"Angry Birds", "World of Warcraft", "Tetris"... Mais pourquoi adapter un jeu au cinéma ?
Depuis le début des années 1990, les jeux vidéo et même des gammes de jouets font le bonheur des studios hollywoodiens, qui créent des franchises étonnantes dont le scénario ne coule pas de source.
Angry Birds sort en salle, mercredi 11 mai. L'histoire de ce film ? Elle gravite autour d'un trio amoureux, en noir et blanc, pendant le printemps de Prague (en langue tchèque, donc) ou comment ces volatiles sont consumés à la fois par des sentiments intenses, parfois contradictoires, et les enjeux politiques d'un XXe siècle dévorés par les idéologies.
Non, bien sûr que non ! Voyons !
Dans ce long-métrage d'animation riche en couleurs et en gags, il est question d'oiseaux insulaires qui, ne sachant pas voler, se catapultent sur l'île voisine, peuplée de cochons verts. En détruisant tout sur leur passage, ils doivent tenter de récupérer leurs œufs, lesquels ont été dérobés par les cochons sus-mentionnés. Surprise : là où le jeu sur mobile dont est tiré Angry Birds ne s'embarrasse guère d'un scénario ou de personnages élaborés, le film raconte bel et bien une histoire.
"Raconter une histoire" ne constitue pas un exploit en soi à Hollywood. Mais dans ce cas précis, cela a suffi à étonner la critique, forcément dubitative face à l'adaptation sur grand écran d'un jeu vidéo créé en 2009 pour nous aider à tuer le temps dans les transports en commun. "C'est mieux que ce à quoi nous nous attendions", écrivent en substance les prestigieux magazines The Hollywood Reporter et Variety.
Battleship (2012), adaptation à l'écran du célèbre jeu "Touché-coulé", La Grande aventure Lego (2014), Transformers (dont le 5e volet est prévu pour 2017), Cluedo (dès 1985) ou encore Angry Birds et bientôt Minecraft, voire Tetris... Comment de simples jouets ou jeux vidéo se retrouvent-ils sur grand écran ? Pourquoi adapter de telles œuvres au cinéma ? Pour l'argent, évidemment. Mais pas seulement.
Parce que le cinéma permet de relancer une marque
Avant d'être un film, le jeu pour smartphone Angry Birds a fait de la start-up finlandaise Rovio un géant du secteur. En 2011, il devient le jeu le plus téléchargé au monde. Aujourd'hui, la firme revendique 3 milliards de téléchargements, tous supports confondus. Dès 2012, le groupe plein aux as se diversifie tous azimuts : il ouvre deux parc d'attractions et inonde le marché de produits dérivés. Les oiseaux colériques se déclinent en boissons, peluches, etc. Des à-cotés qui finissent par ruiner le groupe, dont les stars ne font plus recette : en 2014, Rovio licencie 130 salariés, avant de séparer, l'année suivante, de 270 personnes, soit plus d'un tiers de ces effectifs. Une branche cependant, reste à l'abri. Celle qui planche sur sa planche de salut : le film.
"Le film nous fait passer un nouveau cap. Désormais, nous voulons être un grand nom du divertissement et non plus uniquement du jeu", explique Alex Lambeek, directeur commercial de Rovio, à la revue spécialisée MCV (en anglais). En réalité, la firme joue son avenir. Selon le quotidien finlandais Helsingin Sanomat, elle a mis 65 millions d'euros de sa poche pour produire le film, sans compter les coûts marketing, qu'elle partage avec Sony, le distributeur du film. Les salariés de Rovio ont eux-mêmes pondu la trame du scénario (ensuite confié au scénariste des Simpsons le film et d'Alvin et les Chimpmunks). Si ce mode de financement, "c'est de la folie", selon un proche du dossier cité par le quotidien, Rovio, même au pied du mur, a choisi de payer le prix de la liberté, gardant le contrôle de sa marque.
"Développer une entreprise de divertissement à partir d'une application peut sembler optimiste mais ne rien faire et compter seulement sur le jeu est une option trop risquée pour Rovio", estime Sotirios Paroutis, expert en nouvelles technologies, cité par l'AFP. Pour Alexis Blanchet, maître de conférence à Paris 3 et auteur de Les jeux vidéo au cinéma (éd. Armand Collin), il est normal que le groupe finlandais se tourne ainsi vers le septième art : "Passer par le cinéma permet de réactiver quelque chose autour de la franchise, comme c'est le cas avec le jeu 'World of Warcraft'."
"D'autant plus qu''Angry Birds' s'est déjà confronté au cinéma pour tenter de se redynamiser, en lançant 'Angry Birds : Star Wars', notamment", explique le spécialiste. Cette fois, le film est un moyen de donner une nouvelle actualité au jeu. Ainsi, le film assure à son tour la promotion de la nouvelle version du jeu pour smartphones, qui accompagne la sortie du long-métrage. Mieux (ou pire ?), un scan-code s'affichera pendant le générique, dans la salle de ciné, pour permettre aux spectateurs d'obtenir des niveaux gratuits et des bonus dans le jeu en question. Tordu ? Non, malin.
