actrices, d'ailleurs les deux plaignantes dans ce procès ne le sont pas.
Il s'agit bien sûr du premier procès contre Harvey Weinstein, mais nous voyons que bien d'autres affaires pénales sont en cours contre des hommes célèbres, riches et puissants. Je représente par exemple des femmes qui ont accusé Bill Cosby et R. Kelly et de violences sexuelles. Bill Cosby a été condamné pour avoir drogué et agressé sexuellement Andrea Constand. Il est désormais considéré comme un violent prédateur sexuel et dort en prison. Quant à R. Kelly, il fait l'objet de quatre poursuites judiciaires. Je n'avais jamais vu cela pour une seule personne, une seule célébrité.
Il s'agit réellement d'une nouvelle ère. Je salue toutes ces femmes, ces victimes qui se sentent désormais plus puissantes. Elles refusent de vivre dans la peur et demandent des comptes. Maintenant, le système pénal inculpe ces hommes. Il fait son possible pour les tenir responsables de leurs actes.
Gloria Allredà franceinfo
En tant que représentante de certaines victimes, j'ai passé plus de temps avec la police l'an dernier qu'en 44 années de métier. Le système pénal dit enfin : "Nous allons croire les femmes." Pas toutes, mais celles qui ont suffisamment de preuves, comme des e-mails, des messages… Elles sont bien plus prises au sérieux. Le système n'est pas parfait, il est encore très difficile de confronter des hommes puissants. Il y a toujours de la peur, mais de nombreuses mères me disent désormais qu'elles ont conseillé à leurs filles de m'appeler. Elles me disent : "Je n'ai rien fait quand j'ai été violée, et maintenant je veux qu'elle fasse quelque chose."
Au total, près de cent femmes ont accusé Harvey Weinstein de harcèlement et de violences sexuelles. Pourtant, ce procès compte uniquement deux plaignantes. Qu'est-ce que cela nous dit du système judiciaire américain ?
Il y a des prérequis incontournables pour porter ces témoignages en justice. Le procès actuel a lieu à New York, parce que les faits rapportés se sont déroulés à New York. Pour des faits commis ailleurs, des femmes peuvent témoigner, mais il ne peut y avoir d'inculpation ici. D'autres limites légales existent, comme les délais de prescription. Certains des faits dénoncés ont eu lieu il y a trop longtemps pour être poursuivis en justice aujourd'hui. Bien sûr, il n'y pas de délai de prescription sur la liberté d'expression. Ces femmes peuvent toujours témoigner, même si elles risquent d'être poursuivies par ceux qu'elles accusent.
Je pense qu'il faut changer la loi sur la prescription. A mon sens, aucun délai de prescription ne devrait exister pour les accusations de viol. J'ai travaillé à l'évolution de cette loi en Californie, dans le Colorado et le Nevada. Dans ces deux Etats, ces délais de prescription ont été prolongés. La Californie les a supprimés pour les affaires de viol. Nous avons toujours beaucoup de travail, mais nous progressons. Je le vois bien : de nombreuses victimes veulent agir pour changer ces lois, pour protéger d'autres femmes et leur permettre d'accéder à la justice dans le futur.
Les femmes abandonnent leurs peurs, ces peurs qui permettaient à tant de prédateurs de continuer leurs actes. Avant, ces femmes craignaient de lancer la moindre action en justice. Désormais, la peur change de camp.
Gloria Allredà franceinfo
Ce sont les accusés qui ont peur, qui se réveillent chaque matin en se demandant si leur vie va basculer à cause de ce qu'ils ont fait.
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