Asghar Farhadi, l’Iran envers et contre tout
Nous sommes le 22 mai 2016. Le Festival de Cannes livre son palmarès. Et Asghar Farhadi de repartir avec le prix du meilleur scénario et son acteur Shahab Hosseini, avec le prix d’interprétation masculine pour "Le Client". Un film qui, rajouté au tout dernier moment en compétition officielle, apparaissait comme un simple complément de sélection. À en croire ses récompenses, il n’en était rien.
Asghar Farhadi nous proposait une fois encore une radiographie de son pays, de ses interdits, à travers le regard d’un couple de comédiens de théâtre. Une œuvre qui marquait le retour du cinéaste chez lui, après "Le Passé". Car au contraire de Jafar Panahi, l’autre chantre du cinéma iranien postrévolutionnaire, Farhadi ne réalise pas ses longs métrages dans la clandestinité et ses films tournés chez lui sont même parfois, comme "Une Séparation", officiellement présentés par la République islamique.
Un parcours jalonné d’embuches
Il n’empêche, le parcours de Farhadi est jalonné d’embuches avec des autorités à l’humeur changeante et des factions conservatrices qui font pression contre ses œuvres. Le ministère iranien de la Culture avait d’ailleurs retiré son visa à "Une séparation", alors en cours de tournage en 2010, en raison d’une déclaration du réalisateur qui défendait des artistes et cinéastes critiques à l’égard du pouvoir.Lors de la présentation il y a trois ans à Cannes de son film "Le Passé" qui avait valu à Bérénice Béjo le prix d’interprétation féminine, l’actrice avait embrassé son réalisateur, ce qui avait déclenché l’ire des ultra-conservateurs et pousser les autorités à lui confisquer son passeport lors de son retour à Téhéran.
En Iran, aucun film ne peut être tourné sans visa ou distribué sans autorisation de cette administration. Ce qui peut expliquer que ses films peuvent parfois paraître, à la différence d’un Panahi, un peu policé. Car avec "Le Client" et malgré l’analyse intéressante qu’il fait des relations humaines et sociales dans son pays, le réalisateur verse dans le moralisateur à la lisière du conservatisme. Asghar Farhadi l’avait lui-même reconnu à Cannes cette année : "on n’a pas une liberté totale du choix des sujets que l’on veut aborder".
Une œuvre comme un seul livre
Pourtant, en 2010 avec "Une séparation", le réalisateur réussissait à dissimuler derrière un scénario d’une apparente simplicité, une critique acerbe, perçante et complexe de la vie en Iran. Il peignait alors avec une infinie sensibilité deux couples pris dans le carcan de la société iranienne. Deux couples qui devaient se débrouiller avec les problèmes et les tabous propres à leur milieu respectif. Le cinéaste faisait de petits détails de la vie quotidienne, comme cet escalier jonché d’ordures, des métaphores cyniques de son pays. Il était question tout à la fois avec cette "Séparation" de celle entre classe aisée et populaire et celle aussi entre tradition et modernité. Le résultat, un Oscar, un Ours d’or et un César.Asghar Farhadi continuait alors de creuser son sillon. Celui de ses fresques sociales, kafkaïennes, d’une précision chirurgicale en matière de direction d’acteurs et de maîtrise du langage. Car le cinéaste est avant tout un homme de théâtre. Un cinéaste du verbe qui a fait ses classes à l’Université d’art dramatique de Téhéran. Farhadi, à l’image d’un grand écrivain ou d’un grand dramaturge ne cesse en réalité d’écrire le même livre, la même pièce : des personnages issus de la classe moyenne, un récit épuré fait de dialogues au cordeau et une intrigue sibylline, en apparence seulement.
Quitter l’Iran pour mieux en parler
Des ingrédients dont il s’était servi en 2009 dans "A propos d’Elly", Ours d’argent du meilleur réalisateur, où il mettait en scène la désintégration d’un groupe d’amis trentenaires, rattrapé par le puritanisme. Une troupe semi-occidentalisée se croyant libre jusqu’à ce qu’une force plus puissante ne s’abatte sur elle. Celle de la tradition et de l’archaïsme de la condition féminine. Avec une Golshifteh Farahani sublime et fantaisiste, en victime expiatoire dès que le groupe se sentira menacé.Une seule fois, Asghar Farhadi a filmé loin de ses terres. En 2013, avec "Le Passé", où Bérénice Bejo, Tahar Rahim et Ali Mossafa se partageaient l’affiche. Il filmait la banlieue parisienne comme les quartiers de Téhéran et son héroïne fuyant son mari et la capitale perse comme une exilée iranienne, confrontée aux mêmes problèmes. Comme s’il avait quitté l’Iran pour mieux en parler.
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