Qui est Harvey Weinstein, l'influent "Dieu" d'Hollywood accusé de viols et d'agressions sexuelles?
Les enquêtes du "New York Times" et du "New Yorker", suivies de nouvelles accusations de harcèlement sexuel, ont fait chuter en quelques jours l'un des plus puissants producteurs de cinéma au monde. Franceinfo s'est penché sur son parcours et sa personnalité.
Le 15 janvier 2012, à Los Angeles (Etats-Unis), Meryl Streep se tient sur la scène prestigieuse de la cérémonie des Golden Globes. A 62 ans, la comédienne vient de recevoir son huitième trophée, pour le rôle de Margaret Thatcher dans La Dame de Fer. Émue, l'actrice américaine débute son discours. "J'aimerais remercier Dieu – Harvey Weinstein", plaisante-t-elle. Celui qu'elle surnomme avec affection "le 'punisseur'" a distribué le film pour lequel elle vient d'être récompensée. Il est l'un des plus grands producteurs d'Hollywood.
Cinq ans plus tard, Meryl Streep assure qu'elle ne savait rien. Dans un communiqué adressé au Huffington Post*, la comédienne évoque un comportement "inexcusable", "scandaleux", "mais un abus de pouvoir familier". Celui qu'elle a nommé "Dieu" vient de tomber de son piédestal. Le producteur légendaire, cofondateur de Miramax, est accusé de viols et d'agressions sexuelles par de nombreuses actrices, dont Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow, Emma de Caunes et Léa Seydoux. Trois comédiennes ont affirmé au New Yorker* qu'Harvey Weinstein les avait violées. Une enquête du New York Times*, parue jeudi 5 octobre, a dévoilé au public qu'il avait payé au moins huit femmes pour leur silence. Toutes l'accusaient de harcèlement sexuel.
En quelques jours, les révélations ont fait tomber ce titan d'Hollywood, aux manettes du cinéma indépendant américain depuis les années 1990. Harvey Weinstein, 65 ans, a été licencié de sa propre entreprise, The Weinstein Company. Sa seconde femme, Georgina Chapman, vient de le quitter. De son enfance dans le quartier de Flushing, à New York (Etats-Unis), aux 303 nominations de ses films aux Oscars, franceinfo revient sur le parcours – et l'influence – de ce producteur américain, avant sa chute.
Du cinéma de quartier à la Palme d'Or
La carrière d'Harvey Weinstein pourrait, selon le Guardian*, se résumer en deux termes : "prolifique" et "polarisante". "Sa véritable passion pour le cinéma, liée à une approche franche pour gagner de l'argent, lui a valu amour, peur et haine", écrit le quotidien britannique en 2012. Cette même année, alors qu'il reçoit la Légion d'honneur pour sa promotion du cinéma français aux Etats-Unis, Harvey Weinstein déclare qu'il est toujours "le jeune garçon qui faisait trois kilomètres pour aller au cinéma Mayfair de Flushing, et voir des films de Lelouch, Godard, Renoir ou Truffaut". "Ils m'ont inspiré et m'ont mené là où je suis aujourd'hui", explique le producteur, selon le Guardian*.
Nous sommes au début des années 1970. Harvey Weinstein, né en 1952, fait ses premiers pas en tant que producteur artistique de concerts de rock avec le label Harvey & Corky Productions, en parallèle d'études à l'université de Buffalo (Etat de New York, Etats-Unis). En 1979, il se lance dans le cinéma et fonde avec son frère Bob une première société de production de films, dont le nom s'inspire des prénoms de leurs parents, Max et Miriam. C'est la naissance de Miramax.
Les débuts sont longs et difficiles pour ces fils de diamantaire. Les frères Weinstein commencent leur activité dans un petit deux-pièces de Manhattan, raconte le Guardian*. Leur mère les aide en tant que réceptionniste et apporte des pâtisseries à l'équipe, poursuit le New York Times*. Il faudra près de dix ans à la fratrie pour rencontrer un franc succès.
En 1989, le film Sexe, Mensonges et Vidéo de Steven Soderbergh, que les Weinstein distribuent, obtient la Palme d'or au Festival de Cannes. Une consécration. Miramax se transforme alors en "valeur refuge du cinéma indépendant" américain, note le magazine Première. En 1993, la société de production est rachetée par Disney pour plus de 60 millions de dollars. Pulp Fiction, Le Patient anglais, Shakespeare in Love : Harvey Weinstein multiplie les succès. Entre 1992 et 2003, au moins un film produit par Miramax est nominé aux Oscars chaque année, rappelle le Washington Post*.