Parce qu'une adaptation au cinéma, c'est aussi une pub super longue
Avant ceux du jeu vidéo, les géants du jouet ont compris dès les années 1970 l'intérêt commercial de nouer des partenariats avec les studios hollywoodiens. Longtemps, ils ont engrangé des millions en vendant des figurines à l'effigie des héros de super-productions, à commencer par ceux de la saga Star Wars. Eux se contentent d'envahir tranquillement la télévision en scénarisant la vie de leurs babioles : "Dans les années 1980, aux Etats-Unis, l'industrie du jouet est intégrée à des conglommérats de l'agro-alimentaire. Elle est donc très liée à la télévision, car c'est elle qui diffuse les publicités pour les céréales, explique Alexis Blanchet. Elle prend conscience que la meilleure façon de promouvoir ses produits est de commander des séries animées et de les diffuser entre les pubs. Quand Hasbro rachète la gamme Transformers à une firme japonaise, elle confie tout de suite à des scénaristes le soin de leur créer une histoire."
Dans les années 2000, Hasbro, l'inventeur de G.I Joe et des Pet Shops, poursuit cette démarche à Hollywood – grand amateur de franchises –, frappant à la porte des studios de cinéma pour donner une nouvelle vie à ses voitures-robots, tombées en désuétude. Paramount Pictures se lance. En 2007, la version long-métrage du jouet du même nom, avec Shia LaBeouf (dans le rôle de Sam) et Megatron (dans le rôle de Megatron), rapporte plus de 700 millions de dollars à travers le monde. Jackpot pour le studio et par ricochet, pour Hasbro, qui remet ses robots sur le devant de la scène.
Dans la foulée, Channing Tatum devient un G.I. Joe (2009 et 2013), tandis que les briques Lego explosent le box-office en 2014, dans le film d'animation La Grande aventure Lego. Le film, acclamé par le public, mais aussi par la critique, génère une hausse de 12% des profits du groupe dès les six premiers mois de l'année 2015. La terre entière a le morceau pop Everything is Awesome dans la tête. Et surtout, Lego, en galère au début des années 2000, s'affirme désormais comme un investissement plus rentable que l'or, relève The Telegraph (en anglais). Aujourd'hui, pas moins de quatre autres long-métrages sont en projet, dont un centré sur la figurine de Batman.
Parce que les franchises sont les nouvelles stars de cinéma
Comme le prophétise Larry Kasanoff, patron de la société de production Threshold Entertainment, "les nouvelles stars d'Hollywood, ce sont les marques". Ce monsieur très eclectique a produit Dirty Dancing et Platoon dans les années 1980, avant de se lancer dans l'adaptation du jeu vidéo Mortal Kombat, dès 1995. Sa nouvelle ambition : produire le film Tetris. "Tout le monde sait qu'il s'agit d'une des marques les plus célèbres du monde. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est que nous allons en faire un film de science-fiction épique", plaide-t-il.
De son côté, Hasbro communique régulièrement sur d'invraissemblables projets, comme une adaptation de Monopoly ou une autre des Hippo Gloutons. Un long-métrage sur Les Sims est dans les tuyaux depuis 2002, remarque Alexis Blanchet, convaincu que Tetris, Candy Crush, ou encore Démineur (pas le Démineur de Kathryn Bigelow avec Jeremy Renner, celui de Windows, avec des carrés gris), ne verront pas le jour.
D'ailleurs, la logique derrière l'adaptation du Touché-Coulé (Battleship) le "dépasse", reconnaît-il. Le film (et le premier rôle à l'écran de la chanteuse Rihanna) transpose la bataille navale dans un monde envahi par les extra-terrestres. Un échec cuisant dans lequel Universal, le producteur, perd des millions de dollars. Toujours convaincu du bien-fondé de l'adaptation du jeu de société, le réalisateur a fini par blâmer ses acteurs, jugés rétrospectivement pas assez célèbres et "bankables". Une tentative d'autocritique qui occulte complètement la nature du jeu, amusant et mondialement connu, certes, mais sans scénario, sans univers (contrairement à Minecraft, en cours de développement), ni personnage.
"S'il n'y a pas vraiment d'histoire dans 'Angry Birds', il y a des personnages : les oiseaux ont des têtes différentes, ils sont plus ou moins grognons ou rigolards. On retrouve quelque chose de l'ordre du cartoon, lui-même inspiré du cinéma burlesque. On retrouve des archétypes cinématographiques connus", remarque Alexis Blanchet. "Il ne faut pas attendre des récits d'une profondeur folle, mais pour un film familial et consensuel, il aura surement de quoi amuser les petits et les grands. Et qui sait, avec un peu de talent de la part des scénaristes, un double niveau de lecture, comme celui qui a fait le succès du film Lego."
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