"Génie" pour certains, "salaud" pour d'autres
Les journalistes qui ont observé de près Harvey Weinstein au cours de sa carrière parlent d'un personnage à deux facettes. "Il a réussi à attirer des artistes de talent qui ont admiré son travail, tout comme ceux qui couvrent l'industrie du cinéma, confirme à franceinfo Eriq Gardner, rédacteur en chef au Hollywood Reporter. Mais son entêtement et son attitude désagréable ont longtemps fait l'objet de discussions dans le milieu."
Eriq Gardner reconnaît qu'Harvey Weinstein "a été capable de faire des films que probablement personne d'autre n'aurait pu faire" à Hollywood. Dans ses différents portraits du producteur, le Guardian note la capacité qu'a eue Harvey Weinstein de repérer et transformer de petits films en véritables réussites commerciales. Pour le quotidien britannique, l'homme a permis au cinéma indépendant d'avoir la place qu'il a aujourd'hui dans l'industrie du film américain.
Cela ne fait aucun doute que Weinstein a été l'une des figures les plus influentes de l'industrie du divertissement de ces cinquante dernières années. Et cette influence est en partie due à sa volonté d'être investi, personnellement et économiquement, dans un cinéma indépendant de prestige.
Eriq Gardner, rédacteur en chef au "Hollywood Reporter"à franceinfo
Et puis, il y a l'envers du décor. "Quinze personnes vous diront que je suis un génie, quinze autres vous diront que je suis un salaud", lançait en 2001 Harvey Weinstein à un journaliste du New York Magazine*. Le reporter du magazine, David Carr, raconte comment certains des plus proches amis d'Harvey Weinstein le qualifient de "tyran". Il détaille aussi des exemples de la colère du producteur : déchirer l'affiche d'un film en deux, tout en hurlant à ceux qui l'ont faite qu'ils sont des "abrutis" ; ou lancer à l'équipe du Patient anglais, après cinq jours de travail sans pause et à l'issue d'une fête, "Vous ne faites donc rien ?". Stuart Burkin, qui a commencé à travailler pour Miramax en 1991, dira même à Vanity Fair* que la société "fonctionnait sur la peur".
"C'est une personnalité extrêmement brutale et grossière, confirme le réalisateur Christophe Barratier, contacté par franceinfo. Pour distribuer Les Choristes, je me souviens qu'il m'a appelé dix ou quinze fois, de façon menaçante". Les gros bras, toujours. "Quand Dominique Desseigne se plaignait de ne pas avoir assez d'acteurs au festival de Deauville, par exemple, Harvey Weinstein lui conseillait de faire du chantage." Le réalisateur français n'a pas connaissance d'abus sur des actrices. "On savait qu'il avait ces manières, brutales, parfois dans la séduction, même si je ne pensais pas qu'il allait jusqu'à la contrainte."
Pouvoir "physique", "économique" et médiatique
Le pouvoir d'Harvey Weinstein ne s'est pas arrêté aux portes du cinéma américain. Le producteur a eu une influence considérable dans le milieu médiatique, comme en témoigne la journaliste Rebecca Traister dans The Cut*. "Cela fait plus de dix-sept ans que l'on me parle des histoires de harcèlement sexuel d'Harvey Weinstein", révèle-t-elle aujourd'hui. Rebecca Traister évoque des conversations remontant à 1999, au sein du magazine où elle travaillait et que le producteur finançait. "Des amis qui travaillaient avec lui parlaient de chambres d'hôtel, de nudité, de suggestion et de contrainte", raconte la journaliste. Du fait de l'influence et du pouvoir du producteur, rien n'est alors révélé.
A ce moment-là, Harvey pouvait inventer ou supprimer ce qu'il voulait. Il y avait tellement de journalistes qu'il payait. Certains étaient consultants pour des projets de films, d'autres scénaristes ou rédacteurs pour son magazine.
Rebecca Traister, journalisteThe Cut
Dans The Cut, la journaliste revient aussi sur sa propre rencontre avec Harvey Weinstein, lors d'une fête en 2000. Le producteur, visiblement énervé par l'une de ses questions, aurait traité Rebecca Traister de "pute", ajoutant qu'il était "le putain de shérif de cette putain de ville sans loi de merde". Il aurait ensuite violemment poussé le collègue et compagnon de Rebecca Traister. "Malgré les dizaines d'appareils photos" présents au cours de la soirée, la journaliste n'a "jamais vu une photo" de cette altercation. "C'était cela, le pouvoir d'Harvey Weinstein en 2000." Un pouvoir non seulement médiatique, mais aussi "physique", "professionnel" et "économique". La journaliste rapporte que le producteur aurait même payé ou recruté plusieurs personnes dans un seul et même but – s'assurer de leur silence.
Au cours des années qui suivent, l'influence du producteur semble sur le déclin. En 2005, après de vives tensions avec Disney, Harvey Weinstein est contraint de quitter la société qu'il a cofondée, Miramax. Un nouveau coup dur, un an après sa séparation avec sa première femme, Eve Chilton, avec qui il a eu trois enfants. Il lance alors The Weinstein Company, autre société de production de films, toujours avec son frère. Mais avec la crise, les Weinstein cumulent les difficultés financières et les dettes, rapporte le Guardian. Le producteur, interrogé par Vanity Fair en 2011, a reconnu qu'il ne "prêtait peut-être plus attention" à ce qu'il faisait à l'époque. "Je n'étais plus dedans", confiera-t-il.
Les succès reviennent au tournant des années 2010. Harvey Weinstein produit notamment The Reader, Inglorious Basterds et Le discours d'un roi. Trois films qui cumulent six Oscars. Il soutient ensuite la distribution aux Etats-Unis de The Artist, film français de Michel Hazanavicius. Cinq Oscars. En 2012, le producteur voit son nom apparaître sur la liste des 100 personnes les plus influentes au monde, publiée par le magazine Time*. Harvey Weinstein "est plus pertinent que jamais", écrit alors l'acteur Johnny Depp, notant la puissance de l'homme.
Il peut être votre plus grand cauchemar comme votre ami le plus proche.
Johnny Deppau magazine "Time"
Le voisin des Clinton
Cette puissance du magnat d'Hollywood, jusqu'ici sans faille, a-t-elle d'autres ressorts ? "La manière dont il a développé un réseau de personnes d'influence autour de lui" a aussi joué son rôle, note Eriq Gardner du Hollywood Reporter. Harvey Weinstein a maintenu à ses côtés des acteurs, des réalisateurs, mais aussi "un puissant groupe de personnalités politiques progressistes", relève le rédacteur en chef.
Harvey Weinstein n'est pas seulement producteur. Il est un soutien de longue date du Parti démocrate, et un donateur des campagnes de Barack Obama et Hillary Clinton. Selon Politico*, il aurait versé 300 000 dollars au Parti démocrate. Il a également financé directement les campagnes d'Hillary Clinton (26 000 dollars versés) et Barack Obama (45 000 dollars), affirme Business Insider*. Le magnat d'Hollywood a même organisé plusieurs galas de bienfaisance pour les anciens candidats, depuis son appartement new-yorkais. Et ces liens ne sont pas uniquement financiers. Le voisin estival des Clinton à Long Island n'est autre qu'Harvey Weinstein, selon le New York Times. Malia Obama, l'aînée de l'ancien couple présidentiel, était il y a moins d'un an stagiaire de The Weinstein Company, note Newsweek*.
Les démocrates sont aujourd'hui dans l'embarras. Les accusations de viols et d'agressions sexuelles qui accablent le producteur vont à l'encontre même de l'image qu'il donnait il y a encore quelques mois. En janvier, Harvey Weinstein participait à une "Women's March" contre Donald Trump. Peu de temps auparavant, il contribuait à la mise en place d'une chaire à l'université Rutgers (New Jersey, Etats-Unis) en hommage à la féministe américaine Gloria Steinem. Désormais, des organisations américaines de défense des droits des femmes vont recevoir de nouvelles donations. Plusieurs élus démocrates se sont engagés à le faire. Non pas dans la lignée d'Harvey Weinstein, mais pour mieux s'en désolidariser.
*Tous les liens des médias indiqués renvoient sur des articles en anglais.
